Jean Chevalier, Alain Gheerbrant, Dictionnaire des symboles, mythes, rêves, coutumes, gestes, formes, figures, couleurs, nombres, édition revue et augmentée, Robert Laffont/Jupiter, 2000
"C'est trop peu de dire que nous vivons dans un monde de symboles, un monde de symboles vit en nous. De la psychanalyse à l'anthropologie, de la critique d'art à la publicité et à la propagande idéologique ou politique, sciences, arts et techniques essaient de plus en plus aujourd'hui de décrypter ce langage des symboles, tant pour élargir le champ de la connaissance et approfondir la communication que pour apprivoiser une énergie d'un genre particulier, sous-jacente à nos actes, à nos réflexes, à nos attirances et répulsions, dont nous commençons à peine à deviner la formidable puissance.
Des années de réflexions et d'études comparatives sur un corpus d'informations rassemblées par une équipe de chercheurs, à travers des aires culturelles recouvrant la durée de l'histoire et l'étendue du peuplement humain, les auteurs ont tenté de donner à voir le cours profond du langage symbolique, tel qu'il se ramifie dans les strates cachées de notre mémoire.
Chacun sentira bien l'importance de ce Dictionnaire. Plus de mille six cents articles, reliés par des comparaisons et des renvois, souvent restructurés à la suite d'une longue maturation, permettent de mieux approcher la nudité du symbole, que la raison dans sa seule mouvance ne parviendrait pas à saisir. Cette somme unique ouvre les portes de l'imaginaire, invite le lecteur à méditer sur les symboles, comme Bachelard invitait à rêver sur les rêves, afin d'y découvrir la saveur et le sens d'une réalité vivante."
Extrait de la préface :
Ce Dictionnaire des Symboles constitue d'abord un inventaire, toujours inachevé, de l'imaginaire symbolique, ce carrefour de tout psychisme humain, où se conjoignent l'affectif et le désir, le connu et le rêvé, le conscient et l'inconscient. Cet ouvrage joue aussi le rôle d'un éveilleur à la perception d'une dimension, trop souvent négligée, de tout être, de toute expression, trait, son, geste, parole, couleur et nombre. Tout est signe et tout signe est porteur de sens. Mais nous n'en percevons d'habitude que la surface. Le signe a cependant un volume, une épaisseur feuilletée de sens. A travers le corps d'informations ici recueillies s'esquisse une herméneutique intégrale, au développement de laquelle sont invités tous les utilisateurs de ce livre. Il aide à dévoiler les directions possibles d'une recherche, il suggère, il n'impose pas. La valeur symbolique s'actualise différemment pour chacun, quand un rapport de type tensionnel et intentionnel unit le signe qui stimule et le sujet qui perçoit. Une voie de communication s'ouvre alors entre le sens caché d'une expression et la réalité d'une attente. Symboliser, c'est, en quelque sorte, à un certain niveau, vivre ensemble." (Jean Chevalier - Alain Gheerbrant)
Extrait de l'introduction :
"Les symboles connaissent aujourd'hui une faveur nouvelle. L'imagination n'est plus vilipendée comme la folle du logis. Elle est réhabilitée, soeur jumelle de la raison, comme l'inspiratrice des découvertes et du progrès. Cette faveur est due en grande partie aux anticipations de la fiction que la science vérifie peu à peu, aux effets du règne actuel de l'image que les sociologues essaient de mesurer, aux interprétations modernes des mythes anciens et à la naissance de mythes modernes, aux lucides explorations de la psychanalyse. Les symboles sont au centre, ils sont le coeur de cette vie imaginaire. Ils révèlent les secrets de l'inconscient, conduisent aux ressorts les plus cachés de l'action, ouvrent l'esprit sur l'inconnu et l'infini.
