Gilbert Keith Chesterton, Le club des métiers bizarres (The Club of Queer Trades), traduit de l'anglais par Kathleen Saint-Clair Gray, Editions Gallimard, Paris, 1937 et La République des Lettres, Paris, 2018
Les aventures formidables du major Brown - Le pénible effondrement d'une grande réputation - L'effroyable raison de la visite du pasteur - La curieuse affaire de l'agent de location - La singulière conduite du professeur Chadd - L'excentrique séquestration de la vieille dame - Biographie : Qui est Gilbert Keith Chesterton ?
"La nature de cette société [...] peut facilement se résumer en quelques mots : c'est un club excentrique et bohème ; la seule condition exigée pour en faire partie consiste en ceci, que le candidat doit avoir inventé la profession qui le fait vivre, et que cette profession doit être entièrement nouvelle. La définition exacte de cette exigence tient en deux règles principales :
1° Il ne faut pas que ce soit une simple application ou variante d'un métier déjà existant. Ainsi, par exemple, le club n'accepterait pas comme membre un agent d'assurances simplement parce que, au lieu d'assurer le mobilier des gens contre l'incendie, il assurerait, mettons, leur culotte contre les morsures d'un chien enragé. [...]
2° Cette profession doit être une véritable source de revenus commerciaux, le gagne-pain de son inventeur. Ainsi, le club n'admettrait pas comme membre un individu simplement parce qu'il lui plairait de passer ses journées à ramasser des boîtes à sardines vides, à moins qu'il ne réussisse par ce moyen à gagner un argent fou."
Qui est Gilbert Keith Chesterton ?
Journaliste et écrivain, Gilbert Keith Chesterton est né à Kensington (Londres, Royaume-Uni) le 29 mai 1874. Fils d'un gérant d'immeubles, héritier, par sa mère, d'un sang à la fois écossais et français, dès l'époque de ses études au collège Saint-Paul, de 1887 à 1892, il affirme sa nature fougueuse et entêtée, son besoin d'indépendance - qui se manifeste alors par son enthousiasme pour les idées démocratiques - et son instinct du journalisme : dans The Debater, l'organe du club de discussions intellectuelles qu'il fonde dans son collège, on trouve des articles d'une vigueur de plume étonnante chez un jeune homme de seize ans.
C'est néanmoins dans la peinture et le dessin qu'il excelle alors, et son père, qui a d'abord souhaité l'envoyer à Oxford, l'autorise à suivre les cours de la Slade School of Art, tout en exigeant qu'il poursuive ses études de Lettres à l'université de Londres.
Ses véritables début dans le journalisme ont lieu en 1899, par la publication de critiques littéraires au Bookman et d'articles de polémique au Speaker, organe des jeunes libéraux que Chesterton suit lorsqu'ils prennent possession du Daily News : c'est là qu'il rencontre Herbert Henry Asquith, John Morley et Winston Churchill. De cette époque également date son amitié avec Henry James et Hilaire Belloc.
Marié en 1901 à Frances Blogg, la fille d'un diamantaire londonien, Chesterton a déjà publié l'année précédente ses deux premiers livres, des recueils poétiques : L'impétueux chevalier et Les vieillards s'amusent.
Son libéralisme et ses dons de polémiste trouvent une excellente occasion de se manifester pendant la guerre d'Afrique du Sud, au cours de laquelle il prend position pour les Boers et attaque violemment l'impérialisme victorien de Rudyard Kipling. Les années 1900-1910 sont occupées par ses retentissantes controverses religieuses avec Robert Blatchford et Joseph Mac Cabe, sociales avec Herbert George Wells, philosophiques avec George Bernard Shaw. Elles sont recueillies dans Hérétiques (1905)
Parallèlement, Chersterton poursuit ses études de critique littéraire avec des Essais sur La Vie de Robert Browning (1903), sur Charles Dickens (1906) et sur l'Epoque victorienne en littérature (1913).
Il inaugure enfin sa carrière romanesque avec une oeuvre d'inspiration fantastique, Le Napoléon de Notting Hill (1904), Le Nommé Jeudi (1908), livre apologétique sous forme d'autobiographie spirituelle, laissent voir les premiers progrès de Chesterton vers la foi, mais l'auteur mettra tout de même quatorze ans encore avant d'entrer dans l'Eglise catholique.
