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EAF, série L, Alfred de Vigny, "La Prison" (préparation du commentaire)
EAF, série L, Alfred de Vigny, "La Prison" (préparation du commentaire)
Les poèmes antiques et modernes sont fortement influencés par Chénier, Byron et Chateaubriand. Vigny est alors un poète débutant qui hésite entre classicisme et romantisme. L'originalité de ces poèmes est la traduction d'une pensée philosophique sous une forme épique ou dramatique. Vigny aborde les problèmes qui seront au coeur de sa réflexion philosophique, la pitié, l'amour, la solitude du génie, les rapports de Dieu et de l'humanité. Dans ces poèmes Vigny semble obsédé pare l'injustice de la Toute-Puissance qui frappe indistinctement innocents et coupables. (source : babelio)
 
Alfred Victor Vigny puis comte de Vigny, né le 27 mars 1797 à Loches (Indre-et-Loire), et mort à Paris le 17 septembre 1863 à Paris 8ème est un écrivain, romancier, dramaturge et poète français.

L’homme au masque de fer est l'un des prisonniers les plus fameux de l'histoire française. Le mystère entourant son existence, ainsi que les différents films et romans dont il a fait l'objet, n'ont cessé d'alimenter les imaginations. Le point de départ de l'affaire est la mort, le 19 novembre 1703 à la Bastille, au terme d'une longue captivité, d'un prisonnier dont nul ne connaissait le nom ni le motif de l'incarcération. Il aurait été enterré dans le cimetière de l'église Saint-Paul sous le nom de Marchiali, bien que d'autres sources indiquent les noms de Marchioly, ou Marchialy et avec une fausse indication d'âge. Sur cette base, l'histoire a été considérablement amplifiée, la légende y a ajouté force détails, et la politique s'en est emparée, l'homme au masque de fer devenant, sous la plume de Voltaire, un symbole de l'absolutisme monarchique. Selon certaines sources, ce serait même une totale invention de cet écrivain pour discréditer la monarchie absolue, puisqu'en réalité, masquer avec un loup des prisonniers détenant des secrets d'État ou considérés comme nuisibles à celui-ci était une pratique courante à l'époque. (source : wikipédia)

Texte B : Alfred de Vigny, Poèmes antiques et modernes, « La Prison », extrait (1826)

  [Alfred de Vigny reprend la légende du Masque de fer : il imagine le prisonnier sur le point de mourir recevant la visite d’un vieux moine.]

[...]

 − Sur le front du vieux moine une rougeur légère
Fit renaître une ardeur à son âge étrangère ;
Les pleurs qu'il retenait coulèrent un moment ;
Au chevet du captif il tomba pesamment ;
Et ses mains présentaient le crucifix d'ébène,
Et tremblaient en l'offrant, et le tenaient à peine.
Pour le cœur du Chrétien demandant des remords,
Il murmurait tout bas la prière des morts,
Et sur le lit sa tête avec douleur penchée
Cherchait du prisonnier la figure cachée.
Un flambeau la révèle entière : ce n'est pas
Un front décoloré par un prochain trépas,
Ce n'est pas l'agonie et son dernier ravage ;
Ce qu'il voit est sans traits, et sans vie, et sans âge :
Un fantôme immobile à ses yeux est offert,
Et les feux ont relui sur un masque de fer.

Plein d'horreur à l'aspect de ce sombre mystère,
Le prêtre se souvint que, dans le monastère,
Une fois, en tremblant, on se parla tout bas
D'un prisonnier d'État que l'on ne nommait pas ;
Qu'on racontait de lui des choses merveilleuses
De berceau dérobé, de craintes orgueilleuses,
De royale naissance, et de droits arrachés,
Et de ses jours captifs sous un masque cachés.
Quelques pères1 disaient qu'à sa descente en France,
De secouer ses fers il conçut l'espérance ;
Qu'aux geôliers un instant il s'était dérobé,
Et, quoiqu'entre leurs mains aisément retombé,
L'on avait vu ses traits ; et qu'une Provençale,
Arrivée au couvent de Saint-François-de-Sale
Pour y prendre le voile, avait dit, en pleurant,
Qu'elle prenait la Vierge et son fils pour garant
Que le masque de fer avait vécu sans crime,
Et que son jugement était illégitime ;
Qu'il tenait des discours pleins de grâce et de foi,
Qu'il était jeune et beau, qu'il ressemblait au Roi,
Qu'il avait dans la voix une douceur étrange,
Et que c'était un prince ou que c'était un ange.
[...]

