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Jean-Luc Marion, Brève apologie pour un moment catholique
Jean-Luc Marion, Brève apologie pour un moment catholique

Jean-Luc Marion de l'Académie française : Brève apologie pour un moment catholique, Editions Bernard Grasset, 2017

Né le 3 juillet 1946, ancien élève de l’École normale supérieure, agrégé de philosophie et docteur en philosophie, il est actuellement professeur à l’université de Chicago.Il est élu à l’Académie française le 6 novembre 2008 au fauteuil du cardinal Lustiger, dont il était très proche. Cofondateur de la revue catholique internationale Communio, l’un de ses thèmes favoris, c’est le lien indissoluble entre raison et foi. Il est auteur de nombreux ouvrages, dont Brève apologie pour un moment catholique, paru aux Editions Grasset le 24 mai 2017.

Table des matières : Adresse : la croix sans la bannière - Catholiques et français - Laïcité et séparation - De l'utilité de la communion - Envoi : Un moment catholique

"Je ne trouve de solution à l'avenir que dans le christianisme et dans le christianisme catholique. (...) Si un avenir est loin encore, loin derrière l'horizon visible ; on n'y pourra parvenir qu'à l'aide de cette espérance chrétienne dont les ailes croissent à mesure que tout semble la trahir, espérance plus longue que le temps et plus forte que le malheur." (François-René de Chateaubriand, Mémoires d'Outre-Tombe, XIV, 7, op. cit., t.2, p.931 et 933)

« On peut invoquer, bien sûr, « l’âme de la France», même si l’on ne croit plus guère sans doute à la réalité de sa propre âme à soi. Mais si, comme responsable politique, l’on prend ce risque, il faut mesurer ce que l’on dit et surtout ce que l’on ne peut pas dire. Seuls les chrétiens, donc d’abord les catholiques, peuvent mettre en jeu leur âme dans la communauté française, parce qu’eux seuls savent ce que c’est que de la donner, pour donner une communion à une communauté, qui, sans eux, ne serait plus une et indivisible. Il se pourrait que, contre toute attente et toutes les prédictions des sages, des experts et des élites supposées, nous allions au-devant d’un extraordinaire moment catholique de la société française. Ou plutôt, il se pourrait qu’un tel moment, décidément hors de portée du pouvoir et de la rationalité positiviste de la politique contemporaine, constitue la seule option raisonnable qui nous reste, tandis que nous nous approchons du cœur du nihilisme… » (Jean-Luc Marion)

"Y a-t-il un « destin catholique » dans la France actuelle ? Faut-il parler de laïcité ou de séparation ? Peut-on penser « l’utilité de la communion » ? N’ayez pas peur, disait Jean-Paul II au balcon de l’histoire ; N’ayez pas peur de nous ! affirme Jean-Luc Marion, qui nous offre une méditation littéraire et philosophique, une traversée politique sans équivalent dans le monde actuel."

L'Eglise, "machine à faire des saints"

"L'étonnant ne tient pas à ce que l'Eglise apparaisse de toute évidence imparfaite : elle se compose en effet de pécheurs, qu'elle va même ramasser à tous les carrefours, sur tous les champs d'épandage, dans tous les bidonvilles. Elle sait mieux que personne qu'il n'y a en fait rien d'autre chez eux que d'abord des malades à la mort, des blessés de la vie, des pécheurs vacillants, mais têtus. L'étonnant, la véritable surprise, tient à ce qu'elle tourne comme une machine à laver du linge sale, une entreprise de blanchiment des crapules d'où ressortent des saints, plus éblouissants que ce qu'aucun foulon sur terre ne pourrait blanchir, et d'où ils vont s'aligner sur les balcons du Ciel. Il s'agit de la seule machine à faire des dieux, ou plus exactement, à faire des saints, jamais vue sur terre. Justement parce que ce n'est pas une machine, mais le Corps vivant du Christ." (p.29-30)

"Crise" ou "décadence" ?

"Nous ne roulons pas vers l'abîme, nous étouffons d'une décadence immobile." (p.33)

"L'Eglise jouit d'un privilège hors du commun dans une société sans accès à la moindre crise et qui s'installe dans la décadence." (p.35)

Le paradoxe de la "non appartenance"

"Les chrétiens, parce que la grâce de Dieu leur donne accès à la justice, peuvent seuls soutenir, toujours partiellement, mais toujours efficacement, des cités terrestres auxquelles ils n'appartiennent pourtant fondamentalement pas. Ne pas appartenir à la politique d'une cité, c'est cela même qui permet de contribuer partiellement à sa justice, donc à son bien relativement commun." (p.38)

La véritable fraternité

"Le seul Père concevable, qui puisse assurer une fraternité juste et réelle, parce qu'elle assure l'union dans la communion, se trouve dans les cieux ; c'est ainsi seulement qu'il peut venir sur la terre. Cela, la République ne peut évidemment pas l'inclure ni dans sa devise, ni dans sa constitution. Mais les catholiques peuvent, eux, témoigner de cette paternité-ci dans une société d'orphelins." (p.41-42)

"Laïcité" ou "séparation" ?

