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Gustave Flaubert, Madame Bovary, préface de Maurice Nadeau

Gustave Flaubert

Né le 12 decembre 1821 à Rouen, le romancier Gustave Flaubert reste une figure à part de la littérature française du XIXème siècle. Son héroïne Madame Bovary a donné son nom au comportement qui consiste à fuir dans le rêve l'insatisfaction éprouvée dans la vie : le bovarysme. L'écriture, pour Gustave Flaubert, est le fruit d'une enquête minutieuse et d'un labeur acharné. Maître malgré lui du mouvement réaliste et inspirateur des naturalistes, il suscitera l'admiration de Proust, l'intérêt de Sartre et influencera jusqu'au nouveau roman. Son travail littéraire commence avec la rédaction d'une autobiographie, Mémoires d'un fou, en 1838. Après deux années d'études de droit sans conviction à Paris, Flaubert fait ce qui ressemble à une crise d'épilepsie en janvier 1844. Il retourne chez ses parents, et se réfugie dans l'écriture. Entre 1845 et 1851, Flaubert voyage beaucoup : d'abord en Italie, puis en Bretagne (1847) et en Orient (1849-1851). À son retour, il a l'idée d'écrire Madame Bovary, qui lui prendra cinq ans. En 1856, c'est le scandale : Madame Bovary, publié en feuilleton, déclenche les foudres de la censure : Flaubert doit comparaître en justice pour immoralité. Il est acquitté et le roman connaît un franc succès. Dès 1857, Flaubert se remet à écrire ; cinq ans plus tard, c'est Salambô qui voit le jour. L'éducation sentimentale (1869) est peu apprécié de la critique. À partir de 1869, la vie de Flaubert prend un tour très sombre : il perd de nombreux amis ainsi que sa mère, et doit de surcroît payer les dettes de sa nièce. Il travaille une troisième fois à son manuscrit de la Tentation de saint Antoine, qui est enfin publié en 1874. Pour subvenir aux besoins de sa nièce et de son mari, Flaubert doit écrire vite. Il se lance dans la conception d'une pièce de théâtre, Le Candidat, en 1872 ; une satire politique montée au théâtre du Vaudeville en mars 1874 : c'est un cuisant échec. Il écrit alors et publie en 1877 Trois Contes. De plus en plus fatigué par ses crises, il succombe à une attaque nerveuse le 8 mai 1880. Œuvres principales : Madame Bovary (1857), Salammbô (1862), l'Éducation sentimentale (1869), Trois Contes (1877), Bouvard et Pécuchet (posthume, 1881). (source : dictionnaire Larousse)

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Gustave Courbet, Un enterrement à Ornans (1849-1850)

"On se tenait aux fenêtres pour voir passer le cortège. Charles, en avant, se cambrait la taille. Il affectait un air brave et saluait d'un signe ceux qui, débouchant des ruelles ou des portes, se rangeaient dans la foule.

Les six hommes, trois de chaque côté, marchaient au petit pas et en haletant un peu. Les prêtres, les chantres et les deux enfants de choeur récitaient le De profundis ; et leurs voix s'en allaient sur la campagne, montant et s'abaissant avec des ondulations. Parfois ils disparaissaient aux détours du sentier ; mais la grande croix d'argent se dressait toujours entre les arbres.

Les femmes suivaient, couvertes de mantes noires à capuchon rabattu ; elles portaient à la main un gros cierge qui brûlait, et Charles se sentait défaillir à cette continuelle répétition de prières et de flambeaux, sous ces odeurs affadissantes de cire et de soutane. Une brise fraîche soufflait, les seigles et les colzas verdoyaient, des gouttelettes de rosée tremblaient au bord du chemin, sur les haies d'épines. Toutes sortes de bruits joyeux emplissaient l'horizon : le claquement d'une charrette roulant au loin dans les ornières, le cri d'un coq qui se répétait ou la galopade d'un poulain que l'on voyait s'enfuir sous les pommiers. Le ciel pur était tacheté de nuages roses ; des fumignons bleuâtres se rabattaient sur les chaumières couvertes d'iris ; Charles, en passant, reconnaissait les cours. Il se souvenait de matins comme celui-ci, où, après avoir visité quelque malade, il en sortait, et retournait vers elle.

