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Le texte porte sur la séparation du politique et du religieux, sur la liberté de conscience et sur la tolérance en matière de religion, ces trois thèmes étant étroitement liés.

La thèse de John Locke est exprimée dans le troisième paragraphe du texte : "La juridiction du magistrat se termine aux biens temporels, et tout pouvoir civil est borné à l'unique soin de les maintenir et de travailler à leur augmentation, sans qu'il puisse ni ne doive en aucune manière s'étendre jusques au salut des âmes."

Les arguments de Locke sont les suivants :

a) Dieu n'a pas commis le soin des âmes au magistrat civil (à l'Etat, au gouvernement, au pouvoir politique).

b) Aucun homme ne peut en forcer un autre à adopter sa religion.

c) Le pouvoir du magistrat civil est limité à la force extérieure et non au soin des âmes.

d) La vraie religion consiste dans la persuasion intérieure de l'esprit ; on ne saurait donc porter l'entendement à croire quoi que ce soit par la contrainte.

Locke donne comme exemple de "contrainte" la confiscation des biens, les cachots, les tourments et les supplices.

Locke distingue entre "gouvernement civil" et "religion". Le gouvernement civil concerne les choses d'ici-bas : l'organisation de la Cité, les lois civiles, les droits et les devoirs des sujets dans une monarchie ou des citoyens dans une République. Le mot "religion" vient du latin "religere" qui signifie relier. La religion relie les fidèles entre eux au sein d'une communauté de croyants qui partagent la même foi. Elle relie d'autre part les croyants collectivement et individuellement à un principe transcendant appelé "Dieu".

Locke affirme qu'il est "d'une nécessité absolue de distinguer, avec toute l'exactitude possible, ce qui regarde le gouvernement civil de ce qui appartient à la religion, et de marquer les justes bornes qui séparent les droits de l'un et ceux de l'autre."

Cette affirmation doit être remise dans le contexte historique où vit l'auteur : les guerres de religion, la révocation de l'Edit de Nantes par Louis XIV, monarque absolu de droit divin et l'importance  du fait religieux au XVIIème siècle en Angleterre et en Europe.

L’édit de Nantes est un édit de tolérance promulgué en avril 1598 par le roi de France Henri IV. Cet édit accordait notamment des droits de culte, des droits civils et des droits politiques aux protestants dans certaines parties du royaume et leur concédait, dans des annexes appelées « brevets », un certain nombre de lieux de refuge (dont environ 60 places de sûretés) et une indemnité annuelle à verser par les finances royales. La promulgation de cet édit mettait fin aux guerres de Religion qui avaient ravagé le royaume de France depuis 1562. Dès le début de son règne, Louis XIV, cherchant à unifier son royaume sur les plans religieux, administratif et politique, souhaite faire disparaître le protestantisme français. S'appuyant sur une interprétation étroite de l'édit, il fait accumuler les enquêtes, les dénonciations, les interdictions, voire les destructions d'écoles et de temples et les enlèvements d'enfants. Après des années de persécutions et de conversions forcées, sur la foi des rapports des intendants qui s'attribuent le mérite d'avoir extirpé le protestantisme de leur juridiction, considérant que le protestantisme français a pratiquement disparu, le pouvoir royal décide que l'édit de Nantes est devenu caduc et peut donc être révoqué. La révocation a pour conséquence une accélération de l'exil de quelque 200 000 protestants, soit environ un pour cent de la population du royaume, appartenant à l'élite intellectuelle, dont Denis Papin, au profit des concurrents économiques de la France : l'Angleterre, les Provinces-Unies , la Suisse et la Prusse, et parfois de leurs colonies comme l'Amérique ou la Colonie du Cap . (source : wikipedia)

Les troubles liés aux guerres de religion qui mêlent inextricablement passions religieuses et motifs politiques, les violences et les exactions engendrées par l'instrumentalisation politique de la religion justifient, selon Locke, la nécessité absolue de distinguer le domaine du politique et le domaine du religieux. Cette distinction apparaît au XVIIème siècle, en Angleterre avec Locke puis au XVIIIème siècle en France avec Voltaire et les philosophes des Lumières et en Allemagne avec Kant (cf. sur ce blog le commentaire du texte de Kant "Qu'est-ce que les Lumières ?")

Locke est donc un précurseur de ce que nous appelons aujourd'hui la "laïcité".

En droit, la laïcité est le « principe de séparation dans l'État de la société civile et de la société religieuse » et « d'impartialité ou de neutralité de l'État à l'égard des confessions religieuses ». Le mot désigne par extension le caractère des « institutions, publiques ou privées, qui sont indépendantes du clergé et des Églises ». La laïcité s'oppose à la reconnaissance d'une religion d'État. Toutefois, le principe de séparation entre l'État et les religions peut trouver des applications différentes selon les pays, de la laïcité proprement dite à la simple sécularisation (sécularisme). (source : wikipedia)

Locke entend distinguer "ce qui regarde le gouvernement civil, de ce qui appartient à la religion, et marquer les justes bornes qui séparent les droits de l'un et ceux de l'autre". Il considère que le gouvernement et l'Église remplissent des fonctions différentes qui ne doivent pas être mélangées.

À l'inverse de Hobbes qui considérait qu'il était nécessaire d'avoir une religion unique (une religion d'Etat) et ne distinguait pas entre pouvoir politique et pouvoir religieux (césaro-papisme), Locke considère que la multiplicité des religions est un bon moyen de prévenir les troubles dans la société. Il considère ainsi que ces troubles naissent de la volonté de l'Etat d'empêcher la pluralité religieuse, là où il serait préférable de la tolérer.

