J.D. Salinger, L'attrape-coeurs (The catcher in the Rye), 1945, traduit de l'américain par Annie Saumont, Robert Laffont pour la traduction française, 1986
J. D. Salinger, nom de plume de Jerome David Salinger né le à New York et mort le dans le New Hampshire aux États-Unis, est un écrivain américain. Il commence à se faire connaître en 1948 avec des nouvelles parues dans le New Yorker, mais il est surtout célèbre pour son roman L'Attrape-cœurs (titre original : The Catcher in the Rye). Traitant de l’adolescence et du passage à l’âge adulte, ce roman, devenu un classique du genre, connaît une popularité importante depuis sa publication en 1951. L’un des thèmes majeurs de Salinger est l'adolescence avec ses perturbations et son désenchantement devant la perte irrémédiable de l'innocence de l'enfance. Salinger est connu aussi pour sa vie de reclus. Il n'a fait aucune apparition publique ni accordé un seul entretien ou publié un seul écrit durant quarante ans.
"Phénomène littéraire sans équivalent depuis les années 50, J.D. Salinger reste le plus mystérieux des écrivains contemporains et son chef-d'oeuvre, L'attrape-coeurs, roman de l'adolescence le plus lu du monde entier, est l'histoire d'une fugue, celle d'un garçon chassé de son collège trois jours avant Noël, qui n'ose pas rentrer chez lui et affronter ses parents. Trois jours de vagabondage et d'aventures cocasses, sordides ou émouvantes, d'incertitude et d'anxiété, à la recherche de soi-même et des autres. L'histoire éternelle d'un gosse perdu qui cherche des raisons de vivre dans un monde hostile et corrompu."
L'Attrape-cœurs (The Catcher in the Rye) est un roman de J. D. Salinger. Publié aux États-Unis en 1951, plus de 60 millions d'exemplaires ont été vendus à ce jour et il s'en vendrait environ 250 000 chaque année. Il constitue l'une des œuvres les plus célèbres du XXe siècle et un classique de la littérature, à ce titre enseigné dans les écoles aux États-Unis et au Canada, bien qu'il ait été critiqué en raison de certains des thèmes abordés (prostitution, décrochage scolaire, obsession de la sexualité) et du niveau de langue (langage familier et souvent injurieux). Le titre original du roman (The Catcher in the Rye) fait référence au poème écossais Comin' Thro' the Rye (en) de Robert Burns.
Résumé de l'histoire :
Écrit à la première personne, le roman relate les trois jours durant lesquels Holden Caulfield, un adolescent de 16 ans, erre dans New York, après avoir été renvoyé de son lycée. Après avoir pris un train pour New York, il se refuse à regagner directement l'appartement familial et préfère réserver une chambre dans un hôtel sordide. Il passe la soirée à danser avec trois jeunes filles de Seattle, rencontre une prostituée avec laquelle il ne fait rien et se fait tabasser par son souteneur. Il finit par aller faire un tour chez lui, pendant l'absence de ses parents, pour prendre des nouvelles de sa petite sœur Phoebé. Holden décide ensuite d'aller rendre visite à un ancien professeur d'anglais, M. Antolini, qui lui propose de rester chez lui pour la nuit. Ils ont une longue conversation ensemble. Durant la nuit, Holden se réveille brusquement et surprend M. Antolini en train de lui caresser les cheveux. Il quitte l'appartement et passe son dernier après-midi en ville. Holden décide alors de s'en aller de New York, pour partir loin à l'ouest et confie son désir à Phoebé. À la fin du livre, l'adolescent qui vient d'atteindre ses 17 ans, se trouve dans une clinique psychiatrique où ses parents l'ont probablement fait admettre et où il enregistre son histoire sur un magnétophone.
L'explication du titre du roman :
L'explication du titre est donnée lorsque Holden et Phoebé évoquent poème de Robert Burns, "Comin' Thro' the Rye". Holden s'imagine dans un champ de seigle avec des milliers d'enfants. Il est au bord d'une falaise et il a pour mission de les empêcher de tomber, s'ils ne regardent pas où ils vont et s'approchent trop près du bord. Il est « l'attrape-cœurs » (« the catcher in the rye »). Ce passage symbolise le désir le plus profond de Holden : empêcher les enfants de grandir.