Le drap noir, semé de larmes blanches, se levait de temps à autre en découvrant la bière. Les porteurs fatigués se ralentissaient, et elle avançait par saccades continues, comme une chaloupe qui tangue à chaque flot.

On arriva.

Les hommes continuèrent jusqu'en bas, à une place dans le gazon où la fosse était creusée.

On se rangea tout autour ; et, tandis que le prêtre parlait, la terre rouge, rejetée sur les bords, coulait par les coins, sans bruit, continuellement.

Puis, quand les quatre cordes furent disposées, on poussa la bière dessus. Il la regarda descendre. Elle descendait toujours.

Enfin on entendit un choc ; les cordes en grinçant remontèrent. Alors Bournisien prit la bêche que lui tendait Lestiboudois ; de sa main gauche, tout en aspergeant de la droite, il poussa vigoureusement une large pelletée ; et le bois du cercueil, heurté par les cailloux, fit ce bruit formidable qui nous semble être le retentissement de l'éternité.

L'ecclésiastique passa le goupillon à son voisin. C'était M. Homais. Il le secoua gravement, puis le tendit à Charles, qui s'affaissa jusqu'aux genoux dans la terre, et il en jetait à pleines mains tout en criant : « Adieu ! » Il lui envoyait des baisers ; il se traînait vers la fosse pour s'y engloutir avec elle.

On l'emmena ; et il ne tarda pas à s'apaiser, éprouvant peut-être, comme tous les autres, la vague satisfaction d'en avoir fini."

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Eléments pour l'introduction : l'oeuvre - l'auteur - la situation du passage dans l'oeuvre - la thème du passage - le registre - la situation d'énonciation - le point de vue narratif

Né le 12 décembre 1821 à Rouen, Gustave Flaubert reste une figure à part de la littérature française du XIXème siècle.

Ce texte est extrait de son roman le plus célèbre, Madame Bovary, paru en 1856 dont le titre original est Madame Bovary : Mœurs de province. Son héroïne a donné son nom au comportement qui consiste à fuir dans le rêve l'insatisfaction éprouvée dans la vie : le bovarysme.

Ce passage se situe vers la fin du roman. Il évoque l'enterrement d'Emma qui s'est suicidée par désespoir.

Problématique :

En quoi ce texte relève-t-il de l'esthétique "réaliste" (ou "anti-romantique") ? (On comparera à ce propos cet extrait à l'évocation des funérailles d'Atala dans le roman éponyme de Chateaubriand.)

Axes d'étude :

Nous étudierons les éléments de la description, puis le rythme du récit  et enfin l'évocation des réactions des personnages.

Le registre est essentiellement réaliste ; il s'agit de l'évocation objective, neutre d'un enterrement en province, mais devient légèrement satirique quand le narrateur dépeint le comportement de Charles au début du texte, puis du curé Bournisien et de M. Homais vers la fin, et pathétique quand il évoque le chagrin de Charles Bovary dans le cimetière.

L'énoncé n'est pas ancré dans la situation d'énonciation. Le texte est écrit à la troisième personne du singulier ; le narrateur est hétérodiégétique, le point de vue est tantôt externe, tantôt interne : le monde est perçu à travers le regard de Charles Bovary.

Le texte comporte deux parties : l'évocation du cortège funèbre ; l'arrivée au cimetière et l'inhumation d'Emma.

 Les types de textes utilisés :

Le texte comporte des éléments de narration et de description, ainsi que des paroles rapportées.

Les champs lexicaux et/ou les concepts-clés :

La liturgie des défunts : "cortège", prêtres", "chantres","enfants de choeur", de Profundis", croix d'argent", mantes noires", cierge", prères", "flambeaux", cire", "soutane", drap noir", "larmes blanches", "bière" (deux fois), porteurs", fosse", prêtre", cordes", bêche", "aspergeant", "cercueil", "éternité", "l'écclésiastique", "goupillon", "fosse" (deux fois).

La nature : "brise", "seigles", "colzas", rosée", "haies d'épines", coq", "poulain", "pommiers", "ciel", "nuages", "iris", gazon", "terre" (rouge"), "terre".

La campagne : "campagne", "sentier", seigles, "colzas, chemin", haies d'épines", charrette", "coq", "poulain", "pommiers", "chaumières" "cours"

La vue : "les seigles et les colzas verdoyaient", "des goutelettes de rosée tremblaient au bord du chemin" sur les haies d'épines", "le ciel pur était tacheté de nuages roses", "des flumignons bleuâtres se rabattaient sur les chaumières couvertes d'iris"...

