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Eric Weil, Logique de la philosophie, Librairie philosophique Vrin

"On pourrait dire d'Eric Weil ce que lui-même disait de Kant : rien n'est plus caractéristique de son philosopher que sa préférence avérée pour le fait. Le fait décisif, aux yeux d'Eric Weil, est celui de la diversité des discours philosophiques ou des manières de concevoir le sens de ce qui est ou de ce qui est à faire. La Logique de la Philosophie, le maître-livre d'Eric Weil, est en passe de devenir un des classiques de la philosophie. Œuvre systématique - qui n'est pas une simple redite de Hegel - où l'auteur entreprend de ramener la diversité des discours philosophiques à un nombre fini de figures idéal-typiques - les catégories philosophiques - et de les articuler selon un ordre qui a l'allure d'un libre parcours du philosopher. La liberté pose le discours en l'opposant à son Autre, la violence qui est au fond de la réalité."

http://eric-weil.recherche.univ-lille3.fr/images/Weil%20photos/EW%20Paris%201946-470055.jpg

Éric Weil est un philosophe français, émigré d’Allemagne. Il est né à Parchim (Mecklembourg) le 8 juin 1904, a suivi des études de médecine et de philosophie à Hambourg et Berlin. Après sa thèse de doctorat sur Pomponazzi, en 1928, dirigée par Ernst Cassirer, il poursuit ses recherches sur la Renaissance, notamment sur Marsile Ficin, au sein de la Bibliothèque Aby Warburg. En 1933, à l’accession de Hitler au pouvoir, il quitte l’Allemagne. Il est mort à Nice le 1er février 1977. Il est très fidèle à la conception kantienne du devoir et de la morale.

L'extrait à étudier :

"L'homme est un être comme les autres, un être vivant ; mais tout en étant comme les autres, il n'est pas seulement comme les autres. Il a des besoins, mais il a encore des désirs, c'est-à-dire des besoins qu'il a formés lui-même, qui ne sont pas dans sa nature, mais qu'ils s'est donnés. L'instinct sexuel se trouve chez lui comme chez tous les animaux ; mais il ne se contente pas de la possession du partenaire, il veut encore être aimé par celui-ci. Comme tout organisme, il a besoin de nourriture et ne peut se nourrir que de certaines substances ; mais il ne lui suffit pas d'assouvir sa faim, il transforme ce que lui offre la nature, il lutte avec ses congénères pour son habitat, (...) pour la nourriture ; mais ce n'est pas assez pour lui d'avoir chassé le concurrent, l'adversaire ; il veut le détruire ou le forcer à se soumettre à lui et à reconnaître sa maîtrise et sa domination, à faire à sa place ce que, jusqu'ici, il avait fait lui-même, à transformer ce que la nature présente immédiatement à l'homme, à chercher, produire, préparer la nourriture, la maison, à garder les femmes, à élever les enfants.

En somme, l'homme ignore ce qu'il veut. Mais il sait très bien ce qu'il ne veut pas : (...) l'homme n'est pas seulement ce qu'il est, parce qu'il ne veut pas être ce qu'il est, parce qu'il n'est pas content d'être ce qu'il est, d'avoir ce qui est. il est l'animal qui parle, un de ces animaux qui parlent, mais il est le seul animal qui emploie son langage pour dire Non." (Eric Weil, Logique de la philosophie, Vrin, 1967, pp. 7-8)

Questions :

1) Dégagez l'idée centrale de ce texte et faites apparaître les différentes étapes de l'argumentation.

2) Comment comprenez-vous cet extrait du texte : "En somme, l'homme ignore ce qu'il veut. Mais il sait très bien ce qu'il ne veut pas."

3) En quoi le langage fait-il de l'homme un être spécifique ?

Rappel :

Nature de l'épreuve : un texte accompagné de questions, généralement au nombre de trois.

1) La première question vous demande de dégager la thèse du texte, ainsi que sa structure logique.

2) La question de détail vous demande d'expliquer un passage précis du texte.

1) La présentation de la thèse : explicitez la thèse exprimée par l'auteur. Précisez le plan du texte, montrez la manière dont l'auteur s'y prend pour démontrer sa thèse, résoudre le problème qu'il s'est posé. Evitez de résumer le texte, montrez les articulations, les étapes du raisonnement. Repérez les articulations logiques (cause, conséquence, opposition) : car, parce que, puisque, donc, en outre, mais...

2) L'explication d'un passage précis du texte : ce passage doit être expliqué parce qu'il pose problème ; il est souvent bref, il faut le commenter en montrant de quelle façon il s'intègre dans l'organisation logique du texte.

