Juan Branco, Crépuscule, Préface de Denis Robert, Editions Au Diable Vauvert/ Massot Edition, 2019
Juan Branco, né le 26 août 1989 à Estepona en Andalousie, est un avocat, universitaire, militant politique et journaliste franco-espagnol, collaborateur régulier du Monde diplomatique.
Il est l'une des figures de l'opposition à la loi « Hadopi » sur les droits d'auteurs en 2009. Conseiller juridique de WikiLeaks et de Julian Assange en France, il a été également l'avocat de Jean-Luc Mélenchon. Soutien des Gilets jaunes, il est l'avocat d'un de leur porte-parole, Maxime Nicolle.
Dédicace du livre :
"Ce texte est dédié à ceux qui n'auront jamais concédé leur dignité. Ceux qui, face à la tentation du pouvoir et de la compromission, du mensonge et de l'intérêt auront su tenir sans céder. Dédié, il l'est à cette idée qui m'a fait naître, cette République postulant l'égalité de ses enfants. Cette République qui a inspiré le monde, et qui sombre maintenant en des mains prostituées."
Cinquième de couverture :
"Ce texte vise à expliquer et à légitimer la colère qui s'est déployée. Comprendre ce qui s'est joué. Il donne assise et raison à ceux qui se sont mobilisés. Il permet de démontrer - le mot est fort, il est justifié - qu'ils ont eu raison. Par les faits, loin de toute idéologie, il montre la nécessité d'un mouvement qui a fait craindre à ceux qui possédaient qu'ils pourraient perdre ce qu'ils avaient gagné."
"Ce livre s'inscrit dans la tradition littéraire française des requisitoires politiques. Sous la plume enflammée d'un jeune homme formé pour intégrer les élites mais croyant encore en la République, il dénonce et expose les preuves d'une captation de la démocratie par des oligarques puissants, en faveur d'intérêts de caste. Et comment le président Emmanuel Macron en fut à la fois la créature et l'instrument. Le publier est un acte citoyen."
Extrait de la Préface de Denis Robert :
Denis Robert, né le 9 mai 1958 à Moyeuvre-Grande, est un journaliste et écrivain français. Spécialiste du journalisme d'investigation, il est également l'auteur de romans, de films documentaires et d'essais. Il est par ailleurs plasticien. Ses livres, films et interviews à la presse, dénonçant le fonctionnement de la chambre de compensation financière Clearstream, lui ont valu une soixantaine de procédures judiciaires par des banques. En 2011, après dix ans de procédures judiciaires, il est blanchi par la Cour de cassation de sa condamnation pour ses deux ouvrages Révélation et La Boîte noire, ainsi que pour son documentaire Les Dissimulateurs. Il est, en 2008, au cœur d'une polémique qui l'a opposé à Philippe Val, l'ancien patron du journal Charlie Hebdo, et au journaliste Edwy Plenel.
"Ce que vous avez entre les mains, cette chronique d'un effondrement qui peut advenir, est le fruit d'une courte maturation. Sa lecture permet de mieux comprendre comment et pourquoi ce président a si peur du peuple et compte tellement sur la police pour sauver sa réputation et celle de ses amis. Les grandes messes macroniennes, érigées en débats, occupent en ce mois de février finissant, à temps quasi complet, les écrans. Elles retardent une échéance qui semble, à lire Juan Branco, inéluctable. J'aurais pu dire "espérée". Je n'en suis pas sûr. Contrairement à l'auteur de Crépuscule, je ne suis pas persuadé que l'effondrement puis la destitution d'Emmanuel Macron soit la seule issue au conflit qui agite notre pays. Ni la meilleure.
Jamais des politiques fiscales et économiques n'ont été autant construites, vendues et inventées pour bénéficier aux classes supérieures déjà si riches et dominantes. L'absence de contre-pouvoir médiatique et d'offre politique crédible à opposer est désespérante. Nous nous sommes laissés endormir et berner. Mais nous avons été des électeurs consentants. Et ce qui se profile n'est pas la fin d'un monde, juste son déclin, sa nuit. Son tumulte. Son désordre. Sa confusion. Pourquoi croire au pire ? Espérons l'aube, le calme, le silence et la justice. Espérons des hommes debout, déterminés et lucides.