L'odorat : "odeurs (affadissantes de cire et de soutane)"

L'ouïe : "récitaient", "voix", "répétition (de prières et de flambeaux)", "claquement", "cri" (d'un coq), "galopade" (d'un poulain), "sans bruit" (la terre rouge coulait sans bruit), "choc", "en grinçant", "heurté par les cailloux", "bruit formidable", "en criant"

Le toucher : "soufflait" (une brise fraîche soufflait)

Le mouvement : on remarque un très grand nombre de verbes d'action comme : "passer", "débouchant", "se rangeaient", "marchaient" (au petit pas)", s'en allaient (leurs voix s'en allaient'), "montant", "s'abaissant", "disparaissaient", "suivaient", roulant" (au loin dans les ornières), "galopade", "s'enfuir", "se rabattaient", "en passant", sortait", "retournait" ("il en sortait et retournait vers elle"), "se levait" ("le drap noir se levait"), "se ralentissaient" ("les porteurs fatigués se ralentissaient"), "elle avançait", "arriva" (on arriva), "tangue" (comme une chaloupe qui tangue), "continuèrent" ("les hommes continuèrent jusqu'en bas"), "se rangea" ("on se rangea"), "rejetée" (la terre rouge rejetée sur les bords), "coulait" (la terre rouge coulait), "poussa" ("on poussa la bière dessus"), "descendre" (Il la regardé descendre), "descendait" (elle descendait toujours), "remontèrent" ("les cordes en grinçant remontèrent"), "poussa" ("il poussa vigoureusement une large pelletée"), "secoua" ("il le secoua gravement"), "s'affaissa" ("il s'affaissa jusqu'aux genoux dans la terre"), "jetait" ("il en jetait à pleines mains"), "se traînait" (il se traînait vers la fosse), "emmena" ("on l'emmena").

Les figures de style lexicales et grammaticales :

La rareté relative des figures de style correspond au réalisme du texte.

L'adjectivation : "air brave", "les six hommes, trois de chaque côté", "au petit pas", "la grande croix d'argent", "mantes noires", à capuchon rabattu", "un gros cierge", "continuelle répétition", "odeurs affadissantes", brise fraîche", "bruits joyeux", "ciel pur", flumignons bleuâtres", "drap noir", "larmes blanches", "porteurs fatigués", "saccades continues", "terre rouge", "rejetée sur les bords", "quatre cordes", "main gauche", "main droite", "large pelletée", "bruit formidable", "pleines mains", "vague satisfaction".

Les adjectifs donnent des informations le plus souvent quantitatives (quatre, grande, gros), plus rarement qualitatives (petits, continuelle, affadissantes, fraîche...) ; les adjectifs de couleur (noires, bleuâtres, blanches, rouge) renforcent l'effet pittoresque, au sens propre du terme (digne d'être peint). L'emploi et la nature des adjectifs qualificatifs renforce l'effet réaliste. Les adjectifs sont le plus souvent employés au sens propre (cf. les travaux de Jean Cohen sur la "poéticité"), sauf l'adjectif "joyeux" qui est employé en hypallage (ce ne sont pas les bruits qui sont "joyeux", mais ceux qui les entendent).

Il y a une sorte de "poésie (ou de "chant) du monde qui ne s'exprime pas dans des figures de style, comme dans la poésie traditionnelle. Ce "chant" n'a absolument rien à voir avec l'enterrement d'Emma (comparer avec le texte de Chateaubriand), auquel la nature est joyeusement indifférente.

Une hypotypose (description très vivre qui met une scène pour ainsi dire sous les yeux). Il s'agit ici d'une description itinérante.

L'hypotypose (du grec ancien ὑποτύπωσις/hupotúpôsis, « ébauche, modèle ») est une figure de style consistant en une description réaliste, animée et frappante de la scène dont on veut donner une représentation imagée et comme vécue à l'instant de son expression. L'auteur fait littéralement participer le lecteur à l'enterrement d'Emma.

Une comparaison : "Les porteurs fatigués se ralentissaient, et elle (la bière) avançait par saccades continues, comme une chaloupe qui tangue à chaque flot.". La bière (le cercueil) est comparée à un bateau roulé par les vagues.

