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Joseph Klatzmann, L'humour juif, Presses universitaires de France, 1998 

Joseph Klatzmann, né le  à Paris XIVe, mort le  à l'hôpital de la Pitié-Salpêtrière, est un résistantingénieur agronome, professeur de statistique français. Il a consacré sa carrière à l'économie rurale, notamment celle du jeune État d'Israël, et à la vulgarisation de la statistique et de la démographie.

"Rire pour ne pas pleurer » : l'humour juif est un mécanisme de défense, dans lequel l'autodérision tient une place importante. Cet ouvrage éclaire l'origine de nombre dhistoires juives en rappelant les conditions de vie, les persécutions affrontées par les Juifs, et en décrivant leurs aspirations, différentes selon les pays et les époques. Ce livre, qui passe en revue les principaux thèmes et personnages de l'humour juif, à travers un recueil de ses histoires les plus savoureuses, des plus classiques aux moins connues, permettra au lecteur d'apprécier pleinement une forme de pensée qui inspira à Freud, dans Le mot d'esprit et sa relation à l'inconscient, des pages célèbres."

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Pas de "s" à "arrête" (deuxième personne de l'impératif des verbes du premier groupe !)

"Pour qu'une histoire fasse partie, sans aucun doute, de l'humour juif, il faut qu'elle concerne des problèmes propres aux Juifs et qu'elle ait été inventée par des Juifs (mais il peut arriver que des histoires qui ne font pas partie de l'humour juif aient quelque chose de juif dans le regard qu'elles portent sur le monde).

Par ailleurs, ce n'est pas par hasard qu'une grande partie des histoires qui appartiennent à l'humour juif ont été crées en yiddish, cette langue que parlaient les Juifs d'Europe orientale et d'Europe centrale et qui a une saveur toute particulière. Celui qui la parle reconnaît le caractère juif d'une anecdote, même s'il la trouve dans un texte où elle n'est pas présentée comme telle. Les histoires sur le comportement envers l'argent se retrouvent dans le folklore antisémite comme dans l'humour juif, mais ce sont rarement les mêmes et il est généralement facile de faire la distinction (...)

Dans certains cas, lorsque les histoires racontées par des Juifs reprennent les thèmes des histoires antisémites, par exemple sur l'avidité pour l'argent et sur la malpropreté, elles le font avec exagération, en poussant les choses à l'absurde. cela revient, en somme, à se moquer des antisémites, mais sous une forme indirecte - ce qui risque d'ailleurs de n'être pas compris par bien des non-Juifs. Mais le style de l'histoire antisémite poussé à l'extrême n'est qu'un aspect mineur de l'humour juif.

Quant à l'autodérision, il faut prendre garde à ne pas mal l'interpréter. Le plus souvent, quand on se moque de soi-même, comme dans les histoires sur les mères juives ou sur l'accent yiddish des immigrants juifs aux Etats-Unis et en France, c'est avec indulgence ou même tendresse.

On me reprochera peut-être d'avoir employé le mot "antisémite" pour caractériser les histoires juives inventées par les non-Juifs. Après tout, il existe bien des histoires écossaises, auvergnates, marseillaises, corses, belges et les intéressés en rient parfois eux-mêmes. Mais la différence est que l'antisémitisme, qui a conduit à des persécutions et à des massacres, a pu être renforcé par la diffusion des "histoires juives".

L'objet de ce livre, qui s'adresse aux non-Juifs autant qu'aux Juifs, est certes en partie de raconter des histoires pour faire rire, mais plus encore de faire comprendre comment elles sont nées et ce qu'elles signifient. détachées de son contexte, la meilleure des histoires peut perdre tout son intérêt ou même devenir incompréhensible..."

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Pour illustrer la définition de Popeck :

"Mon rabin parle avec Dieu chaque semaine", dit une femme à une amie.

"Ce n'est pas possible. C'est un menteur !"

"Dieu parlerait à un menteur ?" répond la femme.

Deux histoires juives des années 30 :

"Dans une agence de voyages, un Juif doit choisir vers quel pays il veut émigrer. l'employé lui montre un globe terrestre et commente les perspectives dans différents pays : ici, on refuse l'entrée des Juifs ; là, toute la population vit dans la misère ; ailleurs, les Juifs sont persécutés - et ainsi de suite. Il n'y aucune solution. Le Juif regarde alors tristement le globe et demande : "Vous n'en avez pas un autre ?"