A longueur de jour et de nuit, dans son langage, ses gestes ou ses rêves, qu'il s'en aperçoivent ou non, chacun de nous utilise des symboles. Ils donnent un visage aux désirs, ils incitent à telle entreprise, ils modèlent un comportement, ils amorcent succès ou échecs. Leur formation, leur agencement, leur interprétation intéressent de nombreuses disciplines : l'histoire des civilisations et des religions, la linguistique, l'anthropologie culturelle, la critique d'art, la psychologie, la médecine. On pourrait ajouter à cette liste, sans la clore pour autant, les techniques de la vente, de la propagande et de la politique. Des travaux récents, et de plus en plus nombreux, éclairent les structures de l'imaginaire et la fonction symbolisante de l'imagination. On ne peut plus méconnaître aujourd'hui des réalités aussi agissantes. Toutes les sciences de l'homme, comme les arts et toutes les techniques qui en procèdent, rencontrent des symboles sur leur chemin. Elles doivent conjuguer leurs efforts pour déchiffrer les énigmes qu'ils posent ; elles s'associent pour mobiliser l'énergie qu'ils détiennent condensée. C'est trop peu de dire que nous vivons dans un monde de symboles, un monde de symboles vit en nous.
L'expression symbolique traduit l'effort de l'homme pour déchiffrer et maîtriser un destin qui lui échappe à travers les obscurités qui l'entourent. Ce livre pourrait servir au lecteur de fil d'Ariane, qui le guiderait dans les détours ténébreux du labyrinthe. Puisse-t-il l'inciter aussi à réfléchir et à rêver sur les symboles, comme Gaston Bachelard invitait à rêver sur les rêves, et à découvrir dans ces constellations imaginaires le désir, la crainte, l'ambition, qui donnent à sa vie, son sens secret."
"Phénix :
Le phénix, suivant ce qu'en ont rapporté Hérodote et Plutarque, est un oiseau mythique, d'origine éthiopienne, d'une splendeur sans égale, doué d'une extraordinaire longévité, et qui a le pouvoir, après s'être consumé sur un bûcher, de renaître de ses cendres. Quand l'heure de sa mort approche, il se construit un nid de brindilles parfumées où de sa propre chaleur il se consume. Les aspects du symbolisme apparaissent donc clairement : résurrection et immortalité, résurgence cyclique. C'est pourquoi tout le Moyen-Âge fit du phénix la symbole de la résurrection du Christ, et parfois celui de la nature divine - la nature humaine étant figurée par le pélican.
Ali-Jili fait du phénix le symbole de ce qui ne tire son existence que de son nom ; il signifie ce qui échappe aux intelligences et aux pensées. Ainsi, comme l'idée de phénix ne peut être atteinte que par le nom qui la désigne, Dieu ne peut être atteint que par l'intermédiaire de ses Noms et de ses Qualités.
Cet oiseau magnifique et fabuleux se levait avec l'aurore sur les eaux du Nil, comme un soleil ; la légende le fit se consumer et s'éteindre comme le soleil, dans les ténèbres de la nuit, puis renaître de ses cendres. Phénix évoque le feu créateur et destructeur, dont le monde tient son origine et auquel il devra sa fin ; il est comme un substitut de Civa et d'Orphée.
Il est un symbole de résurrection, qui attend le défunt après la pesée des âmes (psychostase), s'il a dûment sacrifié aux rites et si sa confession négative a été jugée véridique. Le défunt devient lui-même phénix. Le phénix porte souvent une étoile, pour indiquer la nature céleste et la nature de la vie dans l'autre monde. Le Phénix est le nom grec de l'oiseau Bennou ; il figure à la proue de nombreuses barques sacrées, qui vont déboucher dans l'immense embrasement de la lumière... symbole de l'âme universelle d'Osiris qui se créera sans fin d'elle-même, tant que dureront le temps et l'éternité.
La pensée occidentale latine devait hériter du symbole concernant le phénix, oisau fabuleux dont le prototype égyptien, l'oiseau Bennou, jouissait d'un prestige extraordinaire, en raison de ses caractéristiques. Chez les chrétiens, il sera, à partir d'Origène, considéré comme un oiseau sacré et le symbole d'une irréfragable volonté de survie, ainsi que la résurrection, triomphe de la vie sur la mort." (p.747-748)