Des asyndètes : Il y a très peu de mots de liaison. L'asyndète permet de renforcer l'effet de contraste entre la tristesse de la scène et  la gaieté de la nature. "Une brise fraîche soufflait, les seigles et les colzas verdoyaient, des goutelettes de rosée tremblaient au bord du chemin, sur les haies d'épines", "Toutes sortes de bruits joyeux emplissaient l'horizon (...) "à chaque flot."

Avec le verbe "engloutir" ("il se traînait vers la fosse pour s'y engloutir avec elle"), la comparaison du cercueil à une chaloupe crée une isotopie du "naufrage".

L’asyndète, du grec α, a, privatif, σύν, sun (« ensemble ») et δειν, dein (« lier »), soit : « absence de liaison », est une figure de style fondée sur la suppression des liens logiques et des conjonctions dans une phrase, comme dans cette parole de Jules César : « Je suis venu, j'ai vu, j'ai vaincu ». Elle permet d'ajouter du rythme à une phrase, de créer une accumulation, ou encore de rapprocher des mots ou des sons de façon à en renforcer le contraste. L'asyndète est un type de parataxe qui peut s'apparenter également à une ellipse. En prose latine classique elle marque souvent une forte opposition. Très utilisée en poésie, notablement par Arthur Rimbaud, l'asyndète est également une figure de la narration et de l'essai. Des slogans publicitaires et des proverbes sont des exemples d'asyndètes courtes.

Une allégorie : "il fit ce bruit formidable qui nous semble être le retentissement de l'éternité." Le narrateur s'adresse au lecteur en le prenant à témoin ("nous") et assimile le choc de la terre et des cailloux sur le cercueil à la voix de Dieu.

C'est le seul moment du texte où le narrateur semble déroger au parti pris réaliste. Mais le réalisme peut tout aussi bien consister à évoquer des sentiments de saisissement devant le "mystère de la mort" (le narrateur ne dit pas que le choc de la terre et des cailloux sur le cercueil est le retentissement de l'éternité, mais qu'il "semble" l'être) ou des comportements extrêmes, comme la façon dont Charles manifeste son chagrin. Autrement dit, le réalisme ne réside pas dans le thème, mais dans le propos.

Des énumérations : "une brise fraîche soufflait, les seigles et les colzas verdoyaient, des goutelettes de rosée tremblaient au bord du chemin sur les haies d'épines" - le claquement d'une charrette roulant au loin dans les ornières, le cri d'un coq qui se répétait ou la galopade d'un poulain que l'on voyait s'enfuir sous les pommiers" - "Le ciel pur était tacheté de nuages roses, des flumignons bleuâtres se rabattaient sur les chaumières couvertes d'iris..."

Les niveaux de langue :

Lexique patoisant : "lumignon" - mots prosaïques, concrets, réalistes : "se cambrer", saluer", haleter", "marcher à petits pas", "réciter", gros cierge", "odeurs affadissantes", "cire", "soutane", "cours", "bière", "descendre", "fatigués", chaloupe", "goupillon, "terre", "bêche", "asperger", "pousser vigoureusement", "cordes", "bière", "cercueil", "cailloux", écclésiastique", secouer", genoux", fosse", "satisfaction". (comparer avec le lexique utilisé par Chateaubriand dans "Les funérailles d'Atala" ; cf. texte ci-dessous)

Les temps et les modes et leur valeur d'aspect

imparfaits : actions de second plan à durée indéterminée (imparfaits à valeur descriptive) dans la première partie du texte depuis "On se tenait aux fenêtres pour voir passer le cortège" jusqu'à "qui tangue à chaque flot" : le cortège funèbre.

passés simples :  actions à durée déterminées de premier plan dans la seconde partie, à partir de "on arriva" : l'arrivée au cimetière et l'inhumation.

Le rythme :

Dans la première partie du texte, la durée de la narration recouvre celle de  l'action. Il s'agit d'une "scène". Dans la deuxième partie (à partir de "on arriva"), il y a une accélération du récit. La durée du récit est plus courte que celle des événements racontés. Il s'agit d'un "sommaire".

Les types de phrases :

Phrases déclaratives, une phrase exclamative (ponctuation expressive) : "Adieu !"

La structure des phrases.