C'est à cette époque qu'il emménage dans une petite villa de Beaconsfield, localité où il rencontre peu après le Père O'Connor, qui deviendra son modèle pour ses fameuses Histoires du Père Brown (1911-1927) : L'innocence du Père Brown (1911), La Sagesse du Père Brown (1914), L'Incrédulité du Père Brown (1926) et Le secret du Père Brown (1927).
Les nouvelles tendances chrétiennes, qui s'affirment encore dans La Sphère et la Croix (1909), entraînent sa rupture avec l'esprit libéral, du moins avec ses anciens amis libéraux, auxquels s'adresse Ce qui cloche dans le monde (1910) : Chesterton soutient en particulier, dans ce livre, le respect de la famille, en tant que cellule mère de tout l'organisme social, et de la propriété privée, menacée à la fois par le socialisme et par le capitalisme, mais seule capable d'assurer la liberté des familles.
A la déclaration de guerre de 1914, l'écrivain, qui vient de publier Supervivant (1912) et L'Auberge volante (1914), se trouve naturellement entraîné par son néocatholicisme à prendre une position violente contre l'Allemagne luthérienne : il dénonce dans Les Crimes de l'Angleterre (1915), tout ce qui, depuis la Réforme, a rapproché son pays du monde germanique protestant.
Peu après il scandalise les historiens par la spirituelle originalité de sa Petite Histoire d'Angleterre (1917). En 1918, à la mort de son frère Cecil, tombé au front, il prend sa suite à la rédaction en chef de la revue The New Witness, qui deviendra en 1925 Le G.K's Weekly et paraît jusqu'en 1938.
Un voyage à Jérusalem achève de rapprocher G.K. Chesterton de l'Eglise et, en juillet 1922, le Père O'Connor reçoit sa conversion définitive au catholicisme. Peu après paraissaient les célèbres essais : Saint François d'Assise (1923), L'homme éternel (1925), L'homme qu'on appelle le Christ (1927), Saint Thomas d'Aquin (1933), une pièce de théâtre : Le jugement du Dr. Johnson (1927), et des critiques littéraires comme R.L. Stevenson (1927).
"Païen à douze ans, agnostique à seize", Chesterton ne se convertit pas au catholicisme pour des motifs philosophiques : ce qui lui plaît, au contraire, dans le message de l'Eglise, c'est son caractère scandaleux pour la sagesse humaine. Il s'enfièvre de voir la Révélation humilier la science et défier la logique. Ce qui n'empêche pas cet Anglais jovial, rubicond, gros mangeur et solide buveur, taillé en géant, d'être lui-même un dialecticien redoutable : il s'ingénie seulement à donner du christianisme des preuves inattendues, d'allure souvent baroque, mais dont il sait bien, avec son génie qui est celui d'un journaliste bien plus que d'un écrivain, qu'elles peuvent frapper l'imagination de l'homme de la rue.
Vers la fin de sa vie, ses causeries à la B.B.C. font de Chesterton un des hommes les plus populaires d'Angleterrre, tandis que les universités américaines lui demandent des séries de cours et qu'il donne des conférences à travers l'Europe et le Canada.
Enfin, l'année de sa mort, paraît son autobiographie : L'homme à la clé d'or (1936).
Hanté, comme la plupart des catholiques européens de l'après-guerre, par le mythe du Moyen-Âge à reconstruire, Chesterton a incontestablement quelque chose de la race des chevaliers croisés, peut-être aussi des inquisiteurs. Il a souvent reconnu ce qu'il appelle son "romantisme", son penchant naturel pour l'exaltation et les extrêmes. Il s'est dépeint comme "une sorte de Torquemada réactionnaire dont la joie ténébreuse est la seule défense de l'orthodoxie et la poursuite des hérétiques". Ni philosophe, ni théologien, ni mystique, trop prolixe sans doute (il a écrit plus de cent ouvrages !), il reste le plus puissant tempérament littéraire de l'Angleterre du XXème siècle.
Gilbert Keith Chesterton est mort à Beaconsfield le 14 juin 1936, à l'âge de 62 ans.
(Louis Gaudran, La République des Lettres, numéro 67, Paris, janvier 2000)