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Claude Lévi-Strauss, La Pensée sauvage, Librairie Plon, 1962

(Dédié à la mémoire de Maurice Merleau-Ponty)

"La Pensée sauvage" et non "la pensée des sauvages". Car ce livre s'écarte de l'ethnologie traditionnelle en prenant pour thème un attribut universel de l'esprit humain : la pensée à l'état sauvage qui est présente dans tout homme - contemporain ou ancien, proche ou lointain - tant qu'elle n'a pas été cultivée et domestiquée à des fins de rendement.

Même dans les sociétés sans écriture, cette pensée ressemble singulièrement à celle qui nous est familière, dans la poésie et dans l'art, ou encore dans les diverses formes du savoir populaire, archaïque ou récent.

Partant d'une observation du monde précise et minutieuse, elle analyse, distingue, classe, combine et oppose... Dans ce livre, par conséquent, les mythes, les rites, les croyances et les autres faits de culture sont considérés comme êtres "sauvages" comparables à tous ceux que la nature engendre sous d'innombrables formes, animales, végétales et minérales.

Issue d'une fréquentation millénaire de ces réalités, la pensée sauvage y a trouvé la matière et l'inspiration d'une logique dont les lois se bornent à transposer les propriétés du réel, et qui, pour cette raison même, a pu permettre aux hommes d'avoir prise sur lui.

Publié au milieu des années cinquante, La Pensée sauvage est aujourd'hui considéré comme l'un des classiques de l'ethnologie contemporaine, dont l'influence fut également décisive sur l'ensemble des disciplines qui forment le domaine des sciences sociales."

Claude Lévi-Strauss, né 28 novembre 1908 à Bruxelles et mort le 30 octobre 2009 (à l'âge de 100 ans) en son domicile, 2, rue des Marronniers, dans le 16 ème arrondissement de Paris est un anthropologue et ethnologue français qui a exercé une influence décisive sur les sciences humaines dans la seconde moitié du XXème siècle, devenant notamment l'une des figures fondatrices du structuralisme..

Professeur honoraire au Collège de France, il y a occupé la chaire d'anthropologie sociale de 1959 à 1982. Il était également membre de l'Académie française.

Depuis ses premiers travaux sur les peuples indigènes du Brésil qu'il avait étudiés sur le terrain entre 1935 et 1939 et la publication de sa thèse Les structures élémentaires de la parenté en 1949, il a produit une œuvre scientifique dont les apports ont été reconnus au niveau international. Il a ainsi consacré une tétralogie, les Mythologiques, à l'étude des mythes. Mais il a également publié des ouvrages qui sortent du strict cadre des études académiques, dont le plus célèbre,Tristes Tropiques, publié en 1955, l'a fait connaître et apprécier d'un vaste cercle de lecteurs. (source : encyclopédie en ligne wikipedia)

Le mathématicien André Weil, frère de la philosophe Simone Weil, aida ponctuellement Claude Lévi-Strauss a dégager le concept de structure élémentaire de parenté, basé sur la notion de "groupe de Klein" (sur la photo, à gauche)

A la fin de La pensée sauvage ("Histoire et dialectique"), Claude Lévi-Strauss affirme que la "pensée sauvage" et la "pensée savante", aussi éloignées fussent-elles dans le temps et dans l'espace, sont appelées à se rejoindre.

Les Structures élémentaires de la parenté est l'intitulé de la thèse soutenue par Claude Lévi-Strauss refondue et publiée en1948, défendant la théorie de l'alliance Elle constitue une œuvre significative grâce à laquelle il devint docteur d'Etat.

Il y dégage le concept de structure élémentaire de parenté. Depuis lors, sont à associer à ce type de structures :

  • les systèmes prescrivant ou préférant les mariages avec un type précis de parents ;
  • les systèmes déterminant chaque membre du groupe comme parent, avec la distinction de conjoints possibles ou prohibés.

Lesdites structures comportent deux principales modalités de mariage :

  • le mariage symétrique ou échange restreint ;
  • le mariage asymétrique ou échange généralisé.

"Ce livre (La Pensée sauvage) forme un tout, mais les problèmes qu'il discute ont un rapport étroit avec ceux que nous avons plus rapidement examinés dans un travail récent intitulé Le Totémisme aujourd'hui (P.U.F., Paris, 1962). Sans prétendre exiger du lecteur qu'il s'y reporte, il convient de l'avertir qu'un lien existe entre les deux ouvrages : le premier constitue une sorte d'introduction historique et critique du second. On n'a donc pas jugé nécessaire de revenir ici sur des notions, des définitions et des faits, auxquels on avait déjà prêté suffisamment d'attention.

En abordant le présent ouvrage, le lecteur doit pourtant savoir ce que nous attendons de lui : qu'il nous donne acte de la conclusion négative à laquelle nous étions parvenu au sujet du totémisme ; car, après avoir expliqué pourquoi nous croyons que les anciens ethnologues se sont laissé duper par une illusion, c'est maintenant l'envers du totémisme que nous entreprenons d'expliquer." (Claude Lévi-Strauss, La Pensée sauvage, Préface)

"Certes, les propriétés accessibles à la pensée sauvage ne sont pas les mêmes que celles qui retiennent l'attention des savants. Selon chaque cas, le monde physique est abordé par des bouts opposés : l'un suprêmement concret, l'autre suprêmement abstrait ; et soit sous l'angle des qualités sensibles, soit sous celui des propriétés formelles.

