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Max Weber, les fondements de la légitimité du pouvoir politique

1250)L'œuvre : 

Le Savant et le Politique est la traduction en français de deux textes du sociologue allemand Max Weber, issus de conférences prononcées en 1917 et 1919 à l'université de Munich, "Wissenschaft als Beruf et Politik als Beruf".

Sa traduction et publication par Julien Freund en 1959, précédée d'une longue préface de Raymond Aron, a beaucoup fait pour la réception française de l'auteur.

L'auteur : 

Max Weber, né le 21 avril 1864 et mort le 14 juin 1920, est un économiste et sociologue allemand ayant d'abord suivi une formation de juriste. Considéré comme l'un des fondateurs de la sociologie, il porte ses interrogations sur les changements apportés dans la société par la modernité. On lui doit notamment des analyses remarquables du capitalisme industriel, de la bureaucratie et du processus de rationalisation en Occident.

Le texte : 

"Il existe en principe - nous commencerons pas là - trois raisons internes qui justifient la domination, et par conséquent il existe trois fondements de la légitimité.

Tout d'abord de l'"éternel hier", c'est à dire celle des coutumes sanctifiées par leur validité immémoriale et pas l'habitude enracinée en l'homme de les respecter.

Tel est le "pouvoir traditionnel" que le patriarche ou le seigneur terrien exerçaient autrefois.

En second lieu l'autorité fondée sur la grâce personnelle et extraordinaire d'un individu (charisme) ; elle se caractérise par le dévouement tout personnel des sujets à la cause d'un homme et par leur confiance en sa seule personne en tant qu'elle se singularise par des qualités prodigieuses, par l'héroïsme ou d'autres particularités exemplaires qui en font un chef.

C'est là le pouvoir "charismatique" que le prophète royal exerçait, ou, - dans le domaine politique - le chef de guerre élu, le souverain plébiscité, le grand démagogue ou le chef d'un Parti politique.

Il y a enfin l'autorité qui s'impose en vertu de la "légalité", en vertu de la croyance en la validité d'un statut légal et d'une compétence positive, fondée sur des règles établies rationnellement, en d'autres termes l'autorité fondée sur l'obéissance qui s'acquitte des obligations conformes au statut établi.

C'est là le pouvoir tel que l'exerce le "serviteur de l'Etat" moderne, ainsi que tous les détenteurs du pouvoir qui s'en rapprochent sous ce rapport.

Il va de soi que, dans la réalité, des motifs extrêmement puissants commandés par la peur ou par l'espoir conditionnent l'obéissance des sujets - soit la peur d'une vengeance des puissances magiques ou des détenteurs du pouvoir, soit l'espoir en une récompense ici-bas ou dans l'autre monde ; mais elle peut également être conditionnée par d'autres intérêts très variés (...).

Quoi qu'il en soit, chaque fois que l'on s'interroge sur les fondements qui "légitiment" l'obéissance, on rencontre toujours sans contredit ces trois formes "pures" que nous venons d'indiquer."

(Max Weber, Le savant et le politique, Librairie Plon, Paris, 1963, pp. 102-103)

Questions sur le texte :

1. Quelle est la thèse exposée dans ce texte ?

2. En quoi consiste, selon Max Weber, l'autorité traditionnelle ? Sur quoi est-elle fondée ?

3. A quels types humains et/ou sociologiques renvoient les termes "patriarche", "seigneur terrien" ?

5. En quoi consiste, selon Max Weber, l'autorité charismatique ? Sur quoi est-elle fondée ? 

4. Donnez des exemples de personnalités  "charismatiques" dans les domaines énoncés par Max Weber.

5. En quoi consiste le fondement de la légitimité dans l'Etat moderne ? Sur quoi est-elle fondée ?

6. Trouve-t-on toujours ces trois formes de légitimité (tradition, charisme, rationalité) à l'état pur ?

7. Quels motifs autres que l'obéissance à la légitimité de l'autorité conditionnent l'obéissance des sujets ?

Explication et commentaire du texte : 

Selon Max Weber, il existe trois fondements de l'autorité et de la légitimité politique : la coutume, le charisme et la légalité.

Max Weber précise que ces trois fondements justifient la domination, c'est-à-dire le pouvoir qu'exercent un individu ou un groupe d'individus sur les autres.

