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Joseph Roth, La marche de Radetzky
Joseph Roth, La marche de Radetzky

La marche de Radetzky (Radetzkymarch), traduit de l’allemand (Autriche) par Blanche Gidon et revu par Alain Huriot - Préface de Stéphane Pesnel, Editions du Seuil, 1982 pour la traduction française et 1995 pour la présentation.

"Le monde est fait pour aboutir à un beau livre." (Stéphane Mallarmé)

L'auteur :

Joseph Roth est né en Galicie austro-hongroise en 1894, de parents juifs. Etudes de philologie à Lemberg et à Vienne. En 1916, il s’engage dans l’armée autrichienne. Après la guerre, il se tourne vers le journalisme tout en menant une carrière de romancier. Opposant de la première heure au national-socialisme, Roth quitte l’Allemagne dès janvier 1933 pour venir s’installer à Paris, où il meurt en 1939. Il laisse une œuvre abondante et variée : treize romans, huit longs récits, trois volumes d’essais et de reportages, un millier d’articles de journaux. (source : Editions du Seuil)

L'oeuvre : 

Publié à l’origine en 1932, le chef-d’œuvre de Joseph Roth, La Marche de Radetzky, dont le titre se réfère, non sans ironie, à la célèbre marche militaire composée par Johann Strauss, relate le déclin et la chute de la monarchie austro-hongroise à travers trois générations de von Trotta. Le destin de cette famille semble indissociable de celui du dernier des Habsbourg : le premier von Trotta, surnommé le « Héros de Solferino » pour avoir, durant la bataille, sauvé la vie du jeune François-Joseph ; son fils, fonctionnaire de l’Empire ; son petit-fils, officier tombé au champ d’honneur en 1914. L’auteur nous livre ici l’évocation magistrale d’une société en pleine désintégration politique et sociale et, d’une manière générale, le constat d’un ordre qui se défait irrévocablement.Tout comme Kafka, Musil et Schnitzler, Joseph Roth est un formidable prosateur de la langue allemande. La Marche de Radetzky demeure un grand classique de la littérature européenne du XXe siècle.

Extrait :

"... C'est alors seulement que ses vacances commençaient. Un quart d'heure encore et il entendait, venant de la caserne, le premier rataplan des tambours de la musique militaire qui se mettait en marche. Tous les dimanches, aux environs de midi, elle jouait devant les bureaux du préfet qui ne représentait rien moins que Sa Majesté l'Empereur dans la petite ville. Charles-Joseph se tenait caché derrière l'épaisse vigne vierge du balcon et il recevait le concert de musique militaire comme un hommage. Il se sentait un peu parent des Habsbourg dont son père représentait et défendait le pouvoir en ce lieu et pour  lesquels lui-même s'en irait un jour à la guerre et à la mort. Il savait tous les noms des membres de la suprême maison. Il les aimait tous sincèrement d'un coeur puérilement dévoué mais, plus que tous les autres, il aimait l'Empereur qui était bon et grand, supérieur et juste, infiniment lointain et tout proche, particulièrement attaché aux officiers de son armée. Mourir pour lui aux accents d'une marche militaire était la plus belle des morts, mourir au son de la Marche de Radetsky était la plus facile des morts. Les balles agiles sifflaient allègrement, en mesure, autour de la tête de Charles-Joseph, son sabre nu étincelait ; le coeur et le cerveau tout remplis de la grâce entraînante de cette musique, il tombait sous la griserie des roulements de tambours et son sang s'égouttait en un mince filet rouge sur l'or miroitant des trompettes, le noir profond des caisses et l'argent triomphal des cymbales..." (p.36-37)

Extrait de la présentation de Stéphane Pesnel :

Cette présentation est le condensé d'un essai particulièrement éclairant de Stéphane Pesnel, paru aux Presses universitaire de Rouen et du Havre : "Lieux de mémoire autrichiens dans La Marche de Radetzky de Joseph Roth"

Stéphane Pesnel :

Maître de conférences en études germaniques à l’université de Paris-Sorbonne et rattaché à l’équipe Représentations et identités, espaces germanique, nordique et néerlandophone (REIGENN, EA 3556). Ses recherches portent principalement sur la littérature autrichienne des XIXe et XXe siècles. Il est également traducteur littéraire (Joseph Roth, Stefan Zweig). Publications : Totalité et fragmentarité dans l’œuvre romanesque de Joseph Roth (Peter Lang, 2000), « Lectures de La Marche de Radetzky » (direction du no 77 de la revue Austriaca).

"Le août 1848. Pour la première fois retentissent à Vienne les accents joyeux et triomphaux de la marche de Radetzky, que vient d'écrire Johann Strauss père afin de fêter l'écrasement de l'insurrection italienne en Lombardie-Vénétie et l'entrée dans Milan des troupes autrichiennes commandées par l'une des gloires militaires de l'empire, le maréchal octogénaire Johann Joseph Wenzel Radetzky von Radetz. A la fin de la même année, un jeune archiduc monte sur le trône impérial et entame, sous le nom de François-Joseph Ier, l'un des règnes les plus longs de l'histoire.