1. Père : homme d’Église.

L'oeuvre : Poèmes antiques et modernes

L'auteur : Alfred de Vigny

Le thème : un vieux moins rend visite à un prisonnier sur le point de mourir, portant un masque de fer et se souvient de la légende qui l'entoure.

Le genre  : il s'agit d'un poème en dodécasyllabes (alexandrins)

Les registres : 

Pathétique : "Les pleurs qu'il retenait coulèrent un moment/Au chevet du captif il tomba pesamment", "Et sur le lit sa tête avec douleur penchée/Cherchait du prisonnier la figure cachée", "Plein d'horreur à l'aspect de ce sombre mystère"

Quand les procédés visent à créer des effets particulièrement forts, déclenchant la compassion, on parle de registre pathétique, l’adjectif pathétique venant du grec pathos, signifiant « passion, souffrance ». Le registre pathétique concerne tous les énoncés qui suscitent chez le lecteur une émotion violente, douloureuse, voire des larmes. Cette émotion peut être une fin en soi mais aussi avoir une fonction argumentative et amener le lecteur à réagir, face à une injustice par exemple. Il se caractérise par une syntaxe de l’émotion (musicalité, phrases exclamatives ou interrogatives), des termes appartenant au réseau lexical de la souffrance et des sentiments violents, des hyperboles, des images fortes. L’émotion que ressent le lecteur est d’abord due au récit d’événements malheureux (séparation, misère, mort) et au fait que le lecteur s’identifie au personnage qui les subit.

Tragique : "Ce qu'il voit est sans traits, et sans vie, et sans âge"
 
Le registre tragique présente des personnages hors du commun aux destins marqués par la fatalité. Il dépasse ainsi le registre dramatique en montrant une situation sans issue qui repose sur l’intervention d’une force supérieure ou d’une divinité, sur une obligation morale ou sur l’emprise d’une passion. inséparable de son contexte religieux, ce registre utilise un lexique noble et solennel qui est souvent en rapport avec le Destin. Pris au piège du déterminisme de ses dieux ou de ses passions, le héros tragique exprime sa douleur dans un vocabulaire moral où s'allient lucidement l'impuissance et la révolte.

Dramatique : "Quelques pères disaient qu'à sa descente en France,/De secouer ses fers il conçut l'espérance/Qu'aux geôliers un instant il s'était dérobé..."... "prisonnier d'Etat", "choses merveilleuses", "berceau dérobé", craintes orgueilleuses", "royale naissance", "droits arrachés", "jours captifs", "sous un masque caché".

Le registre dramatique joue sur l'identification du lecteur avec les personnages mais crée la peur et l'inquiétude en mettant en scène la menace et la destruction dans des péripéties renouvelées où intervient le suspense. Le terme "dramatique" renvoie au théâtre, et on emploie généralement ce registre dans des textes qui ne sont pas des pièces de théâtre, mais qui en empruntent les caractéristiques : le suspense, les rebondissements, l'enchaînement rapide d'actions saisissantes... C'est notamment le registre des romans d'aventures (ex. Michel Strogoff de Jules Verne) et particulièrement des « thrillers » (ex. Le Silence des agneaux de Thomas Harris). Le saisissement et l'effroi procurent au lecteur des stimulations d'adrénaline et jouent de manière ambiguë sur la fascination et la répulsion auxquelles peuvent se mêler la compassion et la pitié. Ce registre permet au récit de se développer sur un rythme accéléré.

Le poème lui-même se présente sous une forme dramatique en ménageant un suspense entre le mystère du Masque de Fer et son explication.

Mélodramatique : Au XIX e siècle, le mélodrame est un genre théâtral dramatique populaire, héritier du drame bourgeois et du théâtre de foire. Il se caractérise par l'emphase du style, l'exacerbation des émotions, le schématisme des ressorts dramatiques et l'invraisemblance des situations opposant des figures manichéennes. 

