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"Moi, Michel Strogoff..."

Lorsque j'étais enfant, mes parents m'emmenaient certains dimanches rendre visite à mes grands-parents paternels qui habitaient un petit appartement, au 5ème étage, rue des Prouvaires, dans le quartier des Halles, à Paris, non loin du Pavillon de Baltard.

Il y avait toujours le même menu : un délicieux poulet à la chair blanche et juteuse que ma grand-mère achetait tout exprès chez le boucher en bas de l'immeuble, de la purée Mousseline, du gâteau de Savoie ou du clafoutis qu'elle confectionnait elle-même, car pour rien au monde elle n'aurait acheté un gâteau dans une pâtisserie.

Mon grand-père avait été blessé d'un coup de sabre aux Dardanelles et fait les grèves de 36... Un héros comme Michel Strogoff ! Ils s'étaient rencontrés à l'hôpital de campagne où elle était infirmière de guerre et avait soigné mon grand-père... Un véritable scenario de film ! Car on ne sait pas toujours si c'est le cinéma  qui imite la vie ou la vie qui imite le cinéma.

Ma première séance de cinéma se déroula  comme dans un rêve. Je me souviens du nom de l'acteur principal : Curd Jürgens et du nom du film : "Michel Strogoff".

Sur le chemin de chez mes grands-parents, en passant avec mes parents devant une salle de cinéma, je vis une affiche multicolore : Curd Jürgens dans son bel uniforme chamarré, avec ses cheveux blonds, son beau regard bleu, son sabre recourbé dont le nom seul faisait rêver : un "yatagan" - et j'éprouvai le désir irrésistible de voir ce film.

Note : Je m'aperçois en regardant de près l'affiche que je n'avais aperçue que de loin que mes souvenirs m'ont trompé : l'arme de Michel Strogoff n'est pas recourbée mais droite et il ne s'agit pas d'un "yatagan".

Je me souviens encore de l'émotion qui me saisit quand je pénétrai seul - j'avais réussi à fléchir mes parents par mes supplications pendant tout le déjeuner et obtenu l'argent pour acheter le billet - dans cet univers inconnu et magique : une salle de cinéma !

Adapté du célèbre roman de Jules Verne,  le film relate le périple de Michel Strogoff, courrier du tsar de Russie, de Moscou à Irkoutsk, capitale de la Sibérie orientale.

Dès le début, je fus fasciné par l'exotisme des paysages, l'énergie du héros, son courage indomptable, les somptueuses couleurs - le film était en technicolor, un procédé nouveau à l'époque - les beaux noirs de Nadia, la fidèle amie, les "yeux" du héros, qui se fait passer pour sa soeur, les cruels Tatars à la moustache tombante et au crâne chauve, le redoutable Féofar-Khan, l'abominable Yvan Ogareff, les fiévreuses chevauchées, les péripéties haletantes et les mille et un dangers qu'affrontait Michel Strogoff, alias  Nicolas Korpanoff, dont le nom lui allait si bien.

Les courriers du tsar n'ont besoin que d'à peine dix-huit jours pour parcourir la distance de Moscou à Irkoutsk... Je mis trois mois, à cause de toutes les épreuves que je dus surmonter.

J'avais bien cru devenir aveugle pour toujours quand Féofar-Khan, le chef des Tatars, passa devant mes yeux son sabre chauffé à blanc dans les flammes du feu de camp.

J'avais pleuré en pensant à ma mère que je croyais morte et mes larmes m'avaient sauvé ! Quelle merveilleuse idée, quel génie il faut avoir pour imaginer pareille scène, avec cet acteur épatant, Curd Jürgens,  qui incarnait si bien Michel Strogoff que je n'aurais pu en imaginer un autre.

Je sortis de la salle, ébloui par la lumière pour retrouver les automobiles et le Paris du XXème siècle - aller au cinéma, c'est passer brutalement de la nuit au jour, du rêve à la réalité en gardant le souvenir du rêve.

Je remontai l'avenue Jean Goujon en passant devant la belle fontaine du sculpteur de la Renaissance - ainsi que mon grand-père me l'avait expliqué - pour regagner l'appartement de mes grands-parents...

... Moi, Michel Strogoff, capitaine de l'armée russe, alias Nicolas Korpanoff, agent secret du tsar... Comme j'étais fier d'avoir mené à bien ma mission : avertir le grand duc, gouverneur de Sibérie, frère du tsar de toutes les Russies, resté sans nouvelles de Moscou, de l'arrivée des hordes tartares menées par Ivan Ogareff pour envahir la Sibérie...  Et heureux d'avoir survécu à toutes ces aventures et recouvré la vue - j'avais enfin ôté le bandeau que j'avais autour de la tête -  pour revoir les beaux yeux noirs de Nadia !

 

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