Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

1. Le roman La princesse de Clèves est paru en 1678, sous le règne de Louis XIV. L'intrigue se situe "dans les dernières années du règne d'Henri le second", c'est-à-dire vers 1559, soit un écart d'environ 120 ans. Cet écart s'explique par des raisons de bienséance et de pudeur. L'auteure n'a pas souhaité que les lecteurs de son temps puissent associer les protagonistes du roman à des contemporain(e)s, y compris elle-même.

Elle explique les jugements implicitement dépréciatifs portés sur la cour d'Henri II et sur la personne du roi, à l'aune de valeurs propres au XVIIème siècle, telles que la profondeur spirituelle, le refus des passions et des divertissements (Bossuet, Pascal, Port-Royal, le Jansénisme, saint Vincent de Paul, Fénelon, Mme. de Maintenon). A travers la critique allusive d'Henri II et de sa cour, il s'agit peut-être pour Mme. de La Fayette de s'en prendre à certains aspects de la cour de Louis XIV.

2. Plan du texte :

Depuis "La magnificence et la galanterie jusqu'à moins éclatants : présentation de la cour et du roi Henri II.

Depuis "Comme il réussissait admirablement dans tous les exercices du corps" jusqu'à "qui était alors à marier" : évocation des "divertissements" du roi et de Diane de Poitiers, duchesse de Valentinois.

Depuis "la présence de la reine" jusqu'à "la place du roi François premier son père" : évocation de Catherine de Médicis, l'épouse d'Henri II.

Depuis "L'humeur ambitieuse de la reine" jusqu'à "ne manquait pas de se trouver" : évocation des relations entre Catherine de Médicis et Diane de Poitiers.

3. "Magnificence" : du latin "magnus" = grand. Beauté, grandeur, éclat, mais aussi disposition à dépenser sans compter. La galanterie est un code de conduite autour de la femme, souvent sous la forme de propos ou compliments flatteurs. Vécue par beaucoup comme une forme de politesse et de savoir-vivre, elle est aussi considérée comme un moyen de séduction. L'origine de la galanterie est liée à l'aristocratie, à la chevalerie et à l'amour courtois.

4. Henri II de Valois (né le 31mars 1519 à Saint-Germain en Laye et mort, d'une blessure à l'œil reçue au cours d'un tournoi, le 10 juillet 1559  à Paris) est roi de France de 1547 à sa mort. Deuxième fils de François Ier et de Claude de France, il devient l'héritier du trône à la mort de son frère aîné en 1536. Il reçoit alors les titres de dauphin et de duc de Bretagne.

5. Le texte comporte de nombreux jugement laudatifs, ainsi que des hyperboles : "La magnificence et la galanterie n'ont jamais paru en France avec tant d'éclat", "Ce prince était galant, bien fait et amoureux", "sa passion pour Diane de Poitiers n'en était pas moins violente, et il n'en donnait pas des témoignages moins éclatant", "comme il réussissait admirablement dans tous les exercices du corps", "Cette princesse était belle (...) ; elle aimait la grandeur, la magnificence et les plaisirs", "prince que sa naissance et ses grandes qualités destinaient à remplir dignement la place du roi François 1er son père", "elle n'en témoignait aucune jalousie",  "où tout ce qu'il y avait de plus beau et de mieux fait, de l'un et l'autre sexe, ne manquait pas de se trouver"

6. Le roi est qualifié de "galant, bien fait et amoureux". On peut se demander si ce sont là les seules qualités que l'on peut attendre d'un roi. L'auteure n'évoque ni ses capacités à gouverner, ni son sens de l'Etat, ni ses qualités intellectuelles, ni sa prudence, son courage ou sa sagesse. En ne parlant que de son attitude vis-à-vis des femmes et de son aspect physique, l'auteure sous-entend que la galanterie et la prestance physique sont ses seules qualités (on parle de "prétérition"). L'auteure se montre ici sévère vis-à-vis de Henri II sur lequel les historiens sont plus nuancés. Son intention n'est pas de faire œuvre d'historienne, mais de conserver de l'Histoire ce qui peut servir à l'intrigue de son roman  : la magnificence et la galanterie de la cour, l'importance de l'apparence physique, le fait que le roi partage sa vie entre une femme légitime et une maîtresse à laquelle il voue une "passion violente". introduits dans le roman, Henri II, Diane de Poitiers et Catherine de Médicis cessent d'être des personnages historiques pour devenir des personnages de roman, comme le cardinal de Richelieu, le roi Louis XIII et la reine Marie de Médicis dans Les trois mousquetaires d'Alexandre Dumas.

