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Michel de Certeau/Jean-Marie Domenach : Le christianisme éclaté
Michel de Certeau/Jean-Marie Domenach : Le christianisme éclaté
Michel de Certeau/Jean-Marie Domenach : Le christianisme éclaté

Michel de Certeau, Jean-Marie Domenach, Le christianisme éclaté, Editions du Seuil, 1974

Table des matières : 

Un christianisme culturel - L'expérience chrétienne : foi et histoire - Questions

Michel de Certeau : Comme une goutte d'eau dans la mer : De l'oral à l'écrit - Des pratiques évangéliques - Des pratiques croyantes - Ecritures évangéliques 

Jean-Marie Domenach : Le regain - Une mythologie - L'Eglise sans pouvoir - La particularité de l'occident

Michel de Certeau (de son nom complet Michel Jean Emmanuel de La Barge de Certeau), né le17 mai 1925 à Chambéry (France) et mort  le 9 janvier 1986 à Paris, est un prêtre jésuite français, philosophe, théologien et historien. Il est l'auteur d'études d'histoire religieuse (surtout la mystique des XVIe et XVIIe siècles), notamment avec son ouvrage La fable mystiqueédité en 1982, et d'ouvrages de réflexion plus générale sur l'Histoire et son épistémologie, la psychanalyse et le statut de la religion dans le monde moderne.

Jean-Marie Domenach, né le 13 février 1922 dans le 2ème arrondissement de Lyon et mort le 5 juillet 1997 dans le 5 ème arrondissement de Paris, est un résistant écrivain et intellectuel français catholique. Il fut l'un des représentants du courant personnaliste.

Quatrième de couverture :

"Qu'en est-il du christianisme aujourd'hui ? Déchiré son beau masque d'unité, moqué son pouvoir central, ignorés ses arrêts dogmatiques, effacées ses frontières d'appartenance. Crise de la foi, silence de Dieu, nuit des croyants. Mais aussi présence obsédante de la religion et de ses fonctionnaires sur le théâtre des mass media. Lambeaux de message évangélique arrachés, devenus un lexique disponible à tous, langage défait dont chacun s'empare à ses fins politiques, mué en source poétique et en métaphores d'interrogations fondamentales.

Pourtant le Christ reste ce "passant considérable" et ses logia gardent leur violence énigmatique. Voici le christianisme décapé, ses arêtes mises à nu par deux chrétiens en quête d'une véracité, dans l'itinéraire de leur croyance. Vacillement où se cherche un recentrement, nuit traversée par l'espérance du regain."

Un avis sur le livre :

"Le livre est le compte-rendu d'un débat qui eut lieu dans les années 70 dans les studios de l'ex ORTF entre Michel de Certeau et Jean-Marie Domenach, sur le christianisme, sur les crises que traversent les Eglises et sur les mutations fondamentales que le christianisme subit et favorise avec les sociétés où il s'inscrit. Fin d'un christianisme institutionnel et folklorisation d'un christianisme qui devient objet de culture, marginalisé, référence utilisable par n'importe qui et pour n'importe quoi ; interrogation sur la fonction de l'Eglise, parallèle aux interrogations que subissent toutes les grandes institutions, mais création de groupes restreints où la communication et l'altérité laissent ouvert un espace, où peut se risquer quelque chose, où les idéologies sont oubliées. Par là peut-être, se dit une parole déjà exprimée mais recouverte, la religion comme relation à un Autre, comme expérience d'un autre qui n'est ni absorbé par le désir, ni indifférent, mais qui ouvre la possibilité de "faire la vérité". Le travail de l'histoire permet une démarche analogue, des confrontations entre l'action présente et le passé. Il est vrai qu'à travers ces questions, c'est celui qui parle qui est interrogé ; ce n'est pas un des aspects les moins importants de ce livre que cette mise en cause de l'objectivité, que cette interrogation personnelle du locuteur et du lecteur. On ne saurait se dispenser de lire cet ouvrage ; dans sa brièveté, avec son style direct, il constitue un des meilleurs diagnostics de notre situation et une des meilleures explicitations de ce que nous pouvons faire (J. Le Brun)

Mon avis sur le livre : 

Ce dialogue entre Michel de Certeau et Jean-Marie Domenach, rivalisant d'intelligence pour penser "l'éclatement du christianisme" (ou comme dit Certeau, p. 86 "l'effondrement du corps, problème central de toute l'évolution présente") du fait de sa relation problématique à l'histoire, à la culture, à la tradition, à la papauté, à l'européocentrisme, à l'altérité, à la société civile, etc. est très caractéristique de la manière dont se posait le problème  dans les années qui ont suivi Vatican II et Mai 68. Il témoigne d'un conflit entre la foi, la raison et l'Eglise qui s'exprimait dans plusieurs types de réactions que résume William Cavanaugh dans Eucharistie et mondialisation :

  • a) La défense et l'illustration de la foi comme tradition (au risque de la tentation "intégriste", dogmatique et autoritaire, du repli sur soi et de la condamnation du siècle)
  • b) L'excentricité "prophétique" (au risque de la marginalisation)
  • c) L'engagement dans les œuvres (au risque de l'activisme)
  • d) Le combat politique à visage découvert (au risque de l'apostasie)
  • e) Il s'exprime depuis les années 80 (donc après ce dialogue) dans le recours à des formes de mysticisme essentiellement sentimentales et émotionnelles plus ou moins "New-Âge", individuelles ou collectives ("groupes charismatiques, "rebirth", culte des anges, glossolalie, invocation à l'Esprit-Saint...), le syncrétisme (yoga, bouddhisme...) ou encore l'esthétisation de la liturgie. 

