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Milan Kundera, La plaisanterie, (Zert), traduction du tchèque par Marcel Aymonin, entièrement révisée par Claude Courtot et l'auteur, version définitive, Gallimard, 1985, collection Folio.

Milan Kundera est une figure de la littérature française et internationale. Il est né à Brno en Moravie en 1929. Son père était pianiste et musicologue. Il fait des études de littérature et d'esthétique puis s'oriente vers une école de cinéma. En 1952, il entre au Parti communiste, mais en est exclu pendant un an pour "agissements contre le pouvoir". Réintégré, il en est définitivement exclu en 1970.

Dans L'homme ce vaste jardin, recueil de poèmes lyriques, publié en 1953, il adopte une attitude implicitement critique face au "réalisme socialisme" et devient une figure du mouvement pour la liberté, avec la publication d'ouvrages où la critique se fait plus virulente.

Déchu de sa nationalité tchèque, il vient s'installer en France et trouve un poste de professeur à l'université de Rennes ; il entreprend alors la correction des traduction de ses divers ouvrages déjà parus en France. C'est en France qu'il signera ses plus grands succès et son chef-d'oeuvre L'insoutenable légèreté de l'être, paru en 1984. Il est le seul auteur vivant publié aux éditions de la Pléiade.

 

L'histoire  :

Ludvik Jahn, étudiant et militant communiste, est exclu du Parti, renvoyé de l'université et enrôlé de force dans l'armée avec les « noirs » (déviants politiques et ennemis de classe du régime socialiste tchèque) pour avoir inscrit sur une carte postale destinée à une jeune étidiante qu'il courtisait : « L'optimisme est l'opium du genre humain ! L'esprit sain pue la connerie ! Vive Trotski ! »

Roman polyphonique, il fait se croiser quatre destins ; outre celui de Ludvik, narrateur des deux tiers du livre, il donne ainsi la parole à son ancien meilleur ami Jaroslav, musicien attaché à la fois au socialisme — par pragmatisme — et aux traditions populaires de son pays la Moravie, dont il donne une description assez détaillée (en accord avec la conception du roman que revendique Kundera comme genre pouvant inclure tous les autres). La troisième narratrice est Helena, femme de Pavel, ancien ami de Ludvik, mais qui avait été à l'origine de son exclusion du Parti, et que Ludvik séduit par vengeance. Enfin, une autre connaissance de jeunesse, Kostka, apporte à l'histoire un point de vue de croyant.

Le retour final de Ludvik dans sa petite ville natale (qui commence aussi le roman : « Ainsi, après bien des années, je me retrouvais chez moi ») est l'occasion de la rencontre de la plupart des personnages, ainsi que d'une succession accélérée des narrateurs, dessinant comme la figure musicale de la « strette ».

Extrait :

"Je me rappelle qu'à la faculté nous étions alors organisés en "cercles d'études" qui se réunissaient fréquemment pour procéder à la critique et à l'autocritique publiques de tous leurs membres, à partir de quoi une note appréciative était établie sur le comportement de chacun. Comme tous les communistes, j'exerçais de multiples fonctions (j'occupais un poste important à l'Union des Etudiants) et comme, par ailleurs, mes études ne marchaient pas mal, une telle note appréciative ne pouvait me causer de grands ennuis. Pourtant, les formules élogieuses qui sanctionnaient mon activité, ma diligence, mon attitude positive à l'égard de l'Etat, du travail et ma connaissance du marxisme, étaient généralement assorties d'une phrase relevant que ma personnalité attestait des "résidus d'individualisme". Pareille réserve n'était pas nécessairement inquiétante, car le bon usage voulait que l'on insérât une observation critique dans les notes personnelles les plus brillantes, à celui-ci on reprochait un "faible intérêt pour la théorie révolutionnaire", à celui-là "de la froideur envers autrui", à un autre son manque de "vigilance et de circonspection", à tel autre enfin le "mauvais comportement à l'égard des femmes" ; bien entendu, dès l'instant qu'une restriction de ce genre n'était plus isolée, qu'une autre venait la corser, ou bien s'il advenait qu'on se vît mêlé à quelque conflit ou encore que l'on fût une cible de suspicion ou de dénigrement, les "résidus d'individualisme" ou le "mauvais comportement à l'égard des femmes" pouvaient devenir un germe de catastrophe. Et, comme une étrange fatalité, un tel germe veillait sur la fiche de renseignements de chacun, oui, de chacun d'entre nous." (p. 51)

