Voltaire, Traité sur la tolérance, à l'occasion de la mort de Jean Calas (1763), édition établie et annotée par Jacques Van den Heuvel, éditions Gallimard, 1975.
Le Traité sur la tolérance est une oeuvre de Voltaire publiée en 1763. "Convaincu de l'innocence de Calas exécuté en 1762, Voltaire met sa plume au service de la justice pour demander sa réhabilitation. Le négociant huguenot était accusé du meurtre de son fils qui voulait se convertir au catholicisme. Avec une ironie mordante et un style inimitable, l'écrivain plaide pour le respect des croyances et l'esprit de tolérance. Une réflexion très actuelle sur le système judiciaire, la responsabilité des juges et les effets pervers des lois.
Sommaire :
I. Histoire abrégée de la mort de Jean Calas - II. Conséquences du supplice de Jean Calas - III. Idée de la Réforme du XVIème siècle - IV. Si la tolérance est dangereuse et chez quels peuples elle est permise - V. Comment la tolérance peut-elle être admise - VI. Si l'intolérance est de droit naturel et de droit humain - VII. Si l'intolérance a été connnue des Grecs - VIII. Si les Romains ont été tolérants - IX. Des martyrs - X. Du danger des fausses légendes et de la persécution - XI. Abus de l'intolérance - XII. Si l'intolérance fut de droit divin dans le judaïsme, et si elle fut toujours mise en pratique - XIII. Extrême tolérance des Juifs - XIV. Si l'intolérance a été enseignée par Jésus-Christ - XV. Témoignages contre l'intolérance - XVI. Dialogue entre un mourant et un homme qui se porte bien - XVII. Lettre écrite au jésuite Le Tellier par un bénéficier, le 6 mai 1714 - XVIII. Seuls cas où l'intolérance est de droit humain - XIX. relation d'une dispute de controverse à la Chine - XX. S'il est utile d'entretenir le peuple dans la superstition - XXI. Vertu vaut mieux que science - XXII. De la tolérance universelle - XXIII. Prière à Dieu - XXIV. Post-scriptum - XXV. Suite et conclusion
Article nouvellement ajouté, dans lequel on rend compte du dernier arrêt rendu en faveur de la famille Calas.
Prière à Dieu
Ce n’est donc plus aux hommes que je m’adresse ; c’est à toi, Dieu de tous les êtres, de tous les mondes et de tous les temps : s’il est permis à de faibles créatures perdues dans l’immensité, et imperceptibles au reste de l’univers, d’oser te demander quelque chose, à toi qui a tout donné, à toi dont les décrets sont immuables comme éternels, daigne regarder en pitié les erreurs attachées à notre nature ; que ces erreurs ne fassent point nos calamités.
Tu ne nous as point donné un cœur pour nous haïr, et des mains pour nous égorger ; fais que nous nous aidions mutuellement à supporter le fardeau d’une vie pénible et passagère ; que les petites différences entre les vêtements qui couvrent nos débiles corps, entre tous nos langages insuffisants, entre tous nos usages ridicules, entre toutes nos lois imparfaites, entre toutes nos opinions insensées, entre toutes nos conditions si disproportionnées à nos yeux, et si égales devant toi ; que toutes ces petites nuances qui distinguent les atomes appelés hommes ne soient pas des signaux de haine et de persécution ; que ceux qui allument des cierges en plein midi pour te célébrer supporte ceux qui se contentent de la lumière de ton soleil ; que ceux qui couvrent leur robe d’une toile blanche pour dire qu’il faut t’aimer ne détestent pas ceux qui disent la même chose sous un manteau de laine noire ; qu’il soit égal de t’adorer dans un jargon formé d’une ancienne langue, ou dans un jargon plus nouveau ; que ceux dont l’habit est teint en rouge ou en violet, qui dominent sur une petite parcelle d’un petit tas de boue de ce monde, et qui possèdent quelques fragments arrondis d’un certain métal, jouissent sans orgueil de ce qu’ils appellent grandeur et richesse, et que les autres les voient sans envie : car tu sais qu’il n’y a dans ces vanités ni envier, ni de quoi s’enorgueillir.
Puissent tous les hommes se souvenir qu’ils sont frères ! Qu’ils aient en horreur la tyrannie exercée sur les âmes, comme ils ont en exécration le brigandage qui ravit par la force le fruit du travail et de l’industrie paisible ! Si les fléaux de la guerre sont inévitables, ne nous haïssons pas, ne nous déchirons pas les uns les autres dans le sein de la paix, et employons l’instant de notre existence à bénir également en mille langages divers, depuis Siam jusqu'à la Californie, ta bonté qui nous a donné cet instant.
Voltaire, Traité sur la tolérance, Chapitre XXIII