3) Le sujet de dissertation :

On vous demande de réfléchir sur la thèse défendue par le texte. Votre réflexion doit s'organiser en trois étapes :

a) une introduction : mettez en évidence le problème soulevé par le texte à commenter.

b) le milieu du devoir : construisez une petite dissertation en vous fondant sur les arguments du texte.

c) une conclusion : terminez en répondant explicitement à la question posée en la rapportant au texte ; vous pouvez éventuellement discuter la thèse de l'auteur (est-elle la seule solution à la question ?)

Proposition de corrigé :

I) La thèse de l'auteur est exprimée en deux temps,  au début et la fin du texte :

a) l'homme est un être vivant (un animal) comme les autres, mais outre des besoins, il a aussi des désirs.

b) l'homme est un être de langage ; il est un être de désir parce qu'il est un être de langage.

La thèse complète d'Eric Weil peut s'expliciter ainsi :

L'homme est un animal comme les autres, mais outre des besoins, il a aussi des désirs qui disent "non" à la nature car il est un être de langage.

L'auteur met en relation trois notion : le besoin, commun aux animaux et aux êtres humains, le désir et le langage, propres à l'homme, le désir étant, comme le dit Roland Barthes,  "le besoin en tant qu'il se parle".

L'argumentation comporte trois étapes :

1) L'instinct sexuel est un besoin que l'homme partage avec les animaux, mais l'homme éprouve aussi le désir d'être aimé.

2) L'homme n'éprouve pas seulement le besoin de se nourrir, il lui faut aussi transformer sa nourriture. L'auteur fait ici allusion à la cuisine dont Claude Lévi-Strauss a montré dans Le cru et le cuit qu'elle était une caractéristique essentielle de la culture.

3) L'homme entre en concurrence avec ses congénères, mais il éprouve également le désir d'être reconnu par une autre conscience humaine. L'auteur fait ici allusion à la dialectique du maître et de l'esclave dans la Phénoménologie de l'Esprit de Hegel.

II/ "En somme, l'homme ignore ce qu'il veut. Mais il sait très bien ce qu'il ne  veut pas."

L'auteur met en évidence l'insatisfaction fondamentale de l'homme (de l'humanité) qui ne se contente pas de ce que la nature lui offre, mais éprouve le désir de transformer le donné. L'homme ignore ce qu'il veut : il va d'objet en objet et n'est jamais satisfait de ce qu'il a obtenu. Dès qu'il a obtenu quelque chose, il cherche à nouveau autre chose ; ses besoins sont limités mais ses désirs sont infinis, illimités. L'auteur donne l'exemple de la sexualité : l'homme ne veut pas seulement assouvir ses besoins sexuels, il veut aussi autre chose ("être aimé"). Il donne également l'exemple de la cuisine : l'homme ne veut pas consommer sa nourriture crue ; il la transforme de multiples manières. Il donne enfin l'exemple de l'esclavage : l'homme ne veut pas seulement être, il vaut aussi être reconnu par une autre conscience qui médiatise sa relation avec la nature.

Note : Le désir est à distinguer du besoin, qui renvoie au manque et à ce qui est utile pour le combler. Le besoin au sens strict relève du corps, le désir, de l'âme ; on peut définir le besoin comme un manque objectif, d'ordre physiologique : nous avons besoin de nourriture lorsque notre corps n'a plus les nutriments qui lui sont nécessaires pour se conserver. Le désir, quant à lui, serait le sentiment ou la conscience que notre esprit a de ce besoin corporel. Le désir a un contenu différent du simple besoin.

Le besoin a pour objet la nourriture en général, tandis que le désir portera sur tel aliment précis, en fonction de mes goûts, des souvenirs de plaisirs gustatifs passés, etc. Le besoin est lié au manque, le désir est un élan pour combler ce manque. Tandis que le besoin est neutre ou indifférencié, le désir, parce qu'il relève de la pensée ("le désir se parle" dit Roland Barthes), a au contraire un objet déterminé et différencié.

Le désir est le passage spontané de la tendance ou besoin à la tendance consciente, dirigée vers un but conçu ou imaginé. "Le désir est un attrait que l'on subit, la volonté un pouvoir que l'on exerce." (Goblot)

III/ En quoi le langage fait-il de l'homme un être spécifique ?

Introduction

Selon Eric Weil, l'homme est un animal comme les autres, mais outre des besoins, il a aussi des désirs qui disent "non" à la nature car il est un être de langage. (phrase d'accroche)

L'auteur met en relation trois notion : le besoin, commun aux animaux et aux êtres humains, le désir et le langage, propres à l'homme, le désir étant, comme le dit Roland Barthes,  "le besoin en tant qu'il se parle". (analyse du sujet)

En quoi le langage fait-il de l'homme un être spécifique ? (problématique)

Nous évoquerons les caractéristiques du langage humain, fondé sur la double articulation, puis nous nous interrogerons, à la suite d'Eric Weil sur les rapports entre le langage, le besoin et le désir. Nous insisterons enfin sur le rôle essentiel du langage dans le processus d'humanisation. (plan d'analyse)

Le langage humain (la double articulation)

On distingue généralement le langage, faculté ou aptitude à constituer un système signes, la langue, instrument de communication propre à une communauté humaine et la parole, acte individuel par lequel s'exerce la fonction linguistique, autrement dit la dimension individuelle de la langue.