Didactique : le poème éclaire à travers les témoignages des moines et de la religieuse évoqués au style indirect une partie du "mystère" du Masque de Fer.

Argumentatif : "et qu'une Provençale,/Arrivée au couvent de Saint-François de Sale/Pour y prendre le voile, avait dit, en pleurant,/Qu'elle prenait la Vierge et son fils pour garant/Que le masque de fer avait vécu sans crime,/Et que son jugement était illégitime..."

Fantastique : "sans traits", "sans vie", sans âge", "fantôme"

Laudatif : ce registre couvre tous les champs de la louange. Destiné à vanter les mérites d'un personnage, il emploie naturellement un lexique mélioratif et des images valorisantes de nature à parer les objets concernés de toutes les qualités.

Les point de vues : les choses sont vues tantôt en point de vue externe, tantôt au point de vue interne (celui du "vieux moine")

Les types de textes :

Alternance de récit, de description et de paroles rapportées au discours indirect : "il murmurait tout bas la prière des morts", "on se parla tout bas", "d'un prisonnier d'Etat que l'on ne nommait pas", "Qu'on racontait sur lui des choses merveilleuses", "Quelques pères disaient", "Une Provençale (...) avait dit en pleurant...", "Qu'il tenait des discours plein de grâce et de foi", "Qu'il avait dans la voix une douceur étrange"

On remarque que les  témoignages (ceux des moines et de la religieuse) sont "enchâssés" dans celui du vieux moine, ce qui est une des caractéristique de la légende : "Untel dit qu'untel a dit qu'il a vu..."

Les champs lexicaux :

La jeunesse : "rougeur", "ardeur", "grâce", "jeune", "beau

La vieillesse, la faiblesse : "vieux", "âge", "pesamment", "en tremblant", "à peine"

La religion : "moine", "crucifix", "Chrétien", "remords", "prière", "monastère", "pères", "Saint-François-de-Sale", "voile" (prendre le voile), "Vierge", "et son fils" (Jésus), "foi", "ange"

La tristesse : "pleurs", "remords", "douleur" 

La captivité : "captif" (deux fois), "prisonnier" (deux fois), "fers" (de secouer ses fers), "geôliers"

Le merveilleux : "merveilleuses" (choses merveilleuses), "ange"

Le fantastique : "fantôme", "mystère"

La mort : "chevet", "crucifix", "morts" (prière des morts), "lit", "décoloré", "trépas", "agonie", "ravage", "fantôme","horreur"

La lumière : "rougeur", "flambeau", "décoloré", "feux", "sombre" (sombre mystère)

L'obscurité : "ébène", "sombre"

La peur : "en tremblant", "tout bas", "que l'on ne nommait pas"

La liberté, la révolte : "secouer ses fers", "espérance", "se dérober"

On remarque l'opposition des champs lexicaux : la clarté et l'obscurité, la jeunesse et la vieillesse, la peur et la révolte, la captivité et la liberté.

Figures de style : 

Métonymie : "du Chrétien" (le prisonnier est désigné par sa foi religieuse)

Prétérition : "ce n'est pas" (deux fois) "sans traits", "sans vie", "sans âge" (dire ce qu'une chose n'est pas pour faire sentir ce qu'elle est)

Métaphores : "fantôme", "c'était un ange"

Pléonasme intentionnel : "sombre mystère"

Hypallages : "Et de ses jours captifs sous un masque cachés" (ce ne sont pas les jours du prisonnier qui sont cachés, mais son visage.... Ce ne sont pas ses jours qui sont captifs, mais le prisonnier)

L’hypallage (substantif féminin) est une figure de style et de rhétorique qui consiste en l'attribution "anormale" et inattendue, souvent par interversion, d'un adjectif épithète.

