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Moses (Stéphane) L'Ange de l'histoire. Rosenzweig, Benjamin, Scholem - Persée
75.59 MOSES (Stéphane) L'Ange de l'histoire. Rosenzweig, Benjamin, Scholem Paris du Seuil 1992 262 pages Coll La Couleur des Idées Cet ouvrage est plus une brillante his toire des idées Il appor...
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Giorgio Amgamben, Walter Benjamin et le démonique. Bonheur et rédemption historique dans la pensée de Benjamin : essai publié dans aut aut, 1982, n° 189-190, traduit par J. Gayraud.
Inclus dans La Puissance de la pensée, essais et conférences (La Potenza del pensiero Saggi e conferenze), Editions Payot&Rivages, 2006, page 177-201)
Walter Bendix Schönflies Benjamin (15 juillet 1892 à Berlin - 26 septembre 1940 à Portbou) est un philosophe, historien de l'art, critique littéraire, critique d'art et traducteur (notamment de Balzac, Baudelaire et Proust) allemand de la première moitié du xxe siècle, rattaché à l'école de Francfort. Sa pensée a largement été redécouverte, explorée et commentée à partir des années 1950, avec la publication de nombreux textes inédits et de sa correspondance.
Giorgio Amgamben souligne l'importance primordiale du lien entre les notions de bonheur et de rédemption dans la pensée de Walter Benjamin, la notion de rédemption (Ha-Guéoula) étant au cœur de la pensée juive et le bonheur (eudaimonia) de la pensée grecque. Cette conciliation entre bonheur et rédemption, issue du désir le plus profond que l'âme humaine puisse concevoir, s'incarne dans la figure originelle, actuelle et eschatologique de "l'ange", figure fondamentale dans l'oeuvre Henry Corbin, à laquelle Amgamben se réfère principalement dans cet Essai.
Contrairement à Gershom Scholem (Walter Benjamin et son ange, Paris, Payot&Rivages, 1995), Amgamben ne pense pas que la figure de l'ange soit superposable à celle du "démoniaque" (au sens baudelairien du terme).
Stephane Moses a montré dans L'ange de l'Histoire. Rozensweig, Benjamin, Scholem, Editions du Seuil, 1992) les liens entre l'opus magnus de Rozensweig, L'Etoile de la Rédemption (en allemand : Der Stern der Erlösung, en hébreu : Kokhav ha-Guéoula) et la conception benjaminienne de l'Histoire. (voir le lien)
Extrait de l'Essai de Giorgio Amganben :
"L'ange tzelem constitue (donc) une sorte d'alter ego ou de double céleste, l'image originaire dans laquelle tout homme existait au ciel et qui l'accompagne aussi sur la terre (il en va de même dans la doctrine néoplatonicienne de l'idios daimon qui, au dire de Jamblique, existe comme paradigme avant que l'âme ne descende dans la génération", Myst., 9, 6, 8-10).
Nous ne saurions trop souligner l'importance du lien qu'entretiennent avec ce thème - qui concerne, pour ainsi dire, la préhistoire et la préexistence de l'homme - des motifs prophétologiques et sophiologiques, donc relatifs à la théorie de la connaissance mystique, et des motifs sotériologiques et eschatologiques, relatifs à la destinée et au salut de l'homme ; en d'autres termes son histoire et sa post-histoire.
Selon la doctrine qui se trouve à la fois dans les textes kabbalistiques et dans les récits hermétiques, la vision de l'ange personnel coïncide en effet avec l'extase prophétique et avec la connaissance suprême. Dans une compilation kabbalistique qui remonte à la fin du treizième siècle (Schushan sodot), la prophétie se présente comme une vision soudaine de son propre double : "Le secret accompli de la prophétie consiste pour le prophète en ceci : il voit subitement dressée devant lui sa propre figure, il oublie son soi, celui-ci est enlevé et il voit devant lui la figure de son soi, qui parle avec lui et lui annonce l'avenir."
Dans un autre texte kabbalistique (Isaac Cohen, aux environs de 1270), l'expérience prophétique est décrite comme une métamorphose de l'homme en son ange : "Chez le prophète et voyant, toutes ses forces s'affaiblissent et passent de forme en forme, jusqu'à ce qu'il revête la force de la forme qui lui apparaît, que sa force prenne alors la forme d'un ange et que cette forme, qui a pris sa place en lui, lui donne la capacité de recevoir la force prophétique."
Cette vision de son propre soi angélique ne concerne pas seulement la conscience prophétique, mais constitue aussi, selon une tradition que l'on rencontre dans les textes gnostiques, manichéens, hébraïques et iraniens, l'expérience sotériologique et messianique suprême.
