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Misère de la pédagogie

"Il (Philippe Meirieu) pointe la contradiction entre « l’injonction à l’autorité », abondamment pratiquée par la droite sur l’éducation alors que toute la société, avec la bénédiction de la même droite, place l’enfant en position de « cœur de cible » publicitaire, flatte ses élans pulsionnels et exalte la revendication du « tout, tout de suite ». En cela, la position de Meirieu est conforme à l’héritage des grands pédagogues, qui ont tous travaillé sans angélisme la question du « rapport à la loi ». Mais elle est totalement à l’opposé du mythe véhiculé par une brochette de polémistes – parmi lesquels Brighelli – présentant « l’enfant roi » comme la conséquence directe des pédagogies modernes en général et des propositions de Meirieu en particulier."(Luc Cédelle)

Philippe Meirieu n'est pas un "grand pédagogue", mais un théoricien de la pédagogie.

Meirieu a voulu ériger la pédagogie en discipline universitaire, au même titre que la linguistique, l'Histoire ou la sociologie en lui donnant un objet introuvable (alors qu'elle n'est qu'un moyen et relève du bricolage au sens que Claude Lévi-Strauss donne à ce mot), mais en minimisant la dimension du savoir et en privilégiant la dimension "métacognitive", il sapait les bases mêmes de son entreprise en produisant un discours autoréférentiel.

On ne peut ignorer par ailleurs la volonté de puissance idéologique notamment l'influence de Philippe Meirieu auprès de Lionel Jospin et sa contribution à la Loi d'orientation de 89, volonté de puissance que l'on ne retrouve chez aucun des "grands pédagogues" dont il se réclame.

On ne peut ignorer non plus la dimension dogmatique et quasiment catéchétique, voire terroriste, qu'a eue cette pensée dans la formation des enseignants au sein des IUFM.

Il ne me semble pas, par ailleurs, que la question du "rapport à la Loi" soit chez lui une question centrale.

Meirieu a été l'inspirateur - il l'a reconnu lui-même pour le regretter récemment - de la formule : "l'élève au centre du système éducatif" de la Loi d'Orientation de 89, formule qui pervertit la notion même d'autorité et de rapport à la Loi.

Ce ne sont ni les élèves, ni les professeurs, ni les parents, ni l'administration, ni quoi que ce soit d'autre que les savoirs qui sont au centre, et ce n'est qu'à cette condition que l'autorité peut être acceptée, sauf à verser dans l'autoritarisme.

L'Ecole est le lieu de l'effacement et de la décentration au profit du vrai et non un lieu d'expression des opinions et d'épanouissement du désir. Son rôle au contraire, est d'aider les élèves à sortir de l'immersion autosatisfaite dans la totalité substantielle du sens (la caverne de Platon où règne l'opinion) pour cheminer vers un horizon de vérité.

Le fond de scepticisme (et de sophistique) qui caractérise sa pensée explique pourquoi Philippe Meirieu se refuse à mettre les savoirs au centre du système éducatif.

L'Académie de Platon a duré près de mille ans, parce que Platon n'était pas un Pyrrhonien, Platon croyait à un horizon de vérité.

Mais la pensée de Platon n'est pas "dogmatique" et beaucoup de dialogues sont "aporétiques" (ils restent ouverts et sans conclusion) ; On retrouve cette tension entre doute et savoir chez les Humanistes de la Renaissance, en particulier dans les conception éducatives de Rabelais et de Montaigne. Si Rabelais privilégie le savoir dans l'éducation du jeune Gargantua, Montaigne complète cette visée "encyclopédique" sans la contredire en affirmant l'importance de l'appropriation personnelle et du jugement critique : "Les abeilles "pillotent" (butinent) de-çà de-là les fleurs, mais, après, elles en font le miel qui est entièrement leur ; ce n'est plus du thym ni de la marjolaine : de même les emprunts faits à autrui, il les transformera et fondra ensemble pour en faire un ouvrage entièrement sien, à savoir son jugement (Montaigne, Les Essais, Livre I, chap. 26, "Sur l'éducation des enfants", 1595, trad. d'André Lanly, Editions Champion, Paris 1989/Gallimard, Quarto,, 2009)

Cette vision humaniste somme toute équilibrée entre savoir et jugement critique est demeurée, avant d'être considérée comme "bourgeoise" et dépassée au cœur du système éducatif français jusque dans les années 75 (Réforme Haby), au moins à partir de la classe de seconde et la mise en place de la maîtrise de l'argumentation.

Il y a une école stoïcienne (le Portique), une école aristotélicienne (le péripatétisme), une école épicurienne (le Jardin), il y a des sceptiques, mais il n'y a pas d'école sceptique ; le doute, bien qu'indispensable à la pensée philosophique et scientifique, ne saurait constituer le fondement d'un visée éducative parce qu'on ne peut demander à des êtres qui découvrent le monde, perçu à travers la parole et la culture, de refaire et de critiquer en permanence les démarches qui ont contribué à le "construire".