Le premier fondement de la domination fut, historiquement et demeure encore dans de nombreux pays, la coutume, la tradition que Weber appelle "l'éternel hier".

"Tradition" vient de tradere qui signifie transmettre. On peut citer comme valeurs de la tradition la solidarité, l'honneur, l'obéissance. 

Le mot "éternel" tend à montrer que les sociétés fondées sur la coutume, sur la tradition, répugnent au changement. Les sociétés fondées sur la coutume et la tradition ont tendance à ne pas changer ou à évoluer très lentement. 

La dimension à laquelle on se réfère, celle qui domine ce genre de société, est le passé. Les notions d'avenir, de "progrès" sont ignorées. 

La monarchie est un exemple de pouvoir politique fondé sur la tradition. La théocratie en est un autre.

Comme l'a montré Montesquieu, une telle société privilégie l'honneur et la fidélité parmi les membres de la classe dirigeante, l'aristocratie (étymologiquement, gouvernement des meilleurs).

Dans les monarchie absolues de droit divin, le roi détient son pouvoir de l'onction divine. Le roi peut s'entourer d'un conseil, il peut avoir des ministres ; son pouvoir n'est pas partagé, il est seulement délégué.

Le pouvoir est héréditaire. Le monarque (du grec monos, seul et archè, pouvoir)  transmet son pouvoir à son fils aîné, dans les pays comme la France où régnait la "loi salique", l'interdiction faite aux femmes de succéder au trône de France. 

La légitimité fondée sur la tradition repose sur l'habitude. L'habitude est une disposition acquise, relativement stable et permanente, qui devient une seconde nature. 

Dans les sociétés fondées sur la tradition, les "sujets" respectent les coutumes et les pouvoirs établis par habitude. Il en est ainsi parce qu'il en a toujours été ainsi, Ils obéissent pas habitude et non par raison.

Max Weber cite comme exemples de pouvoir traditionnel le patriarche ou le seigneur terrien féodal.

"Patriarche" est le nom donné aux grand ancêtres du peuple juif comme Abraham, Jacob ou Moïse.

Le mot "patriarche" vient vient du grec pater (père) et archein (commander). 

Max Weber assimile le patriarche au seigneur terrien féodal. Le système féodal est un système pyramidal.

Le roi occupe le sommet de la pyramide, puis viennent les suzerains et les vassaux qui prêtent un serment d'allégeance au suzerain qui, en échange leur octroie la propriété d'un fief (terre). Le roi, les suzerains et les vassaux ont autorité sur le peuple, notamment en matière de justice, qui lui doit obéissance.

Max Weber explique qu'il en était ainsi "autrefois", c'est-à-dire avant l'émergence de la bourgeoisie marchande, puis industrielle.

Il montre donc la dimension historique des trois formes de pouvoir qu'il distingue.

La seconde forme de pouvoir, selon Max Weber, est le pouvoir fondé sur la charisme. Le terme est d'origine grecque : charisma est une faveur gratuitement accordée. Cette notion a pour racine le mot charis, qui signifie "grâce".

L'autorité fondée sur le charisme se caractérise, selon Weber, sur la capacité à  s'attirer le dévouement personnel des sujets à sa cause et sa confiance en sa personne en tant qu'elle se singularise par des qualités hors du commun. 

Weber donne comme exemple de pouvoir charismatique celui du prophète royal dans la société juive ou du chef de guerre élu par ses pairs, le souverain dont la légitimité ne repose pas seulement sur la succession héréditaire, mais sur le plébiscite, le grand démagogue ou le chef d'un Parti politique dont la personnalité compte au moins autant que le programme et les idées.

On peut donner l'exemple de personnalités charismatiques le prophète royal David (qui signifie bien-aimé) dans l'Ancien Testament qui allie les succès militaires, l'onction divine et la beauté du corps et de l'esprit. L'empereur Frédéric II (1114-1250) de Hohenstaufen s'est inspiré du roi David.

Le pouvoir royal est vu comme spécifique en ce qu'il s'exerce sur un territoire à des fins d'utilité publique, sans considération pour les liens entre suzerains et vassaux. Il se traduit principalement par l'exercice de la justice et par sa capacité à lever des troupes sur l'ensemble du territoire sur lequel il s'exerce. 

