PREMIERE PARTIE
"La magnificence et la galanterie n'ont jamais paru en France avec tant d'éclat que dans les dernières années du règne de Henri second. Ce prince était galant, bien fait et amoureux ; quoique sa passion pour Diane de Poitiers, duchesse de Valentinois, eût commencé il y avait plus de vingt ans, elle n'en était pas moins violente, et il n'en donnait pas des témoignages moins éclatants.
Comme il réussissait admirablement dans tous les exercices du corps, il en faisait une de ses plus grandes occupations. C'étaient tous les jours des parties de chasse et de paume, des ballets, des courses de bagues, ou de semblables divertissements ; les couleurs et les chiffres de madame de Valentinois paraissaient partout, et elle paraissait elle-même avec tous les ajustements que pouvait avoir mademoiselle de La Marck, sa petite-fille, qui était alors à marier.
La présence de la reine autorisait la sienne. Cette princesse était belle, quoiqu'elle eût passé la première jeunesse ; elle aimait la grandeur, la magnificence et les plaisirs. Le roi l'avait épousée lorsqu'il était encore duc d'Orléans, et qu'il avait pour aîné le dauphin, qui mourut à Tournon, prince que sa naissance et ses grandes qualités destinaient à remplir dignement la place du roi François premier, son père.
L'humeur ambitieuse de la reine lui faisait trouver une grande douceur à régner ; il semblait qu'elle souffrît sans peine l'attachement du roi pour la duchesse de Valentinois, et elle n'en témoignait aucune jalousie ; mais elle avait une si profonde dissimulation, qu'il était difficile de juger de ses sentiments, et la politique l'obligeait d'approcher cette duchesse de sa personne, afin d'en approcher aussi le roi. Ce prince aimait le commerce des femmes, même de celles dont il n'était pas amoureux : il demeurait tous les jours chez la reine à l'heure du cercle, où tout ce qu'il y avait de plus beau et de mieux fait, de l'un et de l'autre sexe, ne manquait pas de se trouver."
Répondez aux questions suivantes :
1. A quelle date le roman a-t-il été écrit ? Quand l'histoire se déroule-t-elle ? Quelles remarques pouvez-vous faire sur ce décalage.
2. Faites le plan de ce texte.
3. Expliquer les mots : "magnificence", "galanterie"
4. Cherchez des renseignements sur le roi de France Henri II
5. "N'ont jamais paru en France avec tant d'éclat" : comment s'appelle cette figure de style ? Cherchez d'autres exemples.
6. "galant, bien fait et amoureux" : sont-ce là les seules qualités que l'on attend d'un roi ? Montrez que le portrait d'Henri II n'est pas si flatteur qu'il le paraît. (cherchez le sens du mot "prétérition")
7. "quoique sa passion pour Diane de Poitiers, duchesse de Valentinois, eût commencé il y avait plus de vingt ans, elle n'en était pas moins violente, et il n'en donnait pas des témoignages moins éclatants." : Comment s'appelle la proposition subordonnée qui commence par "quoique" ? Quel sens a-t-elle ?
8. Notez dès l'incipit l'apparition du thème de la passion amoureuse. En quoi ce thème annonce-t-il la suite du roman ?
9. Expliquez et commentez le mot "violente".
10. Quel âge a le roi Henri II ? Quel âge a Diane de Poitiers, duchesse de Valentinois ?
11. La persistance de l'attachement du roi envers Diane de Poitiers semble aller à l'encontre de la conviction de la princesse de Clèves au sujet du caractère éphémère de la passion amoureuse ? A quel endroit du roman exprime-t-elle cette conviction ? A qui ? Que révèle sur son caractère (et son éducation) le refus de la princesse de Clèves d'imiter Diane De Poitiers ?
12. "Comme il réussissait admirablement dans tous les exercices du corps, il en faisait une de ses plus grandes occupations". En quoi cette remarque est-elle à la fois laudative et dépréciative ?
13. "C'étai(en)t tous les jours des parties de chasse et de paume, des ballets, des courses de bagues, ou de semblables divertissements" : précisez la valeur d'aspect de l'imparfait.
14. Quel écrivain français (philosophe, physicien, mathématicien) a-t-il parlé du "divertissement" ? Dans quelle œuvre ? Qu'en dit-il ?
15. "les couleurs et les chiffres de Mme. de Valentinois paraissaient partout, et elle paraissait elle-même avec tous les ajustements que pouvait avoir Mlle. de la Marck, sa petite-fille, qui était à marier." : En quoi cette phrase peut-elle passer pour ironique ? Expliquez : "les couleurs et les chiffres", "partout". Montrez ce que l'adverbe "partout" peut avoir de désobligeant pour la reine Catherine de Médicis.
16. "Le roi l'avait épousée lorsqu'il était encore duc d'Orléans, et qu'il avait pour aîné le dauphin, qui mourut à Tournon, prince que sa naissance et ses grandes qualités destinaient à remplir dignement la place du roi François premier, son père." Cherchez des renseignements sur le frère aîné d'Henri II. En quoi cette phrase élogieuse à son égard peut-elle constituer une critique du souverain régnant ? D'après ce que nous savons du règne du roi Henri II, en quoi ce portrait peut-il paraître sévère ?
17. "L'humeur ambitieuse de la reine lui faisait trouver une grande douceur à régner ; il semblait qu'elle souffrît sans peine l'attachement du roi pour la duchesse de Valentinois, et elle n'en témoignait aucune jalousie, mais elle avait une si profonde dissimulation qu'il était difficile de juger ses sentiments, et la politique l'obligeait d'approcher cette duchesse de sa personne, afin d'en approcher aussi le roi." Montrez ce que la situation de la reine par rapport à Diane de Poitiers peut avoir d'humiliant. Commentez le syntagme verbal "il semblait". Comment l'auteure introduit-elle le thème de l'hypocrisie ?