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Kostas Axelos, Héraclite ou la philosophie, La première saisie de l'Être en devenir de la totalité, Les éditions de Minuit, 1962

Kostas Axelos, né à Athènes le 26 juin 1924, mort à Paris le 4 février 2010, est un philosophe, éditeur et traducteur français d'origine grecque.

Professeur à la Sorbonne,  spécialiste d'Héraclite, influencé par Platon, Hegel, Marx et Heidegger, mais aussi Rimbaud, Hölderlin ou Mallarmé, il a rejoint en 1957 puis dirigé à partir de 1960 la revue Arguments à laquelle participaient notamment Edgar Morin et Jean Duvignaud, avant de fonder en 1960 et diriger pendant plus de quarante ans, aux Editions de Minuit, la collection du même nom, qui fit découvrir en France certains des plus importants penseurs de l'époque, comme Eugène Fink, Herbert Marcuse, Rudolf Hilferding, Karl Korsch, permit la découverte de marxistes hétérodoxes comme Georg Lukacs, et accueillit aussi des auteurs comme Georges Bataille, Maurice Blanchot ou Jaspers. Il a publié une vingtaine de livres, la plupart en français mais aussi en grec et en allemand. Ses œuvres ont été traduites en 16 langues. Il a publié une vingtaine de livres, la plupart en français mais aussi en grec et en allemand. Ses œuvres ont été traduites en 16 langues.

Héraclite d'Éphèse (en grec ancien Ἡράκλειτος ὁ Ἐφέσιος / Hêrákleitos ho Ephésios) est un philosophe grec de la fin du VIème siècle av. J.-C.

"Pour comprendre la dialectique - platonicienne, théologique et chrétienne, hégelienne ou marxiste - il faut remonter à Héraclite, chez qui nous rencontrons une pensée originelle, avant la constitution systématique de la philosophie et de la métaphysique, avant le fractionnement des disciplines (en logique, théologie, métaphysique, physique, biologie, anthropologie, éthique et esthétique). Cette thèse complémentaire de Kostas Axelos, soutenue en 1959 en Sorbonne, bouleverse les règles traditionnelles du jeu académique et de la philosophie impérialiste et constitue le fondement de sa thèse principale, Marx penseur de la technique.

Elle s'efforce de présenter la pensée d'Héraclite dans son ensemble cohérent, dans sa totalité fragmentée et fragmentaire. Car la pensée d'Héraclite, qui reconnaît la vérité de l'errance et la puissance de la bêtise, contient déjà les pensées qui se développèrent ensuite dans les perspectives autonomisées ; elle éclaire toute la problématique de la fondation et du dépassement de la philosophie. Il s'agissait donc de grouper autour des grands foyers - du logos, du cosmos, du divin, de l'homme, de la cité - les fragments qui s'y rapportent le plus explicitement, tous les fragments émanant d'un même centre et convergeant vers lui : l'Être en devenir de la totalité une, le Jeu suprême.

L'ouvrage se propose de faire surgir la parole d'Héraclite dans ce qu'elle a de plus vivant, pour qu'elle puisse féconder une pensée présente et future."

PROLOGUE

"Héraclite est un penseur. Héraclite pense, le premier, le logos de l'être du devenir total. Lui, pour la première fois, pense et dit, dans l'horizon du logos ainsi nommé, ce qu'est le monde. Héraclite ne fait pas "encore" de la philosophie, c'est-à-dire de la métaphysique. Sa pensée demeure ouverte et multidimenstionnelle, questionnante et énigmatique, fragmentaire et poétique ; elle ne fixe pas l'être, elle ne sépare pas l'être du devenir - l'être est devenir et le devenir est être -, elle ne ferme pas la totalité, elle ne construit pas de systématique. Héraclite pense avant même la constitution de la métaphysique et la formation des écoles philosophiques ; il est présocratique, à savoir préplatonicien. Héraclite est le premier penseur qui déploie la pensée (le logos) scrutant le sens (le logos) de la nature, de la divinité, de l'homme et de la cité, modes d'être du devenir de l'être du monde total - qu'Héraclite essaie de saisir.

Essayant d'entrer en dialogue avec sa pensée - qui féconda toute la philosophie, bien que celle-ci, articulée en Métaphysique et en Théologie, en Logique, en Physique et en Ethique, semble le laisser derrière elle -, il convient de rester sur le plan de la pensée. Tout en employant le matériel critique et historique de la recherche contemporaine, et en le prenant scupuleusement en considération, il faut oser libérer Héraclite autant de la prison de la pure et simple érudition archéologique et philologique que de la confusion du bavardage littéraire et des ratiocinations ou des illuminations "philosophiques". Il s'agit presque de tenter l'impossible : lui donner la parole, le rendre parlant."