Un Juif rencontre à la terrasse d'un café un de ses amis en train de lire Der Stürmer, journal violemment antisémite.

"Comment peux-tu lire une telle horreur ?" lui dit-il.

Son ami lui répond : "Quand je lis un journal juif, je ne trouve que des nouvelles tristes et des catastrophes. Partout de l'antisémitisme, des persécutions ; les portes qui se ferment aux Juifs qui veulent quitter leur pays. Dans ce journal au contraire, j'apprends que nous dominons le monde, que nous tenons entre nos mains la banque, la finance, la presse. C'est autrement réconfortant !"

Et une dernière pour la route :

Le premier Juif, Moïse a dit : "Tout est loi."

Le deuxième juif, Jésus, a dit : "Tout est amour."

Le troisième juif, Marx, a dit : "Tout est argent."

Le quatrième juif, Freud, a dit : "tout est sexe."

Le cinquième Juif, Einstein, a dit : "Tout est relatif."

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Sigmund Freud, Le mot (ou le trait) d'esprit et ses rapports avec l'inconscient (Der Witz und seine Beziehung zum Unbewussten), traduit de l'allemand par Marie Bonaparte et le Dr. M. Nathan, NRF, Gallimard.

Les traits d'esprit (Witz) procurent du plaisir. En quoi consiste ce plaisir ? D'où vient-il ? Selon Freud, la plupart des traits d'esprit expriment une idée et un affect refoulés sous une forme déguisée, selon des processus analogues au travail du rêve (Traumarbeit), qui déjouent la censure du surmoi : déplacement, condensation, représentation par le contresens, par le contraire, par la représentation indirecte, etc.

Freud rapproche le plaisir des traits d'esprit d'un état d'esprit "euphorique", antérieur aux conditionnements sociaux, celui de l'enfance.

Les sujets qui déclenchent le rire (ou le sourire) sont relativement restreints : l'argent, le pouvoir, la sexualité (le corps), la religion, les "minorités", la bêtise, les défauts des autres, bref, les sujets "épineux" dont on ne doit parler qu'avec précaution et que la conscience a tendance à refouler.

Le trait d'esprit permet de déjouer la censure du surmoi et de décharger une partie de l'énergie psychique refoulée en exprimant le refoulé de manière "acceptable".

Freud distingue entre l'esprit, le comique et l'humour. L'esprit, selon lui a un rapport avec l'inhibition (c'est-à-dire la censure et le refoulement), le comique avec la représentation et l'humour avec le sentiment. Le plaisir de l'esprit est conditionné par l'épargne de la dépense nécessitée par l'inhibition (le mot d'esprit est une levée partielle de l'inhibition), le plaisir du comique est conditionné par l'épargne de la dépense nécessitée par la représentation et le plaisir de l'humour par l'épargne de la dépense nécessitée par le sentiment. La plaisir se traduit et se mesure par le rire. Au fond, le trait d'esprit est un lapsus réussi. 

"Dans les trois modes de fonctionnement de notre appareil psychique, le plaisir découle d'une épargne ; tous trois s'accordent sur ce point : ils représentent des méthodes permettant de regagner, par le jeu de notre activité psychique, un plaisir qu'en réalité le développement seul de cette même activité nous avait fait perdre. Car cette euphorie, à laquelle nous nous efforçons par là d'atteindre, n'est rien d'autre que l'humeur d'un âge où notre activité psychique s'exerçait à peu de frais, l'humeur de notre enfance, temps auquel nous ignorions le comique, étions incapables d'esprit et n'avions que faire de l'humour pour goûter la joie de vivre." (op. cité, p. 397)

Freud insiste également sur le fait que le plaisir du "Witz" (trait d'esprit) suppose une connivence avec autrui et des connaissances partagées : le rire est un phénomène collectif et communicatif.

Ceci dit, on ne rit pas de n'importe quoi, n'importe où et  avec n'importe qui : ce qui fera rire dans tel milieu passera pour une insulte ou une grossièreté dans tel autre.

