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Anna de Noailles, Anthologie poétique et romanesque, édition de François Raviez, Librairie générale française, 2013, Le livre de Poche, classiques, 2023
Fille d’un prince roumain, héroïne du Paris aristocratique du début du siècle, Anna de Brancovan, comtesse de Noailles, est l’auteur de neuf recueils de vers, de trois romans et de poèmes en prose dont on trouvera ici le meilleur. Sa poésie, très autobiographique, est d’une sensibilité universelle. Elle nous permet de partager son amour de la nature, mais aussi les élans et les tourments d’une femme passionnée, aux enthousiasmes communicatifs. Par la magie d’une langue musicale et racée, Anna de Noailles nous touche au cœur. Son œuvre, éblouissante, est une partie de notre mémoire, de notre vie. (source : babelio)
Spécialiste de la littérature des XVIIème et XVIIIème siècles, et en particulier des Mémoires de Saint-Simon, dont il a procuré une anthologie dans la collection "La Pochothèque", François Raviez est maître de conférence habilité à l'Université d'Artois. Il a également publié en 2012 aux "Classiques" du Livre de Poche une édition des Confessions de Jean-Jacques Rousseau.
"Anna de Noailles ou le miracle de la pensée chantante" (extrait de l'introduction de François Raviez) :
"Ne plus jamais vous voir, Ô lumière des cieux, Hélas ! Je n'étais pas faite pour être morte..."
"L'alexandrin est une passion française. Galant, tragique, lyrique, didactique, métaphysique, le vers de douze syllabes est un monument national sonore. Associé à l'octosyllabe et au décasyllabe, plus familier ou plus retors, l'alexandrin s'adapte à toute humeur, à toute situation. Faire des vers, c'est d'abord dompter l'hémistiche, faire s'embrasser ou se croiser des rimes, leur donner, si elles restent plates, du panache, faire danser et chanter la langue. Noeud de contraintes et d'interdits, l'alexandrin prétend au naturel. Celui qui en fabrique, comme celui qui en lit, change de dimension verbale. La parole, par le vers, devient territoire d'échos : le monde s'y dépouille de sa torpeur, s'y réveille et s'y révèle. Sacrée depuis l'origine, la poésie n'est pas métamorphose du prosaïque en objet prosodique, mais retour initiatique à l'émerveillement.
Lire des vers, qui fut pendant des siècles une jouissance nourricière pour les meilleurs esprits, est devenu de nos jours une activité scolaire et l'apanage de rares amateurs. Englué dans l'actualité, le lecteur d'aujourd'hui a oublié, s'il en connu le nom, Anna de Brancovan, comtesse de Noailles, née le 15 novembre 1876, morte de 30 avril 1933.
L'histoire littéraire est injuste ; elle a ses favoris, mais aussi ses humeurs. S'il n'est pas impossible d'analyser le mouvement perpétuel de la nébuleuse des goûts, l'oubli reste irrationnel. Un texte ici, un autre là : il est des oeuvres qui vivotent et, ce qui est pire que de sombrer dans le néant, se réduisent à un ou deux extraits répétés à satiété.
Il fut un temps, cependant, où les recueils de poèmes se vendaient par milliers d'exemplaires, un temps où l'on aimait à déclamer des vers, un temps où, sans même les apprendre, on les retenait par coeur, c'est-à-dire avec le coeur.
Il y a un siècle, Anna de Noailles était une vedette. Figure mondaine, elle alimenta la chronique, fut l'amie et la correspondante des plus grands, reçut la Légion d'honneur. Elle fut, en un mot, un personnage, mais ce que retient cette anthologie de son passage sur la terre, ce sont huit volumes de vers, trois romans, un recueil de nouvelles, un autre de proses poétiques - une oeuvre, enfin..."
Trains en été
Pendant ce soir inerte et tendre de l'été
Où la ville, au soir bleu mêlant sa volupté,
Laisse les toits d'argent s'effranger dans l'espace,
J'entends le cri montant et dur des trains qui passent...
- Qu'appellent-ils avec ces cris désespérés ?
Sont-ce les bois dormants, l'étang, les jeunes prés,
Les jardins où l'on voit les petites barrières
Plier au poids des lis et des roses trémières ?
Est-ce la route immense et blanche de juillet
Que le brûlant soleil frappe à coups de maillet ;
Sont-ce les vérandas dont ce dur soleil crève
Le vitrage ébloui comme un regard qui rêve ?
- Ô trains noirs qui roulez en terrassant le temps,
Quel est donc l'émouvant bonheur qui vous attend ? -
Quelle inimaginable et bienfaisante extase
Vous est promise au bout de la campagne rase ?
Que voyez-vous là-bas qui luit et fuit toujours
et dont s'irrite ainsi votre effroyable amour ?
- Ah ! de quelle brûlure en mon coeur s'accompagne
ce grand cri de désir des trains vers la campagne...
(Les Eblouissement, 1907)