René Girard, Le bouc émissaire, éditions Grasset et Fasquelle et en Livre de Poche (Librio)
"Oedipe est chassé de Thèbes comme responsable du fléau qui s'abat sur la ville. La victime est d'accord avec ses bourreaux. Le malheur est apparu parce qu'il a tué son père et épousé sa mère.
Le bouc émissaire suppose toujours l'illusion persécutrice. Les bourreaux croient à la culpabilité des victimes ; ils sont convaincus, au moment de l'apparition de la peste noire au XVIème siècle, que les Juifs ont empoisonné les rivières. La chasse aux sorcières implique que juges et accusées croient en l'efficace de la sorcellerie.
Les Evangiles gravitent autour de la passion, comme toutes les mythologies du monde, mais la victime rejette toutes les illusions persécutrices, refuse le cycle de la violence et du sacré. Le bouc émissaire devient l'agneau de Dieu. Ainsi est détruite à jamais la crédibilité de la représentation mythologique. Nous restons des persécuteurs, mais des persécuteurs honteux.
"Toute violence désormais révèle ce que révèle la Passion du Christ, la genèse imbécile des idoles sanglantes, de tous les faux dieux des religions, des politiques, des idéologies. Le bouc émissaire éclaire définitivement Des choses cachées depuis la fondation du monde."
"L'expression bouc émissaire remonte au caper emissarius de la Vulgate, interprétation libre du grec apopompaios : "ce qui écarte les fléaux". Ce dernier terme constitue lui-même, dans la traduction grecque de la Bible, dite des Septante, une interprétation libre du texte hébreu dont la traduction exacte serait : "destiné à Azazel". On pense généralement qu'Azazel est le nom d'un démon ancien censé habiter dans le désert. Dans le chapitre XVI du Lévitique, l'action rituelle dont le bouc fait l'objet est ainsi décrite : "Aaron lui posera les deux mains sur la tête et confessera à sa charge toutes les fautes des enfants d'Israël, toutes leurs transgressions et tous leurs péchés. Après en avoir ainsi chargé la tête du bouc, il l'enverra au désert sous la conduite d'un homme qui se tiendra prêt, et le bouc emportera sur lui toutes les fautes dans un lieu aride (Lévitique 16, 5-10) - (René Girard, Des choses cachées depuis la fondation du monde, Grasset, p. 154)
L'expression "bouc émissaire" a deux sens :
a) il désigne le rituel décrit dans le Lévitique
b) il désigne un mécanisme psycho-sociologique inconscient et spontané.
Selon René Girard et Jean-Michel Oughourlian cette conjonction sémantique est paradoxale : "Le rituel et le spontané sont aux antipodes l'un de l'autre ; comment se fait-il qu'ils se rejoignent dans l'expression "bouc émissaire" ?
"L'intérêt de cette conjonction, c'est qu'elle révèle une intuition très largement répandue de choses que la science ethnologique et les sciences de l'homme en général n'ont jamais officiellement reconnu : il existe un rapport entre les formes rituelles et la tendance universelle des hommes à transférer leurs angoisses et leurs conflits sur des victimes arbitraires." (Des choses cachées, p.154)
Tables des matières :
I. Guillaume de Machaut et les juifs
II. Les stéréotypes de la persécution
III. Qu'est-ce qu'un mythe ?
IV. Violence et magie
V. Teotihuacan
VI. Ases, Kourètes et Titans
VII. Les crimes des dieux
VIII. La science des mythes
IX. Les maîtres mots de la passion évangélique
X. Qu'un homme meure
XI. La décollation de saint Jean Baptiste
XII. Le reniement de Pierre
XIII. Les démons de Gérasa
XIX. Satan divisé contre lui-même
XV. L'histoire et le Paraclet