Citations :
"Si vous voulez vraiment que je vous dise, alors sûrement la première chose que vous allez me demander c'est où je suis né, et à quoi ça a ressemblé ma saloperie d'enfance, et ce que faisaient mes parents avant de m'avoir, et toutes ces conneries à la David Copperfield, mais je n'ai pas envie de raconter ça..." (p.9)
"Ce mec, il avait tout : sinusite, boutons, dents gâtées, mauvaise haleine, ongles pourris. On pouvait pas s'empêcher de le plaindre un peu, le pauvre con." (p. 53)
""Hey dites-donc, vous avez vu les canards près de Central Park South ? Le petit lac ? Vous savez pas par hasard où ils vont le canards, quand le lac est complètement gelé ? Vous savez pas ?" (p. 77)
"Un truc qui me tue. Je suis toujours à dire "Enchanté d'avoir fait votre connaissance" à des gens que j'avais pas le moindre désir de connaître. C'est comme ça qu'il faut fonctionner si on veut rester en vie." (p. 109)
"En vrai, dans la Bible, le type que je préfère après Jésus, c'est ce dingue qui vivait dans les tombes et arrêtait pas de se couper avec des pierres. ce pauvre mec, je l'aime dix fois plus que les disciples." (p. 123)
"Les gens qui pleurent à s'en fondre les yeux en regardant un film à la guimauve, neuf fois sur dix ils ont pas de coeur. Sans rire. (p. 170)
"Si je devais aller à la guerre je crois que je pourrais le supporter. Sans blague. Si c'était seulement qu'on vous emmène et qu'on vous tire dessus ça irait encore, mais il faut rester tellement longtemps dans l'armée. C'est ça l'ennui." (p. 170)
"J'espère que lorsque je mourrai quelqu'un aura le bon sens de me jeter dans une rivière. N'importe quoi plutôt que le cimetière. Avec des gens qui viennent le dimanche vous poser un bouquet de fleurs sur le ventre et toutes ces conneries. est-ce qu'on a besoin de fleurs quand on est mort ?" (p. 188)
"Je sais bien que c'est le corps d'Allie qui est au cimetière et son âme qui est au Ciel et tout, le grand bla-bla, mais quand même je pouvais pas l'admettre. Je voudrais tellement pas qu'il soit là. Vous l'avez pas connu. Si vous l'aviez connu vous comprendriez. Passe encore quand il y a du soleil mais le soleil il vient quand ça lui chante." (p. 189)
"C'est bizarre. Prenez les adultes, ils ont l'air tarés quand ils dorment la bouche ouverte, mais pas les gosses. Les gosses ils sont quand même chouettes. Ils peuvent avoir en plus bavé sur leur oreiller et ils sont quand même chouettes." (p. 193)
René Girard fait remarquer dans Critique dans une souterrain la parenté entre un jugement de Haulden Caufield au sujet des avocats et la thème de La Chute d'Albert Camus :
"Les juristes sont des gens bien, je suppose, mais ça ne me tente pas. Je veux dire, ce seraient des gens très bien s'ils s'occupaient tout le temps de sauver la vie de pauvres types innocents et qu'ils aiment ça, mais c'est pas ça quand on est juriste. Tout ce qu'on fait c'est ramasser du flouze et jouer au golf et au bridge et acheter des bagnoles et boire des martinis et être un personnage. D'ailleurs, même s'ils s'occupaient tout le temps de sauver la vie des types innocents et tout, comment on pourrait savoir s'ils le font parce qu'ils veulent vraiment le faire ou parce que ce qu'ils veulent vraiment faire c'est être un avocat super, que tout le monde félicite en lui tapant dans le dos au tribunal quand le jugement est rendu, avec les reporters et tout, comme on voit dans les saletés de films. Comment ils peuvent dire que c'est pas de la frime ? Le problème c'est qu'ils peuvent pas." (p. 208)
"Je me représente tous ces petits mômes qui jouent à je ne sais quoi dans le grand champ de seigle et tout. des milliers de petits mômes et personne avec eux je veux dire pas de grandes personnes - rien que moi. Et moi je suis planté au bord d'une saleté de falaise. Ce que j'ai à faire c'est attraper les mômes s'ils s'approchent trop près du bord. Je veux dire s'ils courent sans regarder où ils vont, moi je rapplique et les attrape. C'est ce que je ferais toute la journée. Je serais juste l'attrape-coeurs et tout. D'accord, c'est dingue, mais c'est vraiment ce que je voudrais être. Seulement ça. D'accord, c'est dingue." (p. 209)
"Les gens dont j'ai parlé, ça fait comme s'ils me manquaient à présent, c'est tout ce que je sais. Même le gars Stradlater par exemple, et Ackley. Et même, je crois bien, ce foutu Maurice. C'est drôle. Faut jamais rien raconter à personne. Si on le fait, tout le monde se met à vous manquer." (p. 253)
Mon avis sur le roman :
Il s'agit d'un roman d'apprentissage ("coming of age") comme seuls les Américains savent les faire (cf. La cicatrice de Bruce Lowry). Le monde vu par un adolescent de seize ans ayant encore un pied dans l'enfance, finalement plus sensible et profond qu'il n'y paraît, sous des apparences banales et un peu irritantes. Il est mauvais en tout, sauf en anglais et se fait renvoyer de son collège (Pencey Prep) à cause de ses résultats. Le roman raconte les trois jours d'errance qui suivent son renvoi. Le personnage principal, Holden Caulfield, est aussi le narrateur. On est pour ainsi dire "dans sa tête".
