"Quand la folie eut tout à fait recouvert l’esprit de Hölderlin, sa poésie elle aussi, se renversa. Tout ce qu’il y avait de dureté, de concentration, de tension presque insoutenable dans les derniers hymnes, devint repos, calme et force apaisée. Pourquoi? Nous ne le savons pas. C’est comme si, ainsi que le suggère Allemann, brisé par l’effort pour résister à l’élan qui l’emportait vers la démesure du Tout, pour résister à la menace de la sauvagerie nocturne, il avait aussi brisé cette menace, accompli le retournement, comme si, entre le jour et la nuit, entre le ciel et la terre, s’ouvrait désormais, pure et naïve, une région où il pût voir les choses dans leur transparence, le ciel dans son évidence vide, et dans ce vide manifeste, le visage lointain de Dieu."
"Et quand il est rentré dans sa patrie, écrit Philippe Jaccottet, en dépit de la folie qui l'a saisi, c'est alors seulement qu'il a le droit de dire, énigmatiquement, que ce qui fait maintenant sa joie, c'est que tous les sites sacrés soient assemblés autour d'un site, et la lumière philosophique autour de sa fenêtre. On dirait bien à présent, comme le pense Heidegger, que le voyageur est enfin arrivé au but."
"Maintenant cela fleurit
En pauvre lieu." (Quand ceux du ciel...)
"Je ne le rejoins plus, il s'est enfermé. Je ne sais comment raconter cette fin qui ne veut pas finir.
Les anecdotes, innombrables, ne le cernent pas. Le pauvre Hölderlin. Le pauvre homme dans sa tour. Qu'on va voir, avec étonnement. Un spectacle : le poète fou.
Je ne sais s'il se souvient ; de quoi il se souvient. Il a quitté le monde qu'il voulait émouvoir et qui l'a floué ; à moins que ce ne soit lui qui ait joué le monde.
Son temps ne le concerne plus, qui continue à murmurer, lamentablement, ce que lui sait déjà ; sauf qu'apparaissent quelques noms nouveaux : Metternich, Wellington, Blücher, Fouché.
Quand Napoléon a battu les Autrichiens et les Russes à Austerlitz, il était encore à Homburg.
Et peu avant sa mort, en 1843, entre Nüremberg et Furth, déjà le train circule, des jeunes gens recommencent à espérer un changement, une révolution, et le grain qu'ont semé Sinclair, Muhrbeck, Seckendorf va peut-être lever.
Et s'il portait un masque ? Il ne retient pas les noms, mais les visages, oui. Il substitue aux noms de hauts titres qui le rabaissent, "Majesté", "Votre Honneur". Souvent, quand on l'appelle Hölderlin, il se fâche. N'a-t-il vraiment plus aucun souvenir ? Sa terrible colère a-t-elle balayé de son cerveau toutes les images ? Joue-t-il, cherche-t-il à proposer des énigmes ? Buonarotti n'était-il qu'un mot sonore resté dans les ruines de sa mémoire ? Ou, tout de même un signe ? S'identifiait-il sciemment, en jouant au fou, avec ce même Buonarotti, révolutionnaire toscan, qui s'attacha d'abord à Robespierre, puis à Gracchus Babeuf et à sa "conspiration pour l'égalité" et qui, comparaissant devant le tribunal avec Babeuf et d'autres, ne renia aucune de ses idées et se vit exiler dans l'île d'Oléron ? Joue-t-il, sait-il cela ?
Il a gardé le silence, ou n'a plus parlé qu'en langues étrangères ou en usant de tournures sarcastiquement ampoulées. Mon récit refuse ces histoires. Au cours de ses trente-cinq années de Tübingen, avec bonne volonté, étonnement et respect, on les a recueillies, répandues, développées jusqu'à les rendre méconnaissables : une mystification. Où rien de lui ne se retrouve. (Peter Härtling, Hölderlin, biographie)
"On le garda à la clinique deux cent trente et un jours ; après quoi Autenrieth renonça, pour le confier aux soins de quelqu'un qui non seulement s'intéressait à Hölderlin, dont il jugeait l'esprit "beau et noble", mais qui se proposait de le traiter mieux et plus affectueusement que personne. C'était le maître menuisier Zimmer."
A Zimmer
Un homme, je dis de lui, quand il est bon
Et sage, que lui faut-il ? Est-il rien
Qui suffise à une âme ? Est-il épi,
Est-il grappe à point mûrie qui sur terre
Poussés la nourrissent ? Tel est ainsi
Le sens. L'amante est souvent un ami, l'art
Presque tout. Ô toi qui m'es cher, je te dirai la vérité.
De Dédale tu as le génie et de la forêt.
J'ai de ce monde...
J'ai de ce monde goûté l'agrément,
Jeunesse a fui, lointaines, ô si lointaines heures,
Avril et mai, juillet aussi sont partis,
Je ne suis plus, je n'aime plus à vivre !
Les lignes de la vie
Les lignes de la vie sont diverses
Comme les routes et les contours des montagnes.
Ce que nous sommes ici, un Dieu là-bas peut le parfaire
Avec des harmonies et l'éternelle récompense et le repos.
(Friedrich Hölderlin, Derniers poèmes)