Au sens large, le langage signifie tout système ou ensemble de signes permettant l'expression ou la communication ; en ce sens, on parle de "langage animal". Mais le langage, au sens strict, est une institution universelle et spécifique de l'humanité. Aristote définit l'homme comme un "animal parlant, doué de langage" (zoon logon echon), traduit en latin scolastique par "animal rationale", un animal doué de raison.

Selon Descartes, le langage témoigne d'une faculté de penser et de raisonner propre à l'homme : "Si les animaux ne parlent pas, c'est faute de penser et non de moyens de communication : " Car c'est une chose bien remarquable, qu'il n'y a point d'hommes si hébétés et si stupides, sans en excepter même les insensés, qu'ils ne soient capables d'arranger ensemble diverses paroles, et d'en composer un discours par lequel ils fassent entendre leurs pensées ; et qu'au contraire il n'y a point d'autre animal tant parfait et tant heureusement né qu'il puisse être, qui fasse le semblable..." (René Descartes, Discours de la Méthode, Vème partie)

La linguistique - qui a pour objet l'étude scientifique du langage - montre que le langage humain, à la différence des modes de communication animale est un système  caractérisé par une double articulation.

La double articulation désigne le fait qu'un message est décomposable en monèmes (unités dotées d'une forme sonore et d'un sens) et en phonèmes (unités minimales d'articulation dénuées de sens) : "parlons" est ainsi constitué de deux monèmes (parl/ons - ce dernier signalant que l'action évoquée par le premier est accomplie par une ou plusieurs personnes) et de cinq phonèmes (p/a/r/l/ons).

Comme chaque langue utilise un nombre restreint de phonèmes (quelques dizaines) pour composer un nombre potentiellement infini de messages, le système est particulièrement économique et performant.

Il convient d'observer cependant que les frontières  entre le monde animal et le monde humain sont aujourd'hui remises en question par la recherche sur le comportement animal. On ne pense plus aujourd'hui, comme Descartes que les animaux sont de simples "machines". Dominique Listel parle des "origines animales de la culture" et pense qu'il y a un langage animal, bien qu'il soit différent du langage humain car plus étroitement lié à l'instinct et aux besoins.

On insiste davantage sur le caractère historique et social du langage humain qui ne peut se concevoir sans un apprentissage progressif, ni hors de tout contexte culturel.

Le langage animal est plus étroitement lié au besoin

Les animaux communiquent les uns avec les autres (les abeilles par exemple). Le langage des abeilles est inné et étroitement lié aux besoins : l'abeille éclaireuse ne peut communiquer que des informations concernant la distance et la hauteur d'une source de miel. Le langage des abeilles est inné et corporel : l'abeille éclaireuse ne communique avec son corps tout entier, par une danse en forme de huit que deux informations et n'a pas besoin d'apprentissage spécifique, alors que le langage humain nécessite un long apprentissage et porte sur une infinité de notions, aussi bien concrètes qu'abstraites et souvent très éloignées des besoins primaires et n'a pas besoin de la présence effective de l'objet ou de la  réalité désignée.

Comme l'a remarqué le linguiste Emile Benveniste, la danse d’une abeille conduit les autres abeilles à avoir un comportement de butinage différent et non une réponse dansée (il n'y a pas d'échange). Enfin, le langage est indispensable au développement des caractéristiques essentielles de l’humanité, en particulier la pensée, la conscience réfléchie, comme le montre l'exemple des enfants sauvages qui sont privés d’un développement intellectuel normal.

Le langage humain est lié au désir

Le désir est à distinguer du besoin, qui renvoie au manque et à ce qui est utile pour le combler. Le besoin au sens strict relève du corps, le désir, de l'âme ; on peut définir le besoin comme un manque objectif, d'ordre physiologique : nous avons besoin de nourriture lorsque notre corps n'a plus les nutriments qui lui sont nécessaires pour se conserver. Le désir, quant à lui, serait le sentiment ou la conscience que notre esprit a de ce besoin corporel.