"La Loi de 1905 ne décrète aucune "laïcité" (au contraire de ses partisans anticléricaux), mais prolonge une tradition beaucoup plus ancienne, celle de la séparation. On peut d'ailleurs argumenter que la "Déclaration des droits de l'homme et du citoyen" de 1789 anticipe sur la loi de 1905 : "Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leurs manifestations ne troublent pas l'ordre public établi par la loi (article 10)". Puisqu'il s'agit d'une loi de séparation, il serait donc judicieux et honnête, semble-t-il, de prendre (ou de reprendre) l'habitude de la nommer par son nom : "loi de séparation". En ce sens, elle indique simplement que le catholicisme n'est pas religion d'Etat, ni la religion de l'Etat, pas plus et pas moins qu'aucune autre religion. ce que garantit l'Etat c'est que justement il n'instaure aucune religion, donc aucune religion d'Etat. L'Etat reconnaît qu'il n'est pas en état d'instaurer une religion, même d'Etat, et que son devoir d'état (et d'Etat) consiste à ne pas instaurer ou établir la moindre religion." (p.52-53)

La distinction des ordres, protection contre la dérive totalitaire

"Il ne faut jamais oublier que le christianisme a toujours et dès les premiers siècles suscité une résistance politique, précisément parce que les chrétiens ont d'emblée refusé de souscrire au culte de l'empereur païen, et ont ainsi, eux les premiers, réclamé la séparation des pouvoirs et de ce que Pascal nommera la distinction des ordres. Ainsi, la question de la séparation ne concerne pas seulement le domaine politique, mais elle a aussi une pertinence d'origine théologique. Ou plutôt elle concerne radicalement le domaine politique parce qu'elle s'exerce en vertu de son origine théologique. elle a une importance cruciale pour l'Etat, car elle le protège contre la dérive totalitaire et y renforce les libertés individuelles. Et réciproquement, elle joue un rôle essentiel pour les croyants, parce qu'elle ne les enferme pas dans une Eglise nationale et un culte civique, donc dans l'idolâtrie. En fait, sans séparation, le caractère démocratique tout entier d'une société se trouve menacé." (p.57)

La tentation d'effacer la séparation et de sacraliser le pouvoir

"Redisons-le : nous avons appris d'expérience que l'athéisme ne dispense pas un régime totalitaire de vouloir se sacraliser, bien au contraire. Un pouvoir politique peut vouloir se sacraliser sans Dieu, et d'autant plus facilement que le chef politique veut s'attribuer les caractères totalitaires de l'universalisme. Certes, toute société laïque n'aboutit pas nécessairement au totalitarisme, mais elle risque toujours de céder à la tentation d'effacer la séparation. On pourrait donc, par contraste, réécrire l'histoire du christianisme comme un effort endurant, parfois héroïque et baigné de sang, pour maintenir la séparation." (p.61)

Eloge de la loi de 1905

"La loi de 1905 apparaît en elle-même comme une mesure excellente, puisqu'elle formalise la saine, voire la sainte distinction des domaines et des ordres respectifs du pouvoir politique et de l'autorité religieuse. La question demeure de sa portée et de sa possibilité." (p.63)

Les questions de fond que doit affronter l'islam

"La critique historico-philologique des textes saints, les règles d'interprétation et les espaces du pluralisme, la nature de l'autorité spirituelle et du pouvoir politique, l'organisation des communautés croyantes et leurs relations si elles divergent entre elles (les sunnites et chiites, etc.), la signification de la différence sexuelle, le rapport à l'étranger, à l'incroyant, au "mécréant", enfin (et peut-être d'abord) la séparation entre les instance religieuse et politique. (p.69)

Le nihilisme

"Nous n'avons plus de but qui réponde à la question : Pourquoi ?" (p.91) - "Ne s'arrache au nihilisme que celui qui, imitant le Christ, parvient à ne pas vouloir sa propre volonté pour vouloir ailleurs et d'ailleurs." (p.93) - "Nous n'avons pas vraiment aperçu quelle prison nous impose le nihilisme." (p.95) - "Nous nous imaginons posséder l'univers, alors que nous construisons nous-mêmes notre prison, esclaves volontaires, esclaves par volonté, esclaves de la volonté de volonté et qui s'en glorifient en célébrant leur autonomie !" (p.96)

Le bien commun

Le bien commun, comme expérience de la communion elle-même, peut et doit se concevoir en son rapport avec l'amour de Dieu, selon un lien réciproque. (p.99) - C'est parce que la communion se trouve déjà (pour nous) et éternellement (pour Dieu) accomplie dans la Trinité et manifestée trinitairement par le Christ, que nous avons le droit de prétendre la mettre aussi en oeuvre dans le bien commun." (p.100)

L'économie

"La non-coïncidence de la richesse globale et des revenus individuels, la déconnexion entre les performances économiques d'une société et son niveau démocratique, le déficit enfin de représentativité démocratique provoqué par les pouvoirs médiatiques - constituent autant d'indices clairs et inquiétants qu'il faut contester le bien-fondé de l'identification du citoyen avec l'agent économique (producteur et consommateur)." (p.104) - "Il se pourrait que l'économie elle-même ne soit qu'une superstructure." (p.105)

