Vladimir Jankélévitch : "l'amour est la seule obligation absolument suffisante"

J'évite de parler de charité, terme que j'utilisais très souvent jadis parce que, n'étant pas chrétien, je ressentais vivement, tel un novice, tout ce qui dans la charité évoque la gratuité, l'élan vers la hauteur, le souffle. L'aspiration, comme dit Bergson. Je ne réalisais pas à quel point cet élan, devenu concept et vertu théologale, était connoté par la religion. Pourtant dans  "charité" il y a "charis", qui signifie "grâce" et aussi gratuité, et, par suite, désintéressement.

Aujourd'hui, je parle tout simplement d'amour, parce que l'amour s'adresse aussi bien au bon Dieu des croyants qu'à mon prochain immédiat, à mes proches les plus proches ; il s'adresse à "toi", à toi en qui se résume et s'incarne l'ensemble de toutes les vertus ; il s'adresse aux compagnons de ma misère quotidienne et de mes joies quotidiennes, de ma misère de chaque soir et de mon espérance de chaque matin. Cet amour me dispense de tout autre devoir, de toute austérité, de toute pénitence. Il est la seule obligation absolument suffisante.

(V. Jankélévitch, "Entretien" in Le Monde, juin  1978, propos recueillis par R. Maggiori)