Contrairement à la vision sombre et sans alternative d'une révolution forcément sanglante, induite pas Juan, il reste un peu de temps et des espoirs. Il reste aussi des journalistes dans les médias "mainstream", comme dans la presse alternative et indépendante, pour poursuivre le travail d'anquête autour du macronisme. Et inverser la tendance lourde qui voudrait enterrer les gilets jaunes sous les gravats du ressentiment des managers en place.
Ce livre est différent de ce qui s'édite et se lit usuellement sur Emmanuel Macron, ceux qui l'ont amené à l'Elysée et ceux qui vivent grassement aux crochets de cette République en marche vers leur néant. Son auteur assume pleinement et courageusement une forme de trahison. Juan vit à Saint-Germain-des Prés. C'est un jeune bourgeois qui rompt avec sa classe, ses maîtres, certains de ses amis, ses collègues de Normale Sup et de sciences Po. Il vit depuis près d'un an grâce au RSA. Gageons que cela lui sera reproché. Il a aussi rompu avec sa vie d'avant et ses salaires de banquier pour entreprendre ce travail pour lui-même, sur lui-même et pour nous. Il n'a rien prémédité. Il s'est levé un matin et s'est mis à écrire. A prendre ce risque parce que le reste - tout le reste - lui paraissait insupportable.
Crépuscule nous éclaire - c'est son paradoxe - sur la face obscure de ce pouvoir déliquescent. C'est d'abord un exercice de lucidité. (Denis Robert)
Chapitre I (présentation de l'ouvrage par Juan Branco) :
"Le pays entre en des convulsions diverses où la haine et la violence ont pris pied. Cette enquête sur les ressorts intimes du pouvoir macroniste, entamée en octobre 2018, vient de donner raison à ces haines et violences que l'on s'est tant plu à déconsidérer.
Il rend hommage à ce peuple sombre, dont la profondeur a été confondue avec sa supposée saleté, par une élite qu'il est temps maintenant d'étriller.
Qu'il soit établi que seront ici révélés les liens de corruption, de népotisme et d'endogamie qui jonchent un pays et qui ont fait de ses dominants les esclaves de leurs propres intérêts.
Tous les faits que je vais exposer ont été l'objet d'une enquête et vérifiés au détail près. Ils exposent un scandale démocratique majeur : la captation du pouvoir par une petite minorité, qui s'est ensuite assurée d'en redistribuer l'usufruit auprès des siens sans ne rien exiger ni imposer, en un détriment qui explique l'explosion de violence à laquelle nous avons assisté.
Qui l'explique et l'a requise. Car à force de compromissions successives, nos clercs, chargés de décrypter le réel, se sont prostitués en un marché de l'information où la protection du secret valait autant, voire plus, que la révélation de la vérité.
Ce scandale n'a jusqu'ici pas été décrit, ni révélé, alors même qu'il est connu de ceux qui sont censés nous le raconter. Ceux-là mêmes qui se satisfont, plutôt que d'exercer leur fonction, de se compromettre avec qui ils sont censés contrôler - et qui les ont achetés. Dans un pays où 90% de la presse est entre les mains de quelques milliardaires, l'exposition de la vérité est devenue affaire complexe. Morcelée, envasée, elle est devenue indicible et insaisissable, inagglomérable politiquement. La capacité à dire et se saisir du réel n'a cessé, par ces corruptions, pour les dirigeants comme pour les populations de se dégrader."
Et le peuple a fini par se lever.
Mon avis sur le livre :
"Et voilà que l'on commence à comprendre pourquoi en ce pays, personne ne comprend rien, tandis que tous sentent tout." (p.158)
Le mérite du livre de Juan Branco, parce qu'il connaît presque tout de ce monde auquel il a failli appartenir est de mettre des mots et des noms sur ce que tout le monde sent, mais à quoi personne ne comprend rien, faute d'information ou d'une information biaisée et orientée qui cache l'essentiel.
Lorsqu'il n'y a pas de mots pour exprimer le malaise et la souffrance, c'est la violence qui remplace les mots. On le constate, semaine après semaine, avec le mouvement des "Gilets Jaunes" qui se poursuit malgré le "Grand Débat".
Les Français veulent qu'on les écoute, qu'on les respecte et qu'on leur dise la vérité. Cette vérité, si importante dans tous les domaines et particulièrement en politique, car sans elle, pas de confiance ni de lien social.