Le don

"A l'appropriation qui permet et demande l'échange et exige la réciprocité, s'oppose le don, qui se libère de la réciprocité et de l'échange en pratiquant le don jusqu'à l'abandon." (p.107) - "Imaginer que la logique du don implique l'exercice d'un pouvoir, cela dénote simplement qu'on n'a pas encore compris le don, ni entrevu sa puissance, qu'on le maintient dans la logique de l'appropriation, de l'économie." (p.116)

Le pouvoir et l'autorité

"Le pouvoir ne peut s'exercer sans violence que par la délégation d'une autorité ; l'autorité s'exerce sans violence et seulement ainsi, parce qu'elle ne se confond jamais avec un simple pouvoir." (p.118)

La charge de l'universel

"Les catholiques se retrouvent (...) particulièrement en charge de l'universel au moment où il fait le plus défaut à la société française. Le moment de l'universel devient ainsi la responsabilité au premier chef des catholiques. Le moment catholique ne constitue pas une chance pour les catholiques, mais une charge, trop lourde pour qu'ils ne demandent pas de l'aide à tous." (p.123)

Courtes citations :

Il ne faut pas avoir peur (la société civile des catholiques et les catholiques de la société civile) (p.7) - L'Eglise doit être perpétuellement réformée ("Ecclesiam semper reformanda") (p.20) - "Catholique est une qualité" (Hans Urs Von Balthasar, cité p.25) - "Nul ne peut juger de l'étiage de la Foi chrétienne dans un pays comme la France." (p.25) "Nous sommes de serviteurs inutiles" - "Les saints seuls réforment l'Eglise." (p.28) - "Quand l'Eglise fait trop de politique, c'est qu'elle ne fait pas assez de saints." (Georges Bernanos, ibidem) - "A qui la grâce peut-elle se donner surabondamment, sinon à ceux qui savent en manquer ?" (p.34) -

Notes de lecture :

Comment comprendre le titre de l'ouvrage : "Brève apologie pour un moment catholique" ? : Jean-Luc Marion plaide en faveur de la possibilité d'un "moment" catholique . Le mot "moment" est à prendre au sens grec de "kaïros", de moment favorable. Il estime que la situation actuelle du catholicisme en France rend possible, non pas une résurgence du catholicisme qui n'a, selon lui, jamais vraiment disparu, mais une chance pour les catholiques, en témoignant de leur foi (comme il le fait lui-même dans ce livre), de féconder une société hantée par le spectre du nihilisme.

Il affirme :

Que les non catholiques ne doivent pas avoir peur d'un retour du cléricalisme et des catholiques en général, que les catholiques ne doivent pas avoir peur d'être ce qu'ils sont, que les catholiques n'ont pas disparu, que Dieu n'est pas mort, qu'un homme politique a le droit d'admettre qu'il est chrétien, que les catholiques ne menacent pas la sérénité de la nation française, qu'il faut aller voir les catholiques là où ils sont vraiment : dans les célébrations, les messes, les Ecritures et la prière, que les Eglises ne sont pas vides, qu'il faudrait étudier la théologie sérieusement, au lieu de se contenter du Da Vinci Code, qu'il y a des catholiques partout (hommes d'affaire, intellectuels, artistes, politiques, "piétaille" qui défile ou non dans la rue...)

La question n'est pas de savoir pourquoi et comment les catholiques ont disparu, mais pourquoi et comment ils ont subsisté.

Réponse de l'auteur : "Ils doivent avoir quelques raisons de se comporter comme ils disent le vouloir. Et pour connaître ces raisons, il suffit de s'instruire du Christ, concevoir ce qui les fait marcher, le Christ."

"Ils croient : qu'il vaut mieux donner que recevoir, que se conserver à tout prix conduit à se perdre, que se perdre permet de sauver et de se sauver, que la mort peut mener à la vie en plénitude..."

"... Ils le croient parce qu'ils le constatent déjà dans leur propre expérience et surtout parce qu'ils l'ont vu d'une certaine manière dans la figure du Christ." (p.11)

"Convaincre autrui ne dépend pas d'eux. Il dépend d'eux en revanche, de réaliser effectivement, dans la communion des croyants ce qu'ils prétendent expérimenter, autrement dit de progresser dans la sainteté." (ibidem)

Les catholiques ont le droit qu'on les laisse en paix, puisqu'ils ne troublent pas l'ordre public et ils ont aussi le droit de faire des propositions dans tous les domaines, .

L'auteur refuse l'idée que la société serait "en crise". Il préfère dire qu'elle est "en décadence" : "Dans la décadence continue où nous nous retrouvons et où nous ne cessons de glisser, rien ne va plus de soi, tout devient problématique. C'est maintenant qu'il faut changer de style pour ne pas se laisser dissoudre dans la communauté nationale. C'est maintenant qu'il faut faire appel à toutes les ressources et toutes les forces. Même à celles des catholiques. (p.13)

 

 

 

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