Mais que, théoriquement du moins, et si de brusques changements de perspective ne s'étaient pas produits, ces deux cheminements fussent promis à se rejoindre explique qu'ils aient l'un et l'autre, et indépendamment l'un de l'autre dans le temps et l'espace, conduit à deux savoirs distincts bien qu'également positifs : celui dont une théorie du sensible a fourni la base, et qui continue de pourvoir à nos besoins essentiels par le moyen de ces arts de la civilisation : agriculture, élevage, poterie, tissage, conservation et préparation des aliments, etc., dont l'époque néolithique marque l'épanouissement, et celui qui se situe d'emblée sur le plan de l'intelligible, et dont la science contemporaine est issue.

Il aura fallu attendre jusqu'au milieu de ce siècle pour que des chemins longtemps séparés se croisent : celui qui accède au monde physique par le détour de la communication, et celui dont on sait depuis peu que, par le détour de la physique, il accède au monde de la communication. Le procès tout entier de la connaissance humaine assume ainsi le caractère d'un système clos.

C'est donc rester fidèle à l'inspiration de la pensée sauvage que de reconnaître que l'esprit scientifique, sous sa forme la plus moderne, aura contribué, par une rencontre qu'elle seule eût su prévoir, à légitimer ses principes et à rétablir ses droits. 12 juin-16 octobre 1961. (Claude Lévi-Strauss, La Pensée sauvage, "Histoire et dialectique, p. 320-321)

 

Tables des matières :

Préface

Chapitre Ier La science du concret

II. La logique des classifications totémiques

III. Les systèmes de transformations

IV. Totem et caste

V. Catégories, éléments, espèces, nombres

VI. Universalisation et particularisation

VII. L'individu comme espèce

VIII. Le temps retrouvé

IX Histoire et dialectique

Appendice

Bibliographie

Index

tables des illustrations

"Dans l'interview avec Maria-Stella Barberi, je reparle de Claude Lévi-Strauss et de l'influence que ses livres ont exercée sur moi. Ce qui me sépare du structuralisme anthropologique est plus important encore que ce qui m'en rapproche, mais cela ne m'empêche pas de rester très attaché à l'oeuvre de son fondateur, l'une des plus belles qu'ait produites ce siècle anthropologique par excellence qu'est le XXème siècle. C'est Lévi-Strauss qui, sans le savoir, par l'intermédiaire de ses livres, a été mon professeur d'anthropologie." (René Girard, Celui par qui le scandale arrive, Avant-propos, Desclée de Brouwer, p. 11)

"Or, si je vous disais maintenant que mon intérêt pour la violence vient de Lévi-Strauss lui-même, j'exagérerais à peine. Son oeuvre est très présente au départ de ma réflexion sur ce sujet. C'était au début des années soixante. Je commençais à réfléchir sur le rôle des jumeaux dans la mythologie, et je m'aperçus un jour que, dans une de ses analyses, je ne sais plus laquelle, Lévi-Strauss traitait une paire de jumeaux comme il fait de toutes les autres paires d'objets qu'il rencontre dans les mythes. Il les différenciait. ce fut pour moi une espèce de révélation.

Dans la perspective lévi-straussienne, ce qui justifie la différenciation des jumeaux, c'est la fameuse définition saussurienne du signe. Le signe ne signifie jamais que des différences entre ceci et cela. Linguistiquement, il n'y a que des différences, même entre deux jumeaux. Si l'identité existe (quelques héritiers de Lévi-Strauss annonceront au monde, solennellement, qu'elle n'existe pas), il n'est jamais vraiment question d'elle, elle ne joue aucun rôle dans la culture qui est tout entière langage. Dans les analyses de Lévi-Strauss, il n'y a pas d'identité et c'est bien pourquoi lorsque des jumeaux tombent entre ses mains, il les différencie.

Je ne dis pas que cette attitude est complètement fausse. Les cultures archaïques ne veulent que la différence, comme toutes les cultures et ne disent jamais l'identité directement. Il ne faut pourtant pas croire qu'elles ne peuvent pas la dire. Elles l'évoquent fréquemment, au contraire et, à mon avis, une des ressources essentielles de cette évocation, c'est le thème mythique des jumeaux.

En ne voulant lui-même que la différence, Lévi-Strauss a quelque peu raison, je pense, sur un plan purement linguistique, mais sur le plan de la culture, il a tort. Ce n'est pas une différence de plus que les jumeaux signifient dans les mythes, c'est la perte des différences, c'est l'identité. Si les cultures ne parlent jamais franchement de cela, ce n'est pas parce qu'elles ne le peuvent pas, c'est parce qu'elles se sentent menacées en permanence par l'identité.

Maria Stella Barberi : Pourquoi cette peur de l'identique ?

René Girard : Pour les mêmes raisons que nous tous, je pense, pour les mêmes raisons que Lévi-Strauss lui-même. L'identique, c'est la guerre terrible que se livrent en permanence les jumeaux, jusqu'à l'instant où l'un d'eux réussit à tuer l'autre, à moins qu'ils ne s'entretuent d'abord, comme dans Les sept contre Thèbes, et alors c'est la tragédie pure, c'est la contamination de la violence mimétique qui tromphe. Lorsqu'elle se répand et devient la fameuse guerre de tous contre tous dont parle Hobbes."

(René Girard, entretien avec Maria Stella Barberi, in Celui par qui le scandale arrive, Desclée de Brouwer, p.157-158)

 

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