La vérité, Juan Branco se substitue dans ce livre à ceux qui sont en charge de la dire et qui ne le font pas : la Presse, désormais inféodée aux puissances d'argent qui ont fait élire Emmanuel Marcon pour qu'il leur renvoie l'ascenseur.
Il met des mots et des noms sur "ce que tout le monde sent", sur la servitude des médias, la reproduction sociale, le rôle et les privilèges de la nouvelle oligarchie, sur leur mépris du peuple.
Il explique qui sont ces hommes qui ont fabriqué Emmanuel Macron : Bernard Arnaud, le héros de Merci Patron (François Ruffin), 4ème fortune du monde, champion du monde de l'"optimisation fiscale", du lobbying, des licenciements, des délocalisations, habilleur de la "première dame", Bernard Arnaud qui a hérité de papa, mais n'a pas, aux dires même de ses "amis", décroché la timbale au loto de la génétique, mais qui se fait servir par des domestiques en livrée, comme sous l'Ancien Régime et pour qui les politiques sont des domestiques comme les autres, des domestiques en costume cravate, Xavier Niel, proxénète devenu multimilliardaire grâce à des complicités au plus haut sommet de l'Etat, Jean-Pierre Jouyet, Gabriel Attal, Alexandre Séjourné, Michèle (dite "Mimi") Marchand, trafiquante de drogue devenue la reine de la "Presse people", Alain Minc, pour qui il faut être "un peu pute" (sic) pour faire des affaires et de la politique (ce qui est pour lui du pareil au même), Patrick Drahi, Denis Oliviennes, Nicolas Bazire, Jean-Marie Messier, Arnaud Lagardère... et quelques seconds couteaux comme Ramzy Khiroun, Raphaël Emelien, Ludovic Chaker ou Alexandre Benalla.
Oui, la lecture du livre de Juan Branco permet de mettre enfin des mots sur ce que tout le monde sent confusément... Qu'il y a pour paraphraser Shakespeare "quelque chose de pourri au royaume de France".
Il permet de mieux comprendre comment le système scolaire et les écoles d'élite organisent la reproduction sociale, comment une poignée d'initiés procèdent au pillage systématique de l'Etat, comment s'organisent l'endogamie, les réseaux d'influence parisiens et la "fabrique du consentement" : "Les liens actuels entre pouvoir médiatique et politique dégradent notre espace informationnel et rendent nos journalistes prisonniers de logiques d'intérêt, des effets délétères de la concentration des richesses".
"Conscient de sa fragilité et de la difficulté à continuer à préserver, tout en le niant, l'intérêt de ceux qui l'ont constitué, conclut Juan Branco, le président Macron est reparti en campagne. Dépensant une énergie "de dingue", il fait illusion.
Tout autour de lui, pourtant, on l'aura compris, un monde vacille, se décompose et lutte contre son crépuscule. Il était temps de le révéler. Et face à un pouvoir nous menaçant d'effondrement de se lever."(p.311)
En lisant ce livre qui dénonce "l'effondrement de l'exemplarité morale, intellectuelle et économique des dirigeants (p.135), j'ai pensé - on va se moquer de moi mais tant pis - à la nuit du 4 août 1789, à tous ceux qui ont donné leur vie pour la France, à tous ceux qui se sont battus pour plus de liberté, d'Egalité et de Fraternité, au front Populaire qui a arraché les congés payés, à Mai 68 qui a abouti aux accords de Grenelle, j'ai pensé à des gens de ma famille, à mon grand-père, ouvrier chez Citroën quai de Javelle, militant SFIO, blessé aux Dardanelles, gazé à Verdun, à mon père résistant de la première heure, aux gilets jaunes qui ont perdu une main ou un oeil, car ces gens "bien élevés" sont féroces quand on touche à leurs intérêts et j'ai été partagé entre la nausée, le désespoir, la consternation et la colère.
J'ai pensé aussi à Edmond Michelet, ministre du général de Gaulle, revenu de Buchenval où il portait la communion à ses frères de misère, au risque de sa vie.
Il est impensable, à moins de verser dans le néo-fascisme (mais peut-être y sommes-nous déjà) que les choses continuent comme avant, après le tour de passe-passe du "Grand Débat", comme si de rien n'était.
La France ne mérite pas le déshonneur d'être gouvernée par des gredins. Car, comme le dit Juan Branco, ils ne sont pas corrompus, ils sont la corruption".