Certeau et Domenach évoquent ces réactions soit comme défense contre le siècle, soit comme évasion hors de l'Eglise et en suggèrent leur part de légitimité, mais aussi leurs limites, mais se contentent de dresser un "diagnostic" historique et sociologique d'un extrême pessimisme, sans proposer de remède.

Or, comme le montre William Cavanaugh, les "solutions" évoquées plus haut reposent sur une même erreur d'appréciation, l'obligation de choisir entre les deux termes d'un dilemme : s'enfermer dans l'Eglise ou en sortir. 

Le grand absent de ce dialogue "dans l'air du temps", avant le grand souffle du pape venu de l'Est, entre les deux plus brillants intellectuels chrétiens français de l'époque, telle la "lettre volée" de la nouvelle d'Edgar Poe, introuvable par son évidence-même, n'est rien de moins que le corps du Christ dont il n'est jamais question ni comme "ressuscité/ressuscitant", ni comme sacrement de l'unité.

Par ailleurs, ce qui constitue le cœur même de l'Eglise et de la vie chrétienne des "chrétiens ordinaires" : les sacrements, la prière, la parole de Dieu sont traités comme des épiphénomènes, alors que des épiphénomènes (importants, certes, mais non fondamentaux) comme la médiatisation de la religion, les statistiques, la bureaucratie, la hiérarchie ecclésiale, le "mobilier", les relations avec la société civile et la sphère politique, etc. sont placés au cœur du débat. 

Les raisons (ou, comme dirait Gaston Bachelard, les "obstacles épistémologiques") pour lesquelles cette "évidence" n'a pas été perçue à l'époque (et je n'ai moi-même aucun droit d'adopter une position de "surplomb" à cet égard), expliquent les apories dont nous ne sommes pas encore vraiment sortis et dont le mot d'ordre demeure, à Gauche (comme "progressisme"), comme à Droite (comme "conservatisme"), y compris dans l'Eglise, le "Politique d'abord !" de Charles Maurras et plus fondamentalement encore l'humanisme idéaliste, autocentré et autosuffisant, hérité de la Renaissance (Pic de la Mirandole), de la pensée des Lumières (Kant), en passant par le "cogito" cartésien.

William Cavanaugh a raison d'affirmer que la première réponse authentiquement chrétienne à "l'éclatement du christianisme" est la pratique eucharistique, assortie de la croyance en la présence réelle du Christ unificateur (unifier ne veut pas dire supprimer les différences) et médiateur (entre l'homme et la transcendance indicible comme "grand Autre" et entre chaque homme et la transcendance irréductible de son prochain comme "petit autre") sous les espèces du pain et du vin. C'est dans la "tunique sans coutures" du corps eucharistique, ainsi que dans la prière, les sacrements et l'écoute de la parole que doivent s'enraciner, sous l'inspiration de l'Esprit, l'exercice nécessaire de la raison, la relation aux autres dans le milieu familial et professionnel, la sensibilité esthétique, la création culturelle et artistique, l'engagement social et politique et la participation aux débats du temps.

A propos du corps :

Spinoza se demande dans L'Ethique ce que peut un corps,  tandis que Reiner-Maria Rilke prend conscience, devant le buste de l'Apollon antique exposé au Louvre, "qu'il doit changer sa vie" (ou "changer de vie"). Je pense aussi à la remarque de Marthe Robin à Jean Guiton sur le fait que l'on "bloque en soi-même les effets de l'eucharistie" et aux paroles du prêtre au moment de la consécration (commenté par Bernard Bro dans Devenir Dieu) : "Comme cette eau se mêle au vin, puissions-nous être mêlés à la divinité de celui qui vient à la rencontre de notre humanité". Je me sens bien incapable de savoir si et comment on peut faire la synthèse de toutes ces remarques, mais il me semble que c'est dans ce sens, en se gardant de toute dérive magique ou gnostique ou en sacrifiant au "culte du corps" (exploits sportifs, bodybuilding), qu'il faudrait penser le sacrement de l'Eucharistie... Et avant tout comme un abandon (une relativisation) de l'ego. relativiser : "désabsolutiser" + faire entrer en relation, faire communiquer... Le renoncement absolu n'est pas possible et sans doute pas souhaitable.

 

 

 

 

 

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