Hypotypose (variété de description qui fait littéralement "voir" la scène au lecteur comme un tableau) : Tout le début du poème jusqu'à "sur un masque de fer"

Anacoluthe (rupture de construction considérée comme fautive dans un texte en  prose, mais tolérée (licence) dans un texte poétique) : "Et quoiqu'entre leurs mains aisément retombé/L'on avait vu ses traits

Polysyndète : "Et ses mains présentaient le crucifix d'ébène,/Et tremblaient en l'offrant, et le tenaient à peine (...) Et sur le lit sa tête avec douleur caché" - "ce qu'il voit est sans traits, et sans vie, et sans âge" 

Note :  La polysyndète (substantif féminin), du grec poly "plusieurs") et syn ("ensemble") et dète ("lié") est une figure de style reposant sur un mode de liaison consistant à mettre une conjonction de coordination au début de chacun des membres de la (ou des) phrase(s) formant une énumération, le plus souvent alors qu'elle n'y est pas nécessaire. La polysyndète permet de ralentir le rythme de la prosodie, de lui donner un air solennel ou encore de la rendre envoûtante, en poésie. Elle a également pour effet de mettre en relief chaque mot, substantifs et verbes, et est censée provoquer l'intérêt ou l'indignation du lecteur, de l'auditeur. Elle est l'inverse de l'asyndète (absence de liens de coordination).

Niveaux de langue :

courant/soutenu

Les temps, les modes et leur valeur d'aspect :

Passés simples : "fit renaître", "il tomba", "se souvint", "on se parla", "il conçut"

Imparfaits : "retenait", "présentaient", "tremblaient", "le tenaient", "il murmurait", "cherchait", "nommait", "racontait", disaient", "tenait", "était", "ressemblait", "avait", "c'était"

Plus-que-parfaits : "il s'était dérobé", "on avait vu", "avait dit", "avait vécu", 

Présents de narration : "un flambeau la révèle entière", "un fantôme immobile à ses yeux est offert"

Présents de caractérisation : "ce n'est pas un front décoloré par un prochain trépas", "ce n'est pas l'agonie et son dernier ravage", "ce qu'il voit est sans traits, et sans vie, et sans âge"

Passé composé : "Et les feux ont relui sur un masque de fer"

Types de phrases :

Phrases déclaratives

Structure des phrases : 

Le texte est composé d'une majorité de proposition indépendantes juxtaposées ou coordonnées et de phrases complexes  à structure binaire (principale + subordonnée conjonctives)

La modalisation :

"ardeur", "remords", "douleur", "horreur", "sombre", "merveilleuses", "orgueilleuses", "droits arrachés", "sans crime", "illégitime", "grâce", "foi", "jeune", "beau", "douceur étrange", "prince", "ange"

Plan du texte : 

Le texte comporte deux parties :

I. Depuis : "Sur le front du vieux moine" jusqu'à : "sur un masque de fer" : la visite du vieux moine au "Masque de fer"

a) Depuis : "Sur le front du vieux moine" jusqu'à : "la figure cachée" : le vieux moine s'approche du prisonnier

b) Depuis : "Un flambeau le révèle" jusqu'à : "sur un masque de fer" : le vieux moine découvre le visage du prisonnier

II. Depuis : "Plein d'horreur à l'aspect de ce sombre mystère" jusqu'à : "c'était un ange" : la légende du Masque de fer.

a) Depuis : "Le prêtre se souvint que dans le monastère" jusqu'à "sous un masque cachés" : le témoignage des moines

b) Depuis : "Quelques pères" jusqu'à : "L'on avait vu ses traits" : le témoignage des pères

c) Depuis :  "et qu'une Provençale" jusqu'à : "c'était un ange" : le témoignage d'une religieuse

Problématique possible : 

Comment le poète fait-il partager sa compassion pour le Masque de fer ?

Axes d'étude : 

I. Une scène pathétique

II. Une destinée extraordinaire 

III. Un destinée tragique

Remarque : Le thème du "Masque de Fer" traverse l'imaginaire littéraire et populaire du XVII à nos jours. C'est Voltaire, dans Le siècle de Louis XIV, qui crée  de la légende du Masque de Fer en déformant des faits réels dans le but de critiquer la monarchie absolue de droit divin : un obscur prisonnier qui aurait détenu des secrets d'Etat compromettants devient le frère de Louis XIV et le loup de velours qui recouvrait, comme c'était la coutume, son visage, un "Masque de Fer". Un siècle plus tard, Alfred de Vigny, reprend la légende répandue par Voltaire, mais dans un sens moins politique, plus métaphysique. Conformément à la sensibilité romantique, il fait du Masque de Fer une malheureuse victime d'un destin injuste et aveugle, moins pour provoquer l'indignation que la compassion.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

En construction !

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