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Christian Bobin, Souveraineté du vide (extrait)

L'auteur : 

Christian Bobin, né le 24 avril 1951 au Creusot en Saône-et-Loire et mort le 23 novembre 2022 à Chalon-sur-Saône, est un écrivain et poète français. Il se fait connaître du grand public en 1992 avec Le Très-Bas, livre consacré à saint François d’Assise, et n’a depuis cessé de gagner en popularité. Auteur très prolifique, il a publié une soixantaine d’ouvrages durant sa carrière.

Le livre : 

"Je n'ai rien à vous dire que vous ne sachiez déjà." Christian Bobin décide "simplement" de nous parler "à partir de ce don d'inexistence également réparti entre chacun de nous (...) Cette inaliénable égalité devant le vide, l'horreur du vide, la souveraineté du vide". Dans le silence cristallin de ce vide, comprenez ces moments d'essence pure dont se brodent nos vies, Bobin cueille : des bouquets d'essentiel, d'originel ou d'élémentaire. Il s'adresse au "lisant" de ses mots "luisants", se décrit comme un contemplatif, doué peut-être de cette immémoriale vertu de "faire le tri, de tracer des marques". Il rêve, médite, compare les actes inséparables de lire et de prier, effeuille des souvenirs de lecture, Proust ou Maurice Scève, de musique, Schubert ou Mozart, dit le temps qui passe à travers ses mots-fossiles. Les ouvrages de Christian Bobin sont les cristaux d'une même méditation qui compose son œuvre et nous aident à rejoindre l'éternel qui sommeille en nous. Citons : Une petite robe de fête, Éloge du rien, Le Très-Bas, La Part manquante ou La Présence pure. (Laure Anciel)

Dieu a tous les noms...

"Dieu, c'est le nom de quelqu'un qui a des milliers de noms. Il s'appelle silence, aurore, personne, lilas, et des tas d'autres noms, mais ce n'est pas possible de les dire tous, une vie entière n'y suffirait pas et c'est pour aller plus vite qu'on a inventé un nom comme celui-là, Dieu, un nom pour dire tous les noms, un nom pour dire quelqu'un qui est partout, sauf dans les églises, les mairies, les écoles et tout ce qui ressemble, de près ou de loin, à une maison. Car Dieu est dehors, tout le temps, par n'importe quel temps, même l'hiver, et il s'endort dans la neige et la neige pour lui se fait douce, elle ne lui donne que sa blancheur avec quelques étoiles piquées dessus, elle garde pour elle la brûlure du froid. Dieu n'a pas de maison, il n'en a pas besoin et d'ailleurs lorsqu'il voit une maison, il ouvre les portes, déchire les murs, brûle les fenêtres et c'est tout qui entre avec lui, le jour, la nuit, le rouge, le noir, tout et dans n'importe quel ordre, et alors, et alors seulement, les maisons deviennent supportables, alors seulement on peut les habiter, puisqu'il y a tout dedans, le soleil, la lune, la vie très folle, la douceur très grande de la folie, les yeux pervenches de la folie. Et Dieu repart ailleurs, toujours ailleurs : à force de traîner les chemins, de s'endormir partout, dans les sources, dans les fougères, dans le nid des mésanges ou dans les yeux des tout-petits, Dieu a une drôle d'allure, vraiment. Lorsqu'il n'ouvre pas toutes grandes les portes, Dieu ne fait rien. Ce serait là son métier : ne rien faire. C'est un métier très difficile, il y a peu de gens qui sauraient bien le faire. Dieu, lui, fait cela très bien. De temps en temps, pour se reposer, il s'arrête de ne rien faire ; alors il fait des bouquets ; il cueille toutes les lumières du monde, même celle des orages et des encriers, il en fait des bouquets mais il ne sait à qui les offrir. Ou bien il met un coquillage tout contre son oreille et il écoute des musiques, toutes les musiques du monde, longtemps il écoute et c'est comme un flocon dedans son cœur, un tourment d'écume, le premier âge de la mer, l'immensité de la mer dedans son cœur et Dieu se met à rire et Dieu se met à pleurer, parce que rire ou pleurer, pour Dieu c'est pareil, parce que Dieu est un peu fou, un peu bizarre. Et si on lui demande ce qu'il a, il dit qu'il ne sait pas, qu'il ne sait rien, qu'il a tout oublié le long des chemins et qu'il a perdu la tête, perdu son ombre, qu'il ne sait plus son nom. Et puis il rit, et puis il pleure, et il s'en va, et il s'en vient, et c'est le jour, puis c'est la nuit, et puis voilà, c'est toujours comme ça, toujours, chaque jour."

(Christian Bobin, Souveraineté du vide, p.40-41)

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