Si, dans le traité arabe qui, sous le nom de Picatrix, a exercé une influence considérable sur l'hermétisme de la Renaissance, l'ange apparaît comme une forme d'une beauté merveilleuse qui, interrogée par le philosophe sur son identité, répond : "Je suis ta nature parfaite", un texte mandéen décrit en ces termes la rencontre salvatrice avec l'ange : "Je vais à la rencontre de mon image et mon image vient à ma rencontre ; elle m'embrasse et me serre contre elle quand je suis sorti de la prison ; et, dans le Chant de la perle des Actes de Thomas, le prince qui finit par rentrer dans sa patrie orientale, retrouve son image comme un habit lumineux : "La robe m'apparut soudain devant moi comme un miroir de moi-même. Je la vis tout entière en moi et j'étais tout entier en elle, puisque nous étions deux, séparés l'un de l'autre, et cependant d'une seul et même forme." (Pour tous ces thèmes, on se référera à Henry Corbin, En Islam iranien, Paris, Gallimard, 1971, vol. II, p.294-322)
Dans le thème iranien de l'ange Daênâ, que tout homme rencontre après la mort sous la forme d'une jeune fille qui n'est autre que son image archétypale et, en même temps, le résultat des actions qu'il a accomplies sur la terre, origine et rédemption, doctrine de la création et sotériologie se conjuguent dans l'idée d'une nouvelle naissance au dernier jour, où générant et généré s'identifient et se produisent réciproquement : "L'enfantement de Daênâ par et dans l'âme humaine, comme action de celle-ci, est simultanément l'enfantement de cette âme dans et par l'ange Daênâ (...) Il reste l'idée d'une hiérogamie eschatologique s'accomplissant in novissimo die - le mystère d'une nouvelle naissance où un être s'engendre à l'image du Double céleste (...) Ces thèmes, on les retrouve chaque fois que la scission d'un couple primordial céleste-terrestre énonce le mystère de l'Origine ; la restauration de sa bi-unité, de sa dualitude, se propose alors comme norme d'une éthique intérieure dont la sanction sera précisément la rencontre et la reconnaissance eschatologique de l'homme et de son Ange (ibidem, p.322)
Dans cet horizon, on comprend comment dans la mystique juive, l'ange-tzelem se charge d'une signification messianique et se présente comme le corps astral que revêt l'âme au moment de la mort pour retourner au paradis. Ici, dans la figure de l'ange, où l'origine apparaît vraiment construite par son histoire, expérience prophétique et expérience messianique d'identifient dans une perspective qui peut avoir exercé une forte influence sur un penseur comme Benjamin qui avait fait sien le mot de Kraus : "L'origine est le but".
C'est sur cette toile de fond complexe que nous devons situer tant l'épiphanie de l'ange décrite dans Agesilaus Santander que la figure angélique de la neuvième thèse. Replacée dans ce contexte, la rencontre avec l'ange ne pourra plus apparaître comme une illusion satanique ni comme l'allégorie mélancolique d'un naufrage (allusion au tableau intitulé "Angelus novus" de Paul Klee que possédait Walter Benjamin et auquel Hannah Arendt fait allusion dans un texte sur Kafka), mais au contraire comme le symbole auquel Benjamin confie la tâche historique la plus ardue et l'expérience de bonheur la plus complète à laquelle un homme puisse se mesurer..."
Selon Giorgio Amgamben, la figure angélique de la neuvième thèse n'est pas l'ange de l'Histoire, mais l'image archétypale de l'utopie positive comme "espérance", la figure messianique de la rédemption et du bonheur. Voici ce qu'écrit Hannah Arendt à propos de "l'ange de l'Histoire", "allégorie mélancolique d'un naufrage".
"Il importe peu, dans ce contexte, de savoir si l'homme possédé par la folie de la nécessité croit en ce déclin ou au progrès. Si le progrès était réellement "nécessaire", s'il était vraiment une loi surhumaine inévitable qui envelopperait uniformément toutes les époques de notre histoire, et qui aurait attrapé dans ses rets l'humanité sans qu'elle puisse s'en échapper, on ne saurait mieux décrire la puissance et la marche du progrès que ne le fait Walter Benjamin dans ses Thèses d'histoire de la philosophie : l'ange de l'histoire... a le visage tourné vers le passé. Où se présente à nous une chaîne d'événements, il ne voit qu'une seule et unique catastrophe, qui ne cesse d'amonceler ruines sur ruines et les jette à ses pieds. Il voudrait bien s'attarder, réveiller les morts et rassembler les vaincus. Mais du paradis souffle une tempête qui s'est prise dans ses ailes, si forte que l'ange ne peut plus les refermer. cette tempête le pousse incessamment vers l'avenir auquel il tourne le dos, cependant que jusqu'au ciel devant lui s'accumulent les ruines. Cette tempête est ce que nous appelons le progrès."
(Hannah Arendt, La philosophie de l'existence, "Franz Kafka", PBP, p. 129-131)