Les droits du gouvernement civil ne sont pas les mêmes que ceux de la religion. Le gouvernement civil (le gouvernement, l'Etat) a le droit et même le devoir de faire respecter les lois et de sanctionner ceux qui les violent, mais il n'a pas celui d'obliger les sujets ou les citoyens à adopter telle ou telle religion. Le clergé a le droit de célébrer le culte, d'administrer les sacrements, de diffuser et d'interpréter les Ecritures saintes, mais il n'a pas le droit d'exercer le pouvoir politique. 

"Il est du devoir du magistrat civil d'assurer, par l'impartiale exécution de lois équitables, à tout le peuple en général, et à chacun de ses sujets en particulier, la possession légitime de toutes les choses qui regardent cette vie" : autrement dit, le magistrat civil a pour rôle de protéger la vie et les biens des sujets ou des citoyens, c'est-à-dire tout ce qui concerne leur existence ici-bas et la conservation de leur personne  et de leurs biens (la propriété privée) et la protection de leur liberté (d'expression, de conscience, religieuse, de mouvement, etc.) Le magistrat civil a donc un pouvoir (non pas illimité, mais limité par des lois justes) sur les corps, mais non sur les âmes.

Le justice publique garantit la possession légitime de toutes les choses qui regardent cette vie : a) en édictant des lois justes b) en sanctionnant par des châtiments la violation des ces lois. La seule existence d'une loi juste ne suffit pas car, comme l'a fait remarquer Pascal, la justice sans la force est impuissante.

La désignation précise et la séparation des trois pouvoirs (pouvoir législatif, pouvoir exécutif, pouvoir judiciaire) sera théorisée par Montesquieu dans L'esprit des Lois (1748), une cinquantaine d'années après la mort de Locke.

Selon Locke, la juridiction du pouvoir civil ne s'étend pas au "salut des âmes"  et ce pour trois raisons, deux raisons théologiques et une raison psychologique et morale :

a) Parce que Dieu n'a pas commis (attribué) le salut des âmes au magistrat civil (raison théologique)

b) Parce qu'il n'a jamais autorisé quiconque à  forcer les autres de recevoir sa religion (raison théologique)

c) Parce qu'aucun homme ne peut abandonner à un autre le soin de son salut en lui laissant le droit de lui prescrire la foi ou le culte qu'il doit embrasser. Locke défend donc la "liberté de conscience". (raison psychologique et morale)

Le soin des âmes ne saurait appartenir au magistrat civil, parce que son pouvoir est borné à la force extérieure, autrement dit le magistrat peut exercer le pouvoir sur les corps en cas de violation de la loi, mais non sur les esprits (les âmes).

Pour Locke, la "vraie religion" consiste dans la persuasion intérieure de l'esprit et non dans la coercition extérieure.  "Notre entendement est de telle nature qu'on ne saurait le porter à croire quoi que ce soit pas contrainte". Notre entendement est libre par nature (par essence, ontologiquement) et on ne peut le contraindre à croire.

Locke donne des exemples de persuasion extérieure : la confiscation des biens, le cachot, les tourments et les supplices qui avaient encore cours à son époque et qui sévissent toujours aujourd'hui dans certaines régions du monde soumise à la "théocratie" (c'est la religion et ses représentants qui détient et exerce le pouvoir, il n'y a pas de séparation entre le religieux et le politique).

Selon Locke, une conversion obtenue par la contrainte n'a aucune valeur, ni aux yeux de Dieu, ni aux yeux des hommes. 

La liberté de conscience (individuelle) est si importante pour Locke que même la volonté du peuple ne saurait s'y opposer : "Le consentement du peuple même ne saurait donner à un homme le pouvoir de forcer les autres de recevoir sa religion".

Le soin de faire son salut est une affaire individuelle, il regarde la conscience de chacun et personne n'a le droit, qu'il soit prince ou sujet, de prescrire à un autre la foi ou le culte qu'il doit embrasser.

L'exemple des systèmes politiques totalitaires en "isme" : le fascisme, le nazisme, le stalinisme, le maoïsme et plus récemment, l'islamisme, montre qu'il n'est malheureusement pas "impossible" comme le dit Locke qu'un homme renonce à sa liberté de conscience pour obéir aveuglément à une idéologie, à un chef et à un Parti. 

L'humanisme optimiste et le courage tranquille du précurseur des Lumières, l'un des penseurs les plus courageux et les plus bienveillants de l'histoire de la pensée politique, n'avait pas envisagé la possibilité de l'impossible : la propagande et le consentement aveugle de centaines de millions d'hommes à la servitude.

L'impératif  de tolérance rencontre cependant deux limites, la première celle des athées, sur qui les engagements qui sont la base de toute société n'auraient, selon lui, aucun effet : "ceux qui nient l'existence d'un Dieu, ne doivent pas être tolérés, parce que les promesses, les contrats, les serments et la bonne foi, qui sont les principaux liens de la société civile, ne sauraient engager un athée à tenir sa parole". Locke n'envisage pas encore de séparer la foi de la morale (on peut être athée et "vertueux") comme le feront les philosophes français du siècle des Lumières. La seconde limite est celle des catholiques anglais, qui se mettraient sous les ordres d'un autre prince en obéissant au pape.

Note : La conception lockienne de la laïcité et d'une façon plus générale la conception anglo-saxonne, sépare le politique et le religieux (pas de religion d'Etat), mais n'exclut ni l'expression de la foi, ni la référence à Dieu dans l'espace public, la religion n'étant pas conçue comme une affaire purement privée. 

La tolérance est un élément central de la philosophie politique de Locke. Par conséquent, seule une Église qui prêche la tolérance peut être autorisée dans la société qu'il préconise.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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