7. Diane de Poitiers : 3 septembre 1492 ou 9 janvier 1500 en Dauphiné - 26 avril 1566 à Anet, comtesse de Saint-Vallier, duchesse de Valentinois, demeure pendant plus de vingt ans la favorite d'Henri II, roi de France. Les sources la concernant sont infimes et lacunaires, si bien qu'on ignore quasiment tout d'elle, notamment pour des années entières. La postérité a forgé d'elle une image de femme de caractère, grande mécène, avide de pouvoir et d'honneurs.

"quoique sa passion pour Diane de Poitiers, duchesse de Valentinois, eût commencé il y avait plus de vingt ans, elle n'en était pas moins violente, et il n'en donnait pas des témoignages moins éclatants" : ce passage souligne la différence d'âge entre le roi et sa maîtresse. On sait qu'Henri II était moins porté sur les femmes que son père François Ier (on ne lui connaît que deux maîtresses en dehors de Diane de Potiers). Madame de la Fayette parle d'une "passion violente et durable", ce qui, pour la princesse de Clèves (et pour sa mère qui l'a élevée et sans doute pour l'auteure elle-même) est une contradiction dans les termes, comme elle l'expliquera à Nemours à la fin du roman. On peut en déduire qu'elle se refuse à prendre exemple sur Diane de Poitiers pour conserver le duc de Nemours, en faisant des concessions, en acceptant que leur passion se transforme en amitié, en fermant les yeux sur ses infidélités, etc.

8. Le thème de la passion amoureuse qui est le thème central du roman, apparaît dès l'incipit : "Ce prince était galant, bien fait et amoureux ; quoique sa passion pour Diane de Poitiers, duchesse de Valentinois, eût commencé il y avait plus de vingt ans, elle n'en était pas moins violente, et il n'en donnait pas de témoignages plus éclatants".

9. Le mot "violente" ("elle n'en était pas moins violente") signifie ici intense. 

10. On estime généralement, d’après leur correspondance, que ce serait vers 1538 que Diane serait devenue la maîtresse d’Henri. Elle avait donc 46 ans (67 ans au moment de la mort du roi) et le roi (mort à 40 ans) 29 ans, d'où une différence d'âge d'au moins 17 ans (on ne connaît pas avec certitude la date de naissance de Diane de Poitiers : le 3 septembre 1492 ou le 9 janvier 1500 ?).

11. On peut douter que le roi Henri II éprouvât encore, vingt ans plus tard (vers 1558) une "passion violente" pour Diane de Poitiers. Il est plus vraisemblable que leur relation amoureuse s'était transformé avec les années en amitié. Mais là encore, fût-ce au prix d'un certain anachronisme, ce qui intéresse l'auteure ce n'est pas la grande Histoire (nous ne savons pas grand chose sur les raisons et sur la nature exacte de l'attachement du roi Henri II envers Diane de Poitiers), mais la petite qui transforme les personnages historiques en personnages romanesques. Il lui faut montrer que les sentiments qui unissent la Princesse de Clèves au duc de Nemours ne sont pas une exception aberrante, qu'ils sont partagés par les plus hauts personnages de la cour.

12. "Comme il réussissait admirablement dans tous les exercices du corps, il en faisait une de ses plus grandes occupations" : La première partie de cette remarque ("il réussissait admirablement dans tous les exercices du corps") est laudative, mais la seconde ("il en faisait une de ses plus grandes occupations") est dépréciative (péjorative). L'auteur suggère que le roi se préoccupe davantage d'exercer son corps que de cultiver son esprit.

13. "C'étai(en)t tous les jours des parties de chasse et de paume, des ballets, des courses de bagues, ou de semblables divertissements. L'imparfait ("c'étai(en)t") a une valeur itérative (imparfait d'habitude). L'imparfait itératif donne l'impression que le roi passe son temps à se divertir au lieu de s'occuper des affaires du royaume.