LE LOGOS

Le logos est ce qui lie les phénomènes entre eux, en tant que phénomènes d'un univers un, et ce qui lie le discours aux phénomènes. Le logos est un lien. Ce qui se manifeste comme phénomène est déjà pénétré par le logos. C'est pour cela qu'il peut être saisi. le logos est l'âme et l'esprit de la dialectique héraclitéenne qui fait corps avec le monde. Mais ce logos n'est pas le logos d'une logique. Il est ce qui anime originairement toute pensée ; il deviendra après pensée logique, physique, etc. Sa puissance est celle de l'universalité et sa lumière éclaire les ténèbres.

Le logos et la connaissance

Grâce au témoignage d'Aristote (Rhétorique, Livre Gamma), nous savons que le livre d'Héraclite commençait par les phrases qui constituent les fragments 1 et 2. 

"Le logos que voici, étant toujours vrai, les hommes n'en acquièrent pas la compréhension, ni avant de l'avoir entendu, ni une fois qu'ils l'ont entendu. car bien que tout devienne selon ce logos-ci, ils sont pareils à des inexpérimentés, même s'ils ont fait l'expérience et des paroles et des oeuvres - telles que moi je les expose, détaillant chaque chose selon sa nature, et montrant ce qu'il en est. Mais aux autres hommes reste dissimulé ce qu'ils font éveillés, comme ils oublient ce qu'ils font  dans leur sommeil. C'est pourquoi il faut suivre ce qui est commun, car le commun est universel. Mais bien que le logos soit universel, les gens du commun (la foule) vivent comme s'ils avaient une pensée particulière. Le logos, avec qui pourtant ils ont le plus constant rapport, (lui qui régit tout), avec lui ils sont en désaccord, et ce que tous les jours ils rencontrent, cela leur paraît étranger. de tous ceux dont j'ai entendu les paroles, aucun de parvient jusqu'à reconnaître que la sagesse est séparée de tout."

Le mot grec Logos signifie ici le discours d'Héraclite et le sens de l'univers, il est pensée et sagesse. Les philologues ont essayé, par une démonstration qui se veut exhaustive, de résoudre la question de la signification spécifique et prédominante de ce mot. Nous laissons le mot logos dire ce qu'il veut dire : parole et raison, expressions par un discours cohérent de la signification de la vraie réalité. Le logos est à la fois la raison universelle, mais non le principe de raison, la loi du devenir du monde et le discours d'Héraclite qui n'est exposé que parce qu'il fait partie du logos total et l'exprime. Le logos est la raison une, universelle, unificatrice (Vernunft) et non la ratio de l'entendement (Verstand) ; il saisit la vraie réalité agissante (Wirklichkeit) qui est le sens de ce qui apparaît dans la réalité donnée (Realität), s'il est permis d'employer ces termes.

De même que nous ne pouvons pas remonter en-deçà du Temps, nous ne pouvons non plus remonter en-deçà du logos. Comme le temps, il est temporel et éternel. Tout devient conformément  à ce logos. Il constitue la signification totale de l'univers et il est universel. En tant que sagesse unique, il est séparé de tout, séparation qui va être comprise à travers l'exploration de son mouvement.

Héraclite, le premier allume - au feu universel - la torche du logos. Son logos éclaire. Le logos est cet éveil de l'étonnement spéculatif qui fait sortir l'homme du monde des rêves pour le guider dans le monde de la lumière. (...) La pensée articulée fait son apparition révolutionnante dans l'histoire du monde. Le logos est si réel et efficace parce qu'il est lié au devenir et qu'il achemine vers une connaissance. L'homme en est le dépositaire parlant, s'il est éveillé. La lucidité, qui fait défaut aux hommes inattentifs et aux dormeurs, est justement perception qui réalise la présence du logos.

Mais le logos, bien qu'universel, n'est pas le propre de la masse humaine. Tous les hommes ne sont pas éclairés par le logos, et penseurs, ils le sont moins encore. La multitude ne pense pas : elle ne comprend pas ce qu'elle rencontre journellement, ne sait ni parler ni agir, s'oublie dans le sommeil et ne se rappelle pas ce qu'elle fait quand elle est censée être éveillée ; de plus, chacun des individus qui la composent croit avoir une intelligence particulière, qui ne le lie aucunement à l'universel. Nous avons rencontré les premiers anathèmes jetés contre les hommes qui s'imaginent pouvoir s'isoler du logos ; Héraclite multiplie les invectives." (chapitre II, Le logos, p. 57-60)

 

 

 

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