Phrases simples (propositions indépendantes) : "On se tenait aux fenêtres pour voir passer le cortège.", "Charles, en avant, se cambrait la taille.", "Les six hommes, trois de chaque côté, marchaient au petit pas en haletant un peu.", "Le drap noir, semé de larmes blanches, se levait de temps à autre en découvrant la bière.", "On arriva", "Il la regarda descendre." "Elle descendait toujours.", "L'écclésiastique passa le goupillon à son voisin.", "C'était M. Homais.

Propositions indépendantes juxtaposées (asyndète) : "Une brise fraîche soufflait, les seigles et les colzas verdoyaient, des goutellettes de rosée tremblaient au bord du chemin, sur les haies d'aubépines." - "Enfin on entendit un choc ; les cordes en grinçant remontèrent.", "Il lui envoyait des baisers ; il se traînait vers la fosse pour s'y engloutir avec elle."

Phrases complexes à stucture ternaire (rares) : "Il affectait un air brave et saluait d'un signe ceux qui débouchant des ruelles ou des portes, se rangeaient dans la foule."

... ou le plus souvent à structure binaire : "Parfois ils disparaissaient aux détour du sentier ; mais la grande croix d'argent se dressait toujours entre les arbres." (propositions indépendantes coordonnées)

On remarque dans la deuxième partie du texte (à partir de "On arriva") la multiplication de phrases courtes : "on arriva", "Il la regarda descendre", "Elle descendait toujours", "L'écclésiastique passa le goupillon à son voisin.", "C'était M. Homais."

Propositions subordonnées relatives : "un gros cierge qui brûlait", "le cri d'un coq qui se répétait", "la galopade d'un poulain que l'on voyait s'enfuir sous les pommiers", "Il se souvenait de matins comme celui-ci, où, après avoir visité quelque malade...", "une place où la fosse était creusée", "la bêche que lui tendait Bournisien", "qui nous semble être le retentissement de l'éternité.", "qui s'affaissa jusqu'aux genoux dans la terre".

Avec les adjectifs qualificatifs et les compléments de détermination, les subordonnées relatives sont des expansions du nom ou du groupe nominal ; elles ont un rôle essentiellement informatif, elles précisent et enrichissent la description.

Les modalisateurs :

"peut-être" ("Eprouvant, peut-être, comme tous les autres, la vague satisfaction d'en avoir fini."), "affadissantes", fraîche", "joyeux", "formidable" - "nous semble être" - les deux adverbes vigoureusement" et "gravement" appliqués respectivement au curé Bournisien et à M. Homais apportent une touche satirique.

Les jeux sur les sonorités (allitérations et assonances)

"charrette roulant", "le cri d'un coq", "saccades continues", "chaloupe/chaque" (comme une chaloupe qui tangue à chaque flot), "de cire et de soutane", "larmes blanches", "le prêtre parlait", "terre rouge",

assonances : "roulant au loin dans les ornières"

Les assonances et les alliterations n'ont pas un effet poétique au sens traditionnel du terme, elles contribuent au réalisme. Il s'agit de produire une "musicalité concrète" qui donne à ressentir les bruits, les couleurs et les mouvements du monde sensible.

Proposition de plan :

I/ Les éléments de la description

a) Le cortège funèbre

b) Une nature joyeuse

II/ Le rythme du récit

a) Le cortège funèbre (une scène)

b) L'inhumation (un sommaire)

III/ Les réactions des personnages

a) L'effacement des sentiments (le primat des sensations)

b) Le comportement de Charles

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Lecture complémentaire :

Chateaubriand a traité de manière totalement différente un thème semblable dans son roman, Atala ou Les Amours de deux sauvages dans le désert, publié en 1801 : "Les funérailles d'Atala".

Notez l'idéalisation des sentiments (l'amour, la tristesse, la nostalgie...), la personnification de la nature, l'abondance et la variété des figures de style, le recours à un lexique soutenu (Chateaubriand ne parle pas par exemple d'enterrement, mais de "funérailles") et au sens figuré.

Ce texte met en évidence la différence entre l'esthétique réaliste de Flaubert et le romantisme de Chateaubriand dont Flaubert prend le contrepied dans Madame Bovary, publié un demi siècle plus tard, décrivant non sans ironie le personnage éponyme se délectant des "lamentations sonores des mélancolies romantiques".

"Comme elle écouta, les premières fois, la lamentation sonore des mélancolies romantiques se répétant à tous les échos de la terre et de l'éternité !" (Madame Bovary, I, 6.)