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"Dans une pièce des Reisebilder (Tableaux de Voyage), intitulée Les bains de Lucques, H. Heine profile les traits du buraliste de loterie et chirurgien pédicure Hirsche-Hyacinthe de Hambourg. Cet homme, en présence du poète, se targue de ses relations avec le riche baron de Rothschild et termine par ces mots : "Docteur, aussi vrai que Dieu m'accorde ses faveurs, j'étais assis à côté de Salomon Rotschild et il me traitait tout à fait d'égal à égal, de façon famillionnaire."  (p. 28-32)

Le trait d'esprit est fondé ici sur une "condensation" de deux termes : "familière" et "millionnaire", formant un "mot-valise" : famillionnaire. "il me traitait tout à fait d'égal à égal, de façon tout à fait famillionnaire condense l'idée suivante : moi qui ne suis qu'un pauvre Juif, le baron de Rothschild, l'un des hommes les plus riches du monde me traitait comme quelqu'un de sa propre famille, aussi familièrement que peut le faire un millionaire. Le "gain" (ou l'épargne) pris sur la censure et le refoulement consiste ici en un plaisir pris sur un interdit concernant les lois du langage (l'interdiction de former des mots qui n'existent pas) et sur la condensation de deux idées contraires."Famillionnaire" : Tout de passe comme si le Juif pauvre émettait le désir d'être riche (millionnaire) et de faire partie de la famille du baron de Rothschild.

"Lorsque Flaubert publia son célèbre roman Salambô qui avait pour théâtre Carthage, Sainte-Beuve traita ironiquement ce roman de "carthaginoiserie". (p. 35).   

Le principe est le même que pour "famillionnaire" ; "carthaginoiserie" : "mot-valise" formé sur Carthage et chinoiserie. Ce mot valise permet au critique Sainte-Beuve de faire valoir son esprit aux dépens d'un créateur dont il a des raisons de se montrer jaloux. 

M.N... disait au cours d'une conversation qui visait un homme digne de bien des blâmes et aussi de quelque louange : "Oui, la vanité est un de ses quatre talons d'Achille." (p. 40).

La légère modification explique Freud, consiste en ce qu'au lieu de l'unique talon d'Achille de la tradition légendaire, on en assigne quatre au héros du mot. Quatre talons impliquent quatre pieds, c'est-à-dire l'animalité. Aussi les deux pensées condensées dans ce mot d'esprit pourraient d'exprimer ainsi : Y. est un homme éminent en dehors de sa vanité ; mais il me déplaît car il est plutôt une bête qu'un homme." Le "gain" sur la censure et le refoulement consiste ici à se moquer d'une personnalité connue en usant de l'allusion.

Louis XV voulait mettre à l'épreuve l'esprit d'un de ses courtisans, dont on lui avait vanté le talent ; il lui ordonna de faire, à la première occasion, un mot d'esprit sur lui ; le roi lui-même disait-il, voulait lui servir de sujet ; le courtisan répondit par ce bon mot : "Le roi, sire, n'est pas un sujet." (p. 59).   

Ce trait d'esprit particulièrement réussi est fondé sur le double sens du mot "sujet" (syllepse de sens). Le plaisir que nous procure ce mot d'esprit est lié à l'habileté avec laquelle son auteur a su échapper à une situation périlleuse (le crime de lèse-majesté), tout se passant comme si le roi représentait ici le surmoi du "sujet". Il n'y a pas ici de "compromis", mais une "conduite d'évitement" remarquablement réussie.

Les odes de ce poète sont en poésie l'équivalent de ce que sont en prose, les oeuvres immortelles de Jacob Boehme, une sorte de pique-nique dans lequel l'auteur fournit les mots et le lecteur le sens." (Lichtenberg) (p. 139).   

Lichtenberg sous-entend que les odes du poète en question sont aussi obscures que les oeuvres "immortelles" de Jacob Boehme et qu'elles n'ont d'autre sens que celle que leur prête obligeamment le lecteur. 

Le "gain" réalisé par l'inconscient est multiple : briller aux yeux du lecteur, s'amuser aux dépens d'un poète médiocre, égratigner au passage une gloire nationale réputée pour sa "profondeur métaphysique", assimiler ladite "profondeur" à du non-sens et peut-être aussi se moquer de ses compatriotes, l'idée sous-entendue étant la suivante : pour les Allemands, tout ce qui est incompréhensible passe pour profond et ils n'ont garde d'avouer leur incompréhension car ils veulent passer pour intelligents.

"Tant que je n'ai pas bu, j'ai entendu, mais tout ce que j'ai entendu ne valait pas l'eau de vie." (un buveur à qui son médecin avait conseillé de s'arrêter de boire s'il ne voulait pas devenir sourd).

