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Stefan Zweig, Le Joueur d'échecs, traduit de l'allemand, préfacé et annoté par Brigitte Vergne-Cain et Gérard Rudent, Le Livre de Poche

"Qui est cet inconnu capable d'en remontrer au grand Czentovic, le champion mondial des échecs, véritable prodige aussi fruste qu'antipathique ? Peut-on croire, comme il l'affirme, qu'il n'a pas joué depuis plus de vingt ans ? Voilà un mystère que les passagers oisifs de ce paquebot de luxe aimeraient bien percer.

Le narrateur y parviendra. Les circonstances dans lesquelles l'inconnu a acquis cette science sont terribles. Elles nous reportent aux expérimentations nazies sur les effets de l'isolement absolu, lorsque, aux frontières de la folie, entre deux interrogatoires, le cerveau humain parvient à déployer ses facultés les plus étranges.

Une fable inquiétante, fantastique, qui, comme le dit le personnage avec une ironie douloureuse, "pourrait servir d'illustration à la charmante époque où nous vivons."

Né à Vienne en 1881, fils d'un industriel, Stafan Zweig a pu étudier en toute liberté l'histoire, les belles-lettres et la philosophie. Grand humaniste, ami de Romain Rolland, d'Emile Verhaeren et de Sigmund Freud, il a exercé son talent dans tous les genres (traductions, poèmes, roman, pièces de théâtre), mais a surtout excellé dans l'art de la nouvelle (La Confusion des sentiments, Vingt-quatre heures de la vie d'une femme), l'essai et la biographie (Marie-Antoinette, Fouché, Magellan...). désespéré par la montée du nazisme, il fuit l'Autriche en 1934, se réfugie en Angleterre puis aux Etats-Unis. En 1942, il se suicide avec sa femme à Pétropolis, au Brésil.

Le Joueur d’échecs (en allemand Schachnovelle) est une nouvelle de Stefan Zweig publiée à titre posthume en 1942. L'auteur l'écrivit durant les quatre derniers mois de sa vie, de septembre 1941 à son suicide ; le 22 février 1942. La traduction française parut en Suisse en 1944 et fut révisée en 1981 sans nom d'auteur.

Sur un paquebot s’opposent deux champions d’échecs que tout sépare : le champion du monde en titre, d’une origine modeste mais tacticien redoutable, et un aristocrate qui n’a pu pratiquer que mentalement, isolé dans une geôle privée pendant l'occupation de l'Autriche par les nazis.

Czentowicz, champion d'échecs arrogant, esprit borné à outrance, inculte et étonnamment stupide, occupe le premier plan jusqu'à l'entrée en scène de Monsieur B. Dès lors que cet aristocrate autrichien s'intéresse à la partie livrée entre le champion et les passagers amateurs, la direction du texte bascule. Par un effet de symétrie, la narration se transforme en un face à face tendu entre un esprit brillant et rapide à l'intelligence abstraite et un cerveau au pragmatisme brutal, incapable de projection véritable. Mise en scène percutante de la résurrection de la folie, cette nouvelle oscille entre ouverture et enfermement. Dans cette avancée implacable de la stupidité destructrice, allégorie de la victoire du nazisme mais aussi chef-d’œuvre de composition, Zweig s'intéresse peu à la survie du corps, préférant montrer les réactions de l'esprit, qui trouve un symbole parfait dans ce jeu éminemment intelligent mais désespérément stérile. Publié en 1943, un an après le suicide de son auteur, Le Joueur d'échecs fait figure de testament dans l’œuvre de Zweig. (source : babelio)

Citation :

"Certes, je connaissais par expérience la mystérieuse attraction exercée par ce "jeu royal", le seul de tous les jeux inventés par l'homme à se soustraire souverainement à la tyrannie du hasard et à n'attribuer les palmes de la victoire qu'à l'esprit, ou plutôt à une certaine forme de talent intellectuel. Mais qualifier les échecs de jeu, n'est-ce pas déjà les réduire et commettre une injustice ? Ne sont-ils pas aussi une science, un art, quelque chose qui plane entre ces deux pôles comme le cercueil de Mahomet entre le ciel et la terre , une incomparable association de tous les contraires ? Très ancien et pourtant toujours neufs, mécaniques par leur dispositif, mais n'agissant qu'avec le ressort  de l'imagination ; à la fois limités à un espace géométrique et figé, et illimités par leurs combinaisons, se développant sans cesse et pourtant stériles ; une réflexion qui ne mène à rien, une mathématique qui ne calcule rien, un art qui ne crée pas d'oeuvres, une architecture sans matière, mais dont l'être et l'existence sont incontestablement plus durables que tous les livres et toutes les oeuvres ; le seul jeu qui appartienne à tous les peuples et à toutes les époques, et dont nul ne sait quel dieu l'a apporté sur terre pour tuer l'ennui, pour aiguiser l'esprit, pour stimuler l'âme. Où commence-t-il, où finit-il ? Tout enfant peut en apprendre les premières règles, tout butor peut s'y essayer ; et pourtant, dans les limites de cet étroit et invariable carré, ce jeu est capable d'engendrer une espèce singulière de maîtres, absolument incomparables, des gens dont le talent est exclusivement focalisé sur les échecs, des génies spécifiques chez qui la vision, la patience et la technique agissent en se répartissant précisément la tâche entre elles comme chez un mathématicien, un poète, un musicien, mais en se combinant et en s'associant un peu autrement..." (Stefan Zweig, Le Joueur d'échecs, pp. 39-41)
 

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