Atala, ou Les Amours de deux sauvages dans le désert est un roman publié en 1801 par l'écrivain français François-René de Chateaubriand. Sur les rives du Meschacebé, en Louisiane, est fixée la tribu des Natchez, qui accueille un Français nommé René. Chactas, un vieil Indien de cette tribu qui, sous Louis XV a visité la France, prend René en amitié au cours d'une chasse au castor et entreprend de lui conter les aventures de sa jeunesse. Chactas, fils adoptif d'un chrétien nommé Lopez, a été fait prisonnier à l’âge de 20 ans par une tribu ennemie, mais Atala, une jeune Indienne d’éducation chrétienne, l'a sauvé. Ils s’enfuient tous deux à travers la forêt et un terrible orage les oblige à s'abriter sous un arbre. Après avoir longtemps erré, ils rencontrent un missionnaire, le père Aubry, qui entreprend d’unir Chactas et Atala par les liens du mariage en convertissant Chactas au christianisme. Mais la mère d'Atala, pour lui sauver la vie alors qu'elle n'était pas encore née, avait promis devant Dieu pour sa fille que celle-ci resterait vierge. Malgré l'interdit doctrinal énoncé par sa propre religion, pour ne pas succomber à la tentation de Chactas et rester fidèle à la promesse de sa mère, Atala s'empoisonne, malgré son amour fort pour Chactas. Avant de mourir, elle apprend qu'elle aurait tout de même pu se marier avec Chactas en "annulant" la promesse de sa mère. Atala demande également à Chactas de se convertir au christianisme pour elle. La suite du récit d'Atala est en partie racontée dans le roman René…

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« Je n'entreprendrai point, ô René ! de te peindre aujourd'hui le désespoir qui saisit mon âme lorsque Atala eut rendu le dernier soupir. Il faudrait avoir plus de chaleur qu'il ne m'en reste ; il faudrait que mes yeux fermés se pussent rouvrir au soleil pour lui demander compte des pleurs qu'ils versèrent à sa lumière. Oui, cette lune qui brille à présent sur nos têtes se lassera d'éclairer les solitudes du Kentucky ; oui, le fleuve qui porte maintenant nos pirogues suspendra le cours de ses eaux avant que mes larmes cessent de couler pour Atala ! [...

Le religieux ne cessa de prier toute la nuit. J'étais assis en silence au chevet du lit funèbre de mon Atala. Que de fois, durant son sommeil, j'avais supporté sur mes genoux cette tête charmante ! Que de fois je m'étais penché sur elle pour entendre et pour respirer son souffle ! Mais à présent aucun bruit ne sortait de ce sein immobile, et c'était en vain que j'attendais le réveil de la beauté !

La lune prêta son pâle flambeau à cette veillée funèbre. Elle se leva au milieu de la nuit, comme une blanche vestale qui vient pleurer sur le cercueil d'une compagne. Bientôt elle répandit dans les bois ce grand secret de mélancolie qu'elle aime à raconter aux vieux chênes et aux rivages antiques des mers. De temps en temps le religieux plongeait un rameau fleuri dans une eau consacrée, puis, secouant la branche humide, il parfumait la nuit des baumes du ciel. Parfois il répétait sur un air antique quelques vers d'un vieux poète nommé Job ; il disait :

               "J'ai passé comme une fleur ;
                j'ai séché comme l'herbe des champs.
                Pourquoi la lumière a-t-elle été donnée à un misérable
                et la vie à ceux qui sont dans l'amertume du coeur ?"

Ainsi chantait l'ancien des hommes. Sa voix grave et peu cadencée allait roulant dans le silence des déserts. Le nom de Dieu et du tombeau sortait de tous les échos, de tous les torrents, de toutes les forêts. Les roucoulements de la colombe de Virginie, la chute d'un torrent dans la montagne, les tintements de la cloche qui appelait les voyageurs, se mêlaient à ces chants funèbres, et l'on croyait entendre dans les Bocages de la mort le choeur lointain des décédés, qui répondait à la voix du solitaire.