Freud explique que le comique de ce trait d'esprit vient en grande partie du fait que le lecteur, après réflexion, ne peut que convenir de sa justesse.

Deux Juifs se rencontrent au voisinage d'un établissement de bains : "As-tu pris un bain ?" demande l'un d'eux - "Pourquoi ? dit l'autre, il en manque un ?"(p. 78-81)

Quelle est la technique de ce trait d'esprit ? demande Freud. Apparemment, c'est l'emploi du double sens du mot "prendre". Dans l'un, le mot "prendre" est un passe-partout décoloré ; dans l'autre, c'est le verbe dans son plein sens. C'est donc un cas où le même mot est pris au sens plein et au sens vidé de son sens. Pour supprimer l'esprit, il suffit de remplacer "prendre un bain" par l'expression équivalente, mais plus simple : "se baigner". La réponse ne porte plus. L'esprit réside donc dans l'expression "prendre un bain".

C'est juste, mais il semble que, dans ce cas aussi, la réduction ne s'applique pas là où il faut. L'esprit ne réside pas dans la question mais bien dans la réplique, ou plutôt dans la question posée en manière de réponse : "Comment ? En manquerait-il un ?" Et aucune amplification ni aucune modification, pourvu qu'elle ne touche point à son sens, ne peut dépouiller cette réponse de son esprit. Nous avons l'impression que, dans la réponse du deuxième juif, le fait de ne pas comprendre l'idée de bain importe plus que le malentendu sur le mot "prendre". 

La technique de l'esprit consiste à déplacer l'accent de "bain" sur "pris".

Deux Juifs se rencontrent en wagon dans une station de Galicie. "Où vas-tu ?" dit l'un. "A Cracovie", dit l'autre - Quel menteur ! s'exclame l'autre. Tu dis que tu vas à Cracovie pour que je croie que tu vas à Lemberg. Mais je sais bien que tu vas à Cracovie. (p. 189-190) 

Le comique est fondé sur un non-sens, l'interlocuteur du Juif qui se rend à Cracovie accusant ce dernier de l'induire en erreur en lui disant la vérité.

"L'effet de cette savoureuse histoire, qui semble d'une subtilité exagérée, est apparemment dû à la technique du contresens. Le second Juif se fait imputer à mensonge sa déclaration qu'il va à Cracovie, ce qui est pourtant la vérité. Ce puissant procédé technique (le contresens) se combine cependant à un autre, la représentation par le contraire ; en effet, d'après l'affirmation incontestée du premier, le second ment quand il dit la vérité et dit la vérité au moyen d'un mensonge. Or, le sérieux de cette histoire consiste dans la recherche d'un criterium de la vérité ; à nouveau l'esprit conduit à un problème et exploite l'incertitude d'une de nos conceptions courantes. Est-ce dire la vérité que de présenter les choses telles qu'elles sont, sans se préoccuper de la façon dont l'auditeur entendra  ce qu'on dit ? N'est-ce peut-être qu'une vérité jésuitique, et la réelle sincérité ne consiste-t-elle pas plutôt à tenir compte de la personne de l'auditeur et à lui fournir un titrage fidèle de son propre savoir ? Je considère ces mots d'esprit comme suffisamment différents des autres pour leur assigner une rubrique spéciale. Ils s'attaquent non pas à une personne ou à une institution, mais à la certitude de notre connaissance elle-même, qui fait partie de notre patrimoine spéculatif. Le nom le plus approprié à ce type d'esprit serait celui "d'esprit sceptique". 

Les histoires de marieurs étaient très répandues dans le folklore juif. Le marieur demande : "Que réclamez-vous pour votre fiancée ?" Réponse : "Je la veux belle, je la veux riche, je la veux instruite." "Fort bien, dit le marieur, mais cela fait trois partis."

L'humour de cet échange est fondé sur un sous-entendu mysogyne : une femme ne peut pas être à la fois belle, riche et instruite. Le mot d'esprit, comme le rêve permet donc d'exprimer des idées inconvenantes ou "politiquement incorrectes" par allusion et de les rendre ainsi  "acceptables", le soin de l'interprétation et le plaisir narcissique d'en comprendre le sens ("cela fait trois partis") étant laissé à l'auditeur.

 

 

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