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Jean-Luc Marion, Brève apologie pour un moment catholique (conclusion)
Jean-Luc Marion, Brève apologie pour un moment catholique (conclusion)

Je reproduis ici la conclusion du livre de Jean-Luc Marion : Brève apologie pour un moment catholique (Grasset, 2017). Les sous-titres sont de moi :

Des gens comme tout le monde

"Il ne faut pas parler des catholiques, comme s'ils formaient une classe sociale ou une troupe homogène, comme s'ils ne se définissaient que par cet exclusif engagement et se constituaient en moine-soldats aussi homogènes et typés que, peut-être dans le passé, des révolutionnaires professionnels ou, aujourd'hui, des djihadistes fanatiques. Les catholiques restent des individus comme vous et moi, qui vivent la même vie que tout le monde, avec les mêmes passions, désirs et espérances que quiconque, les mêmes peurs aussi que tout un chacun. Ils sont catholiques, comme ils sont gauchers ou droitiers, voire ambidextres, hétéro - ou homosexuels, voire bisexuels, blancs, blacks ou beurs, chômeurs, précaires ou installés, heureux ou malheureux, voire les deux, rustres ou policés, bobos ou babas, etc.

... Sauf que...

Bref, ils sont comme tout le monde, sauf qu'ils ont foi dans le Christ. Ils vivent donc avec, en plus et très profondément fichée au coeur, l'ambition de vivre correctement, de réussir à vivre, c'est-à-dire de vivre comme le Christ a vécu. Cela ils ne le tentent ni par vertu, ni par héroïsme, ni par manie, mais parce que cela leur apparaît évidemment comme la meilleure façon de faire. Ils tentent de se comporter comme le Christ par intérêt bien compris. Ils pressentent et, pour certains, savent de source sûre, que seul l'amour compte et que seul l'amour agit, que seul l'amour comprend et que seul l'amour connaît.

L'effondrement de l'universel et la possibilité d'un "moment catholique"

Pour cela même se fait jour aujourd'hui la possibilité d'un moment catholique. Entendons-nous bien : il ne s'agit pas d'un moment où tout le monde serait sommé de devenir catholique (hypothèse ni sérieuse, ni souhaitable à vues humaines). Nous entrons dans un moment catholique - un moment où se trouve en jeu, dans la société française, la possibilité d'une communauté qui mette en oeuvre l'universel. Par universel, nous entendons ici tout ce qui transcende les affrontements particuliers entre groupes, intérêts, idéologies et identités contradictoires, tout ce qui met en danger l'unité de la nation. Cet universel, de toutes parts, s'effrite et s'effondre. Ou, à tout le moins devient problématique, indéfini, évanescent. Nous savons maintenant que la société française est mortelle, qu'elle peut se dissoudre, qu'elle n'a pas les promesses de l'éternité.

Les catholiques en charge de l'universel

Qui peut rétablir l'universel chez nous ? Il ne s'agit pas d'une question d'identité (car l'affirmation ou la recherche affolée de son identité prouve d'abord qu'on craint de la perdre ou qu'on l'a déjà perdue), mais, pour une nation, d'une question de communion. Une communauté ne peut se souder que par une communion dans l'universel. En France, qui peut mettre cette communion en oeuvre ? Tous les Français, on peut l'espérer. Mais qui, parmi eux, a le plus d'expérience et de pratique de cette communion, pour soi et pour les autres ? On doit espérer que les catholiques ont cette expérience, puisque la communion devrait les définir dans leur originalité même : "A ceci tous vous reconnaîtront pour mes disciples, à cet amour que vous aurez les uns pour les autres." (Jean 13, 35). Ils se retrouvent donc particulièrement en charge de l'universel au moment où il fait le plus défaut à la société française. Le moment de l'universel devient ainsi la responsabilité au premier chef des catholiques. Le moment catholique ne constitue pas une chance pour les catholiques, mais une charge trop lourde pour qu'ils ne demandent pas de l'aide à tous.

L'espérance chrétienne

Il se pourrait que Chateaubriand, bien à l'avance, ait entrevu ce moment catholique : "Je ne trouve de solution à l'avenir que dans le christianisme et dans le christianisme catholique (universel) Si un avenir doit être, un avenir puissant et libre, cet avenir est loin encore, loin derrière l'horizon visible ; on n'y pourra parvenir qu'à l'aide de cette espérance chrétienne dont les ailes croissent à mesure que tout semble la trahir, espérance plus longue que le temps et plus forte que le malheur." (Chateaubriand, Mémoires d'Outre-Tombe, XIV, 7, op.cit, t. 2, p. 931 et 933)

(Jean-Luc Marion, Brève apologie pour un moment catholique, p.121-124)

 

 

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