Cependant une barre d'or se forma dans l'orient. Les éperviers criaient sur les rochers et les martres rentraient dans le creux des ormes : c'était le signal du convoi d'Atala. Je chargeai le corps sur mes épaules ; l'ermite marchait devant moi, une bêche à la main. Nous commençâmes à descendre de rocher en rocher ; la vieillesse et la mort ralentissaient également nos pas. A la vue du chien qui nous avait trouvés dans la forêt, et qui maintenant, bondissant de joie, nous traçait une autre route, je me mis à fondre en larmes. Souvent la longue chevelure d'Atala, jouet des brises matinales, étendait son voile d'or sur mes yeux ; souvent, pliant sous le fardeau, j'étais obligé de le déposer sur la mousse et de m'asseoir auprès, pour reprendre des forces. Enfin, nous arrivâmes au lieu marqué par ma douleur ; nous descendîmes sous l'arche du pont. Ô mon fils ! il eût fallu voir un jeune sauvage et un vieil ermite à genoux l'un vis-à-vis de l'autre dans un désert, creusant avec leurs mains un tombeau pour une pauvre fille dont le corps était étendu près de là, dans la ravine desséchée d'un torrent. [...]

Nous retournâmes à la grotte, et je fis part au missionnaire du projet que j'avais formé de me fixer près de lui. Le saint, qui connaissait merveilleusement le coeur de l'homme, découvrit ma pensée et la ruse de ma douleur. Il me dit : "Chactas, fils d'Outalissi, tandis qu'Atala a vécu je vous ai sollicité moi-même de demeurer auprès de moi, mais à présent votre sort est changé, vous vous devez à votre patrie. Croyez-moi, mon fils, les douleurs ne sont point éternelles, il faut tôt ou tard qu'elles finissent, parce que le coeur de l'homme est fini ; c'est une de nos grandes misères : nous ne sommes pas même capables d'être longtemps malheureux. [...]

Telles furent les paroles de l'homme du rocher ; son autorité était trop grande, sa sagesse trop profonde, pour ne lui obéir pas. Dès le lendemain je quittai mon vénérable hôte, qui, me pressant sur son coeur, me donna ses derniers conseils, sa dernière bénédiction et ses dernières larmes. Je passai au tombeau, je fus surpris d'y trouver une petite croix qui se montrait au-dessus de la mort, comme on aperçoit encore le mât d'un vaisseau qui a fait naufrage. Je jugeai que le solitaire était venu prier au tombeau pendant la nuit ; cette marque d'amitié et de religion fit couler mes pleurs en abondance. Je fus tenté de rouvrir la fosse et de voir encore une fois ma bien-aimée ; une crainte religieuse me retint. Je m'assis sur la terre fraîchement remuée. Un coude appuyé sur mes genoux et la tête soutenue dans ma main, je demeurai enseveli dans la plus amère rêverie. Ô René ! c'est là que je fis pour la première fois des réflexions sérieuses sur la vanité de nos jours et la plus grande vanité de nos projets ! Eh, mon enfant ! qui ne les a point faites, ces réflexions ? Je ne suis plus qu'un vieux cerf blanchi par les hivers ; mes ans le disputent à ceux de la corneille : eh bien, malgré tant de jours accumulés sur ma tête, malgré une si longue expérience de la vie, je n'ai point encore rencontré d'homme qui n'eût été trompé dans ses rêves de félicité, point de coeur qui n'entretînt une plaie cachée. Le coeur le plus serein en apparence ressemble au puits naturel de la savane Alachua : la surface en paraît calme et pure, mais quand vous regardez au fond du bassin, vous apercevez un large crocodile, que le puits nourrit dans ses eaux.

Ayant ainsi vu le soleil se lever et se coucher sur ce lieu de douleur, le lendemain, au premier cri de la cigogne, je me préparai à quitter la sépulture sacrée. J'en partis comme de la borne d'où je voulais m'élancer dans la carrière de la vertu. Trois fois j'évoquai l'âme d'Atala ; trois fois le Génie du désert répondit à mes cris sous l'arche funèbre. Je saluai ensuite l'orient, et je découvris au loin, dans les sentiers de la montagne, l'ermite qui se rendait à la cabane de quelque infortune. Tombant à genoux et embrassant étroitement la fosse, je m'écriai : "Dors en paix dans cette terre étrangère, fille trop malheureuse ! Pour prix de ton amour, de ton exil et de ta mort, tu vas être abandonnée, même de Chactas !" Alors, versant des flots de larmes, je me séparai de la fille de Lopez ; alors je m'arrachai de ces lieux, laissant au pied du monument de la nature un monument plus auguste : l'humble tombeau de la vertu."

(Chateaubriand, Atala).

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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