Milan Kundera évoque ce que lui a coûté  La plaisanterie

"Un jour, en 1961, je suis allé voir des amis dans la région minière où autrefois j'avais vécu. Ils m'ont raconté l'histoire d'une jeune ouvrière arrêtée et écrouée parce qu'elle volait, pour son amant, des fleurs dans les cimetières. Son image ne me quittait pas, et devant mes yeux se dessinait le destin d'une jeune femme pour qui l'amour et la chair étaient mondes séparés, pour qui la sexualité se trouvait à l'opposé de l'amour. Une autre image se joignait en contrepoint à celle de la voleuse de fleurs : un long acte d'amour qui n'était en réalité qu'un superbe acte de haine. Ainsi est né l'idée de mon premier roman, que j'ai achevé en décembre 1965 et intitulé La plaisanterie."

Les rédacteurs de la maison d'édition pragoise dirigée par l'Union des écrivains l'aimèrent tout de suite, mais le manuscrit devait être soumis au bureau de la censure. Une année durant, je ne sais combiend de fois, j'y fus convoqué. On me demandait de profondes transformations, d'immenses coupures. Je refusais chaque fois de changer quoi que ce soit et, curieusement, les exigences des apparatchiks diminuaient d'un entretien à l'autre. Histoire aujourd'hui à peine croyable : dans les années soixante, par sa force de contagion, la mentalité libérale décomposait le système, culpabilisait le pouvoir, en sorte que même les censeurs ne censuraient plus comme il fallait ; à la grande surprise de tous, le manuscrit fut un jour envoyé à l'imprimerie tel quel.

Une fois édité (c'était au printemps 1967), le roman fut accueili avec une faveur quasi unanime et l'Union des écrivains tchèques lui décerna son prix de l'année 1968. Auteur jusqu'alors peu connu, j'ai vu, dans un court délai, trois éditions rapidement épuisées et le titrage glmobal atteindre 120 000 exemplaires. Un an après, l'invasion russe bouleversa tout. La plaisanterie fut couvert d'injures au cours d'une longue campagne de presse, interdit (ainsi que mes autres livres) et retiré des bibliothèques publiques..."

Alain Finkielkraut évoque La plaisanterie dans Un coeur intelligent :

"On n'a pas besoin de la littérature pour apprendre à lire. On a besoin de la littérature pour soustraire le monde réel aux lectures sommaires, que celles-ci soient le fait du sentimentalisme facile ou de l'intelligence implacable. La littérature nous apprend à nous défier des théorèmes de l'entendement et à substituer au règne des antinomies celui de la nuance. Elle répudie le mélodrame et elle rappelle, pour le dire avec les mots pascaliens de Constantin Noïca, "qu'aucune réussite de l'esprit de géométrie ne saurait absoudre l'homme de ses responsabilités envers l'esprit de finesse." (La muflerie du vrai, lecture de Washington square de Henry James)
Mais il arrive aussi que le lecteur "ne comprenne pas la plaisanterie" ("L'homme pense, Dieu rit"), ou que la lumière de l'intelligence peine à toucher les coeurs enténébrés : "Défiant, au nom du droit au désir, les conventions sociales, les institutions politiques et le principe de rendement, nous nous sommes identifiés aux malheurs de Ludvik (le "héros" de La Plaisanterie, communiste fervent, relégué dans un camp par ses "camarades" à cause d'une innocente "plaisanterie") et nous l'avons célébré comme l'un des nôtres. Tout à notre reconnaissance, nous avons occulté le fait, pourtant flagrant, qu'il était une victime non de l'Etat ou du système, mais de l'ardeur insurrectionnelle."
Ce même Ludvik qui découvre avec effroi que les "écussons noirs" (les prisonniers politiques) reproduisent dans le camp vis-à-vis d'un camarade plus vulnérable l'ostracisme dont ils ont eux-mêmes été les victimes : "Les écussons noirs se sont montrés capables de traquer un homme comme la collectivité qui avait chassé Ludvik et peut-être, pense-t-il, comme toute collectivité humaine. Autrement dit, il n'y a pas d'union sans union sacrée et pas d'union sacrée sans victime expiatoire. Privée de l'aliment de la haine, la fraternité dépérirait : pour exister, elle a besoin de chair fraîche."
 

 

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