Comme le dit Hannah Arendt dans La Crise de l'Education, le professeur doit avoir le courage de dire : "Voici notre monde." C'est à ce prix, ajoute-t-elle que le sujet humain pourra construire sa liberté : on ne peut remettre en question ce que l'on ne connaît pas.

Toute démarche pédagogique qui n'insiste pas sur la nécessité absolue de transmettre des savoirs explicites et qui voit dans la "pédagogie" autre chose qu'un art au service de la transmission de savoirs explicites est proche parente du constructivisme et du refus d'enseigner.

Toute démarche qui n'insiste pas sur la nécessité absolue de transmettre des savoirs explicites est une démarche foncièrement réactionnaire.

C'est faire beaucoup d'honneur à P. Meirieu que de le comparer à Zénon, l'un des plus éminents mathématiciens et logiciens de l'Antiquité, mais je vois un lien entre les deux.

Zénon soutenait l'impossibilité théorique du mouvement dans l'espace géométrique, Meirieu met en évidence l'impossibilité réelle de l'acte d'enseigner dans l'espace social. Or le mouvement existe et il se prouve en marchant, comme la possibilité (et le bonheur) d'enseigner se prouve en enseignant.

Il est paradoxal que la pensée de Meirieu se soit imposée dans les IUFM, puisqu'il s'est agi de persuader les futurs professeurs qu'ils s'engageaient dans une mission à la fois impossible et illégitime.

C'est une autre différence qui sépare Meirieu des autres "grands pédagogues" comme dit Luc Cédelle. Aucun "grand pédagogue" (Pestallozi, Montessori, Freinet...) n'a remis en question la légitimité de l'enseignement et la nécessité de transmettre des savoirs, aucun "grand pédagogue" n'a imposé ses conceptions théoriques comme modèles dans la formation des professeurs de France et de Navarre.

Chez Philippe Meirieu, l'enseignement est une tâche à la fois impossible et illégitime.

C'est une tâche impossible en raison du poids des conflits socio-cognitifs des obstacles socio-culturels, épistémologiques et psychologiques... si bien qu'on n'en finit jamais "d'innover", "d'enseigner autrement", de "partir des représentations des élèves", de "faciliter l'émergence des savoirs" dans le travail de groupe, de favoriser des situations de "conflit cognitif", de pratiquer la "pédagogie différenciée au sein de groupes hétérogènes", d'essayer de "donner du sens" et de chercher le salut dans le dernier gadget pédagogique ou technologique à la mode, pour s'en prendre, en désespoir de cause, à la société de consommation.

La pensée pédagogique de Philippe Meirieu est essentiellement fondée sur le ressentiment envers l'Ecole et la pédagogie traditionnelles et la volonté de "faire table rase" : apprentissage "global" de la lecture, dissociation de la lecture et de l'écriture, refus de la mémorisation, opposition entre mémoire et intelligence, remise en cause de la grammaire au profit de l'ORL (observation "raisonnée" de la langue), ainsi que du vocabulaire et de l'orthographe, critique des devoirs et des leçons "à la maison", dénonciation de l'enseignement explicite qualifié de "frontal" ou de "magistral", remise en question de la notation, valorisation du travail en groupe au détriment du travail individuel, dévalorisation de notions telles que l'effort, l'attention, le progrès et le travail...

L'enseignement est aussi pour lui une tâche illégitime, et c'est en cela que Philippe Meirieu se montre le digne héritier de Pierre Bourdieu, par sa conviction que l'acte d'enseigner est fondamentalement vicié par des rapports de domination si bien que le professeur n'enseigne pas "la vérité", mais impose des savoirs "bourgeois" et arbitraires aux "apprenants".

Les conséquences de ces prémisses ont amené P. Meirieu à préconiser un enseignement à deux vitesses, en fonction des milieux sociaux, seuls les enfants des classes "favorisées" ont la capacité, selon lui, d'accéder aux "belles œuvres" et il convient de réserver aux autres des textes uniquement pratiques, par exemple "les notices de machines à laver" (sic !)

On retrouve la même vision "de classe" et la même logique "égalitariste" dans l'insistance récurrente pour faire appliquer strictement l'interdiction des devoirs à la maison, au lieu de préconiser la généralisation de l'aide aux devoirs et des études dirigées : il faut interdire les devoirs à la maison car certains enfants peuvent bénéficier de l'aide des parents et pas d'autres.