Que Joseph Roth ait choisi de placer son chef-d'oeuvre sous les auspices de la célèbre marche ne relève ni du hasard, ni d'un quelconque folklore viennois. Symbole d'un empire encore capable de contenir les visées indépendantistes des peuples qui le composent, la Marche de Radetzky scande le récit du lent effondrement de la monarchie des Habsbourg comme si elle voulait en conjurer la menace par son rythme entraînant et la verdeur de ses timbres. Hélàs, les clameurs discordantes des particularismes (hongrois notamment), L'Internationale, chant de ralliement de la classe ouvrière, ainsi que les mélodies frivoles de l'opérette viennoise finissent par recouvrir les fifres, les cymbales et les tambours de cette marche militaire que Roth surnommait la "Marseillaise du conservatisme".

Il n'est pas innocent non plus que le roman de Roth, tout en prenant comme point de référence implicite les victoires du maréchal Radetzky, s'ouvre sur la défaite de Solférino en 1859, qui permet aux Italiens de reprendre la Lombardie. A partir de ce moment, l'histoire de l'empire ne sera qu'une succession quasiment ininterrompue d'échecs et de compromis, et la musique de Johann Strauss père un simple souvenir de la grandeur passée, auquel le sous-lieutenant Charles-Joseph von Trotta ne cessera de se raccrocher désespérément.

Roman historique retraçant l'inéluctable désagrégation de l'Autriche-Hongrie, La Marche de Radetzky est cependant avant tout le roman d'une famille. A l'exception notable de la bataille de Solférino, de l'attentat de Sarajevo et de la mort de François-Joseph Ier, qui fixent le cadre temporel du récit, Joseph Roth ne mentionne aucun repère historique et donne la priorité à la description du destin des Trotta ainsi qu'à l'évocation de provinces slaves de la Couronne comme la Moravie et la Galicie. Par contrecoup, chaque événement familial ou local - la mort du serviteur Jacques ou une grève ouvrière à la frontière austro-russe - prend une ampleur insoupçonnée. S'il veut parvenir à saisir la vérité d'une époque, le romancier se doit en effet selon Roth d'être un chroniqueur du quotidien, attentif aux existences modestes et dissimulées. Comme il l'écrit en 1932 lorsqu'il présente la Marche de Radetzky aux lecteurs de la Frankfurter Zeitung, "la mission humble et noble qui incombe (à l'écrivain) consiste à glaner les destins privés que l'Histoire, aveugle et insouciante, à ce qu'il semble, laisse tomber sur son passage"... (p.I-II)

Mon avis sur le roman : 

Don Quichotte, Les Frères Karamazov, Madame Bovary, Le Rouge et le Noir, La recherche du temps perdu...  Ils sont là comme des évidences, comme s'ils avaient existé de toute éternité. Leur existence nous ferait douter de la contingence du monde...

Bien entendu les livres n'attendent pas sur des étagères éternelles qu'un élu les transcrive un jour à l'intention des mortels. Ils sont inscrit dans une histoire individuelle (l'histoire personnelle de Joseph Roth, le recul que lui donne son appartenance au judaïsme...) et collective (l'histoire de la monarchie impériale austro-hongroise).

Mais personne d'autre que Joseph Roth n'aurait pu raconter la décadence inéluctable de l'empire austro-hongrois de cette manière si particulière, non comme une grande fresque historique, mais à travers la parabole de deux oubliés de l'histoire (le père préfet et le fils sous-officier) dont le seul malheur fut d'avoir un ancêtre qui avait sauvé la vie de l'empereur François-Joseph à la bataille de Solférino.

 Qu'est-ce qui fait d'un livre plus qu'un simple roman ? Qu'est-ce qui en fait un chef d'oeuvre ? Il n'est pas facile de répondre à cette question, mais on ne peut douter que la Marche de Radetzky en soit un.

Je ne dirais pas qu'il faut l'avoir lu car ce n'est pas seulement une question de devoir ou de culture. La marche de Radetzky est l'une des plus belles expériences de lecture que l'on puisse faire. Ce n'est pas de l'ordre du devoir, mais de la jubilation... Une des plus rares et des plus éclatantes confirmations de la remarque de Stéphane Mallarmé : "Le monde est fait pour aboutir à un beau livre".

Pour entrer dans l'oeuvre, notamment son arrière-plan politique, culturel et historique, et bien que le roman, comme le souligne le préfacier, ne soit  pas "historique", on ne peut que renvoyer à la préface de Stéphane Pesnel, tirée de son essai "Lieux de mémoire autrichiens dans La Marche de Radetzky de Joseph Roth", paru aux Presses universitaires de Rouen et du Havre.

Il convient également de rendre hommage à l'admirable traduction française, qui fait littéralement entendre la langue de l'auteur, de Blanche Gidon, professeur d'allemand au lycée Edgar Quinet à Paris dans les années 30 et qui connut personnellement l'auteur.

 

 

 

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