Le désir a un contenu différent du simple besoin. Le besoin a pour objet la nourriture en général, tandis que le désir portera sur tel aliment précis, en fonction de mes goûts, des souvenirs de plaisirs gustatifs passés, etc. Le besoin est lié au manque, le désir est un élan pour combler ce manque. Tandis que le besoin est neutre ou indifférencié, le désir, parce qu'il relève de la pensée ("le désir se parle" dit Roland Barthes), a, au contraire, un objet déterminé et différencié.

A la différence du besoin, le désir est lié à la pensée, au langage. Jean-Jacques Rousseau insiste sur le rôle de l'imagination qui "attise les désirs par l'espoir de les satisfaire". La sexualité, qui est un besoin, un instinct que nous partageons avec les animaux, entre dans la catégorie du désir à travers le sentiment amoureux (le désir d'aimer et d'être aimé), l'imagination, la suggestion, l'érotisme.

Eric Weil met en évidence l'insatisfaction fondamentale de l'homme (de l'humanité) qui ne se contente pas de ce que la nature lui offre, mais éprouve le désir de transformer le donné. L'homme ignore ce qu'il veut : il va d'objet en objet et n'est jamais satisfait de ce qu'il a obtenu. Dès qu'il a obtenu quelque chose, il cherche à nouveau autre chose ; ses besoins sont limités mais ses désirs sont infinis, illimités. L'auteur donne l'exemple de la sexualité : l'homme ne veut pas seulement assouvir ses besoins sexuels, il veut aussi autre chose ("être aimé"). Il donne également l'exemple de la cuisine : l'homme ne veut pas consommer sa nourriture crue ; il la transforme de multiples manières. Il donne enfin l'exemple de l'esclavage : l'homme ne veut pas seulement être, il vaut aussi être reconnu par une autre conscience qui médiatise sa relation avec la nature.

Langage et hominisation

L'homme se caractérise par la pensée, la pensée étant, comme l'a montré Hegel,  inséparable du langage : "c'est dans les noms (Name) que nous pensons." C'est le langage qui transforme nos besoins en désirs, c'est le langage qui a permis le développement des sciences et des techniques qui permettent à l'homme d'agir sur la nature pour la transformer. L'art, les règles de parenté, la cuisine, les tabous, les rituels religieux, le droit, la politique, la culture dans son ensemble, sont des faits de langage et sont inséparables du langage.

« Toute culture peut être considérée comme un ensemble de systèmes symboliques au premier rang desquels se placent le langage, les règles matrimoniales, les rapports économiques, l’art, la science, la religion. Tous ces systèmes visent à exprimer certains aspects de la réalité physique et de la réalité sociale, et plus encore, les relations que ces deux types de réalité entretiennent entre eux et que les systèmes symboliques eux-mêmes entretiennent les uns avec les autres. » (Claude Lévi-Strauss)

L'homme possède la particularité unique du langage articulé. Il a développé des stratégies de chasse en groupe et de défense contre les prédateurs qui n’étaient possibles que grâce à ce moyen de communication, sur lequel il a par la suite bâti toute une société organisée, jusqu’à celle que nous connaissons aujourd’hui.

Le langage affecte la sélection à travers l’expression et la communication de pensées, contribuant ainsi aux performances cognitives de l’individu. Il entre en jeu dans la manipulation, la séduction, le maintien de relations sociales. Chaque individu bénéficie des perceptions, des  raisonnements, de l'expérience de tous les autres et dispose, grâce au langage, d’une quantité importante et variée de savoirs et de connaissances qui traversent le temps et qu’il ne pourrait acquérir seul.

« Le caractère du langage est de procurer un substitut de l'expérience apte à être transmis sans fin dans le temps et l'espace, ce qui est le propre de notre symbolisme et le fondement de la tradition linguistique. » (Emile Benveniste, Problèmes de linguistique générale, Gallimard)

Conclusion

Le langage symbolique fait donc effectivement de l'homme un être à part dans la nature, un être spécifique. Même s'il partage avec les autres êtres vivants certains caractères comme la sexualité, l'agressivité ou la nutrition, l'homme diffère des animaux par le langage symbolique et par la culture.

Dans la Lettre sur l'humanisme, Martin Heidegger affirme qu'il ne faut pas se contenter de penser l'homme à partir de son animalité, son "animalitas" (en le comparant aux animaux), mais essayer plutôt de le penser à partir de son humanité (humanitas).

La linguistique analyse les caractéristiques du langage humain à partir de la "double articulation", la psychologie explique la différence entre le besoin et le désir et l'anthropologie structurale étudie la culture humaine en tant que "système de signes". Cependant, le langage, cette faculté innée chez l'être humain de proférer des paroles, demeure finalement assez mystérieuse et son origine fait l'objet de multiples hypothèses.*

*cf à ce sujet l'article de Jean-François Dortier du 01/12/2003 "Langage et évolution : nouvelles hypothèses" dans "Sciences humaines".

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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