Selon la tradition des Francs, Hugues Capet, le fondateur de la dynastie qui porte son nom - la dynastie des capétiens -, fut élu en 987. Le premier roi est élu, mais la transmission du pouvoir royal est héréditaire.

Hugues Capet est donc un chef de guerre charismatique élu par ses pairs et devenu roi et fondateur d'une dynastie héréditaire. 

Comme personnage charismatique, on peut également citer l'empereur Napoléon Ier qui était également un chef de guerre vénéré par ses soldats, auréolé de ses victoires et rehaussé par sa légende.

Mais Napoléon a également souhaité s'inscrire dans une tradition, celle de la monarchie : il s'est entouré d'une cour, il s'est fait sacrer à Notre-Dame de Paris, il a crée une nouvelle noblesse et a voulu fonder une dynastie.

Max Weber donne également l'exemple des grands démagogues et des chefs de Partis politiques qui se confondent souvent.

Un "démagogue" à Athènes est un homme politique, devenu le chef du Parti populaire par son habileté à parler au peuple et à défendre ses intérêts.

Le mot n'a pas au départ de connotations péjoratives, mais il a pris le sens d'un homme qui cherche à flatter le peuple par ses paroles et par ses actes pour s'assurer ses suffrages et le dominer.

La démagogie est l'ennemi mortel de la démocratie (gouvernement du peuple par le peuple).

L'histoire, en particulier celle du XXème siècle, est remplie d'exemples de grands démagogues, de chef de Partis politiques qui ont réussi à confisquer à leur profit la totalité des pouvoirs et d'autres qui essayent de le faire, encore de nos jours.

La troisième forme d'autorité - à laquelle Max Weber semble donner sa préférence, en tant que contributeur à la rédaction de la Constitution de Weimar pour la République du même nom en 1919 - est l'autorité fondée sur la légalité.

Cette troisième forme d'autorité est celle des fonctionnaires de l'Etat moderne, des représentants régulièrement élus et des détenteurs de l'autorité judiciaire. Elle suppose la séparation stricte des pouvoirs : pouvoir législatif, exécutif et judiciaire.

Cette autorité suscite l'obéissance des citoyens qui s'y soumettent en vertu de la croyance en la validité d'un statut légal  et d'une compétence positive. 

L'obéissance des citoyens ne repose pas sur le charisme de celui qui exerce l'autorité, mais sur un statut établi sur des règles rationnelles. Les institutions prennent le pas sur les individus dont elles légitiment l'autorité et encadrent strictement le pouvoir.

Toutefois dans les sociétés modernes, la dimension traditionnelle et charismatique du pouvoir n'a pas totalement disparu, par exemple chez les chefs de Partis politiques et les représentant des différentes religions. 

Les sujets n'obéissent pas seulement par habitude ou par admiration pour le charisme du chef ou pour des motifs purement rationnels : mais pour des motifs extrêmement puissants commandés par la peur ou par l'espoir.

Max Weber énumère ces mobiles : la peur d'une vengeance des puissances magiques (le Mana des Polynésiens) ou des détenteurs du pouvoir, l'espoir d'une récompense ici-bas ou dans l'autre monde ou d'autres intérêts très variés.

Note : Le Mana est un nom polynésien qui est utilisé dans le triangle polynésien et chez les Maohi. Mana signifie « force sacrée », c’est à dire qui vient du ciel. Le Mana était ainsi la puissance spirituelle qui donnait le pouvoir, un peu comme pour les rois de France, de "droit divin".

Max Weber résume en conclusion les fondements qui légitiment l'obéissance :

1. La tradition : on obéit sans réfléchir parce que c'est la coutume. On obéit dans l'espoir d'une récompense ici-bas ou dans l'autre monde ou par crainte d'un châtiment ;

2. Le charisme : on obéit parce que le chef jouit d'un prestige extraordinaire.

3. La légalité : on obéit non à une personne, mais à la loi parce que c'est la loi et qu'elle repose sur des fondements rationnels.

Il n'est pas certain que dans nos démocraties modernes, les mobiles irrationnels aient complètement disparu. La survivance de la démagogie et de chefs charismatiques toxiques nous rappelle que, comme le dit le peintre espagnol Goya,  "le sommeil de la raison engendre des monstres".

 

 

 

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