Ces idées, déjà vivement critiquées par Antonio Gramsci à propos de l'inutilité de l'apprentissage de la grammaire - une conviction du ministre de l'Education nationale de Mussolini, Giovanni Gentile -, sont aux antipodes de la notion marxiste d'appropriation de la culture de la classe dominante par les classes dominées, conception qui suppose qu'il n'existe pas, ou de façon marginale, de "culture spécifiquement prolétarienne".

La prise en main totalitaire va toujours de pair avec une volonté d'appauvrir la parole en appauvrissant la langue. On s'attaque d'abord au squelette, à la grammaire, fondement de la logique, y compris chez Hegel : principe d'identité, de non contradiction et de tiers-exclu dont on paye très cher le mépris en politique : voir Orwell, "la paix c'est la guerre, l'amour c'est la haine"..., puis à la chair et aux muscles : le vocabulaire, la littérature, la philosophie, la poésie...

L'opposition entre les apprentissages "mécaniques" et les apprentissages "intelligents" est une dichotomie spécieuse, typique du pédagogisme.

Une chose est de dire que "la grammaire n'est pas un but en soi" et qu'il faut comprendre ce que l'on apprend, une autre qu'il est inutile d'apprendre les règles de grammaire ; nous sommes passés de la première idée (juste) à la seconde...

Dans le cas d'espèce, ce sont Marx et Gramsci les plus "progressistes" et non les "gauchistes" qui ont fait alliance avec les "libéraux", comme en témoignent les dernières réformes (et maintenant celle du Baccalauréat).

Les nouvelles classes dominantes s'accommodent parfaitement d'une école à deux vitesses : l'une où l'on apprend à aimer La Recherche du temps perdu et l'autre à déchiffrer des notices de machines à laver.

Non, Philippe Meirieu n'est pas victime d'un "lynchage" : 

Il n’est pas question de « lynchage ». Philippe Meirieu n’est pas une victime, c’est quelqu’un qui a très bien su mener sa barque et un idéologue qui s’est fait bien voir du pouvoir en place dans les années 89 qui ont été des années décisives dans l’histoire récente de l’Ecole.
 
Il n’a aucun diplôme d’enseignement( ni CAPES, ni agrégation), mais il a un titre de docteur en sciences de l’Education qui ne veut strictement rien dire (l’éducation n’est pas une science). Il est même possible qu’il ait obtenu par copinage politique une agrégation « au tour extérieur » (en clair on lui donné un diplôme qu’il n’a pas passé, une pratique courante dans l’Education nationale qui explique la tendance à minorer les savoirs)
 
Philippe Meirieu joue maintenant les vierges effarouchées, mais il a eu une énorme influence dans les années 90 et ses entrées au Ministère de l'Education nationale, du temps de Lionel Jospin. Il est l’un des inspirateurs de la Loi d’Orientation de 89. 
 
Meirieu se fait passer pour une victime, mais les véritables victimes, ce sont ses collègues envers lesquels il n’avait pas de mots assez durs : ils font volontairement trébucher les élèves, ils sont réactionnaires, ils refusent de travailler en équipe, ils ne connaissent pas la psychologie des « apprenants », ils refusent d’appliquer mes idées... et plus grave les élèves eux-mêmes. 
 
Je suis bien d’accord pour dire que Meirieu n’est pas le seul responsable, mais j’aimerais qu’on ait le courage de faire le bilan et de regarder en face de la situation actuelle de l’Ecole de la République : 30% d’élèves qui entrent en 6ème sans savoir lire et écrire correctement, un Bac dont les employeurs savent qu’il n’a plus aucune valeur, sans parler du Brevet des collèges, des étudiants qui arrivent dans le supérieur sans maîtriser les bases de la langue française. Je ne parle pas du foutoir permanent, du harcèlement des "intellos" par les petites brutes qui ne veulent rien foutre, des enseignants pris en tenailles entre les parents, les élèves et l’administration. Ce sont eux les véritables « boucs émissaires », pas Philippe Meirieu.
 
Je parle de ce que je connais (l’enseignement du Français), mais les collègues de maths font un constat analogue de leur côté. 
 
Je dis simplement que l’idéologie de l’élève au centre, plutôt que les savoirs et les savoirs faire, le constructivisme, le laxisme généralisé, la suppression, année après année, aussi bien sous la Gauche que sous la droite (mais il faut reconnaître que dans le domaine de la démolition la Gauche l’emporte haut la main), de tous les garde fous (orientation après la 5ème, CPPN, 4ème et 3ème technologiques, redoublements...) des théories fumeuses, aussi efficaces qu'un cautère sur une jambe de bois, mais relayées par les inspecteurs, menaces à l'appui (interdiction, par exemple, de faire de la grammaire dont je peux témoigner personnellement) a abouti à une situation catastrophique et probablement irréversible. Philippe Meirieu a joué un rôle de caution idéologique dans toute cette affaire et il porte une lourde part de responsabilité.

 

 
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