J'ai lu ce livre il y a des années et j'en avais gardé un vague souvenir... Je suis en train de le relire et je suis frappé par sa drôlerie. On s'amuse à chaque page du cynisme naïf du héros, de ses remarques cocasses, de ses accès de mythomanie, de sa façon de considérer les autres, que ce soient ses copains, comme l'affreux Ackley ou le belâtre Stradlater, les adultes comme "le père Spencer" son vieux professeur d'Histoire ou le bienfaiteur de l'école qui a fait fortune dans les pompes funèbres ou les filles qu'il croise sur sa route, mais il y a aussi de l'émotion, par exemple quand il parle de l'enfant merveilleux qu'était son frère Allie, décédé d'une leucémie à l'âge de 10 ans et quand il crève de solitude.
En fait, il ne se passe pas grand chose ; le roman évoque essentiellement les sentiments et les états d'âme du narrateur : sa révolte contre le conformisme ambiant, son ironie, son autodérision, sa solitude, son refus de grandir, son amour nostalgique pour son frère décédé et son affection admirative pour sa petite sœur.
Sans doute Sallinger a-t-il mis dans ce personnage une partie de lui-même et exprimé le mal de vivre qui le minait depuis la seconde Guerre mondiale. On sait que l'écrivain vécut en reclus pendant plus d'une cinquantaine d'années, n'accordant aucune interview et continuant à écrire, mais sans publier.
Il est assez étrange que le roman ait été taxé d'immoralité car Holden n'a rien d'un "dépravé", bien au contraire. C'est vrai qu'il est obsédé par le sexe, mais la sexualité lui fait peur et il refuse de considérer les femmes comme des objets comme le fait son copain Stradlater. D'ailleurs il ne se passe rien avec la prostituée dans l'hôtel à New York ; il se contente de parler avec elle.
Les critiques évoquent le contexte sociologique du roman : l'envers du "rêve américain", les années d'après-guerre aux Etats-Unis ou sa dimension psychologique : le portrait d'un adolescent typique. Certes, mais il me semble que le roman a une dimension plus universelle - la perte de l'innocence - qui explique la fascination qu'il continue à exercer plus de soixante ans après sa parution.
Au-delà de la dimension sociologique et psychologique ou psychanalytique, le roman aborde des thèmes existentialistes : la question de la relation à autrui (autrui comme moyen et autrui comme fin), la violence, l'épiphanie du visage : il y a un passage très "lévinassien" dans lequel Caufield explique que la pulsion de mort chez lui est paralysée par le visage de l'autre, le problème de l'authenticité, en relation avec la pensée de Sartre dans l'Être et le Néant et de Camus dans La Chute, la vérité , le mensonge, la différence entre le signifiant et le signifié dans le domaine de la religiosité, l'échange : l'argent comme fin et l'argent comme moyen, le dialogue, la banalité, le temps, la mort, la question de l'être... Ces thèmes ne sont pas abordés de façon abstraite, mais à travers des expériences existentielles concrètes : la mort du frère de Caufield, le comportement de ses camarades de lycée, de ses professeurs, de ses petites amies, de sa petite sœur, des deux religieuses rencontrées à la gare, du pianiste ou du barman de l'hôtel...
On ne peut s'empêcher de penser à Marc Twain (Huckleberry Finn), à J.M. Barrie (Peter Pan), à Louis-Ferdinand Céline (Le Voyage au bout de la nuit), voire à Kafka dans Amerika dont le héros a le même âge que Caufield.