14. "Le divertissement est l'une des notions capitales de l'anthropologie exposée par Pascal au début des Pensées. Le mot n'a pas notre sens moderne et banal du loisir, des activités de temps libre, mais un sens beaucoup plus grave, et paradoxal, comme souvent chez Pascal : le divertissement est pour l'homme le moyen de se détourner - se divertir au sens propre (di-vertere) - de la misère de la vie, de se dissimuler la vanité de sa condition, d'ignorer l'ennui et l'inquiétude, deux termes très forts à entendre comme angoisse profonde. Le divertissement, c'est tout ce qui empêche de chercher la vérité de Dieu (...) "Les hommes n'ayant pu guérir la mort, la misère, l'ignorance, ils se sont avisés, pour se rendre heureux, de n'y point penser (166-133), énonce un fragment de la liasse "Divertissement" des Pensées. Ou encore, "un roi sans divertissement est un homme plein de misères" (169-137) (Antoine Compagnon, Un été avec Pascal, Equateurs Parallèles, p.125-126)

Pour le chrétien qu'est Pascal, l'expérience de l'ennui et la méditation sur la condition humaine doit finalement amener l'homme à se tourner vers Dieu. Madame de La Fayette (ainsi que son héroïne, la princesse de Clèves) partageait sans doute cette conception.

L'auteure considérait sans doute la passion amoureuse elle-même comme une forme de divertissement, de "transcendance déviée", d'idolâtrie, dans la mesure où elle pousse à diviniser un autre être humain, à le mettre à la place de Dieu et à lui rendre un culte exclusif. (cf. la "cérémonie" à laquelle se livre la princesse avec les rubans et la canne des Indes ayant appartenus au duc de Nemours vers la fin du roman).

15. "les couleurs  et les chiffres de Mme. de Valentinois paraissaient partout, et elle paraissait elle-même avec tous les ajustements que pouvait avoir Mlle. de la Marck, sa petite-fille, qui était à marier" : cette phrase souligne, non sans ironie, la vanité de Diane de Poitiers qui rivalise, à plus de 50 ans, avec sa petite-fille en s'habillant de la même manière. L'expression "les couleurs et les chiffres" et l'adverbe "partout" souligne le caractère désobligeant du comportement de Diane de Poitiers à l'égard de la reine dont elle usurpe en quelque sorte les prérogatives, alors qu'elle n'est que la maîtresse du roi.

16. "Le roi l'avait épousée lorsqu'il était encore duc d'Orléans, et qu'il avait pour aîné le dauphin, qui mourut à Tournon, prince que sa naissance et ses grandes qualités destinaient à remplir dignement la place du roi François premier, son père" : François, dauphin de France : né le 28 février 1518, premier fils de François Ier et de Claude de France. Mort à 18 ans, c'est son frère cadet, le futur Henri II qui lui succède en tant que dauphin de France.

Le jugement extrêmement laudateur que porte Mme de la Fayette sur le dauphin, mort prématurément à Tournon, suggère qu'Henri II, était loin d'avoir les "grandes qualités qui destinaient son frère aîné à remplir dignement la place de François Ier, son père." Les historiens du règne de Henri II ne partagent pas la sévérité de ce jugement.

17. "L'humeur ambitieuse de la reine lui faisait trouver une grande douceur à régner ; il semblait qu'elle souffrît sans peine l'attachement du roi pour la duchesse de Valentinois, et elle n'en témoignait aucune jalousie, mais elle avait une si profonde dissimulation qu'il était difficile de juger ses sentiments, et la politique l'obligeait d'approcher cette duchesse de sa personne, afin d'en approcher le roi." : A travers le syntagme verbal "il semblait", Mme. de la Fayette suggère que la reine Catherine de Médicis était en réalité mortellement jalouse de l'ascendant qu'exerçait Diane de Poitiers sur son époux, mais qu'elle dissimulait ses sentiments par "politique". Elle souligne également la situation humiliante dans laquelle se trouvait la reine, obligée de se rapprocher de Diane de Poitiers pour approcher le roi. La phrase insiste sur l'hypocrisie et la dissimulation qui règnent dans les plus hautes sphères de la cour de France. Elle justifie par anticipation la décision de la princesse de renoncer à la passion et de s'éloigner des intrigues de la cour à la fin du roman.

 

 

 

 

Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :