Comment devient-on George Sand ? Quels obstacles faut-il surmonter ? A quelles douleurs faut-il survivre ? Quelles armes faut-il se forger pour sortir à peu près
entière d'une enfance aussi malmenée pour devenir cette femme assoiffée de liberté et de justice sociale, cette écrivain engagée bravant les préjugés
tenaces de son époque, refusant de se laisser enfermer dans le rôle de servante soumise auquel la société de l'époque réduisait les femmes, cette amoureuse passionnée éprise d'un idéal
inaccessible de communion et de beauté ?
C'est à ces questions et à quelques autres qu'a tenté de répondre Diane de Margerie dans un livre poétique et bouleversant Aurore et George.
Aurore, c'est la future George Sand, témoin, dès sa plus tendre enfance de scènes familiales violentes, marquée par les images hallucinantes de l'occupation
napoléonienne en Espagne, traumatisée par le mort brutale de son père, séparée de Sophie, la "femme du peuple", sa mère bien-aimée, élevée dans un monde féminin et clos, que ce soit à Nohant
avec sa grand-mère, l'orgueilleuse et paradoxale Marie-Aurore Dupin de Francueil ou au couvent des dames augustines anglaises à Paris, sans cesse tiraillée entre les pauvres et les riches, les
aristocrates et les gens du peuple, les déclassés et les bien-pensants.
Aurore a connu "l'intensité du manque", l'amour frustré pour sa mère explique bien des choses : l'attitude "maternelle" qu'elle aura plus tard envers les hommes,
le rejet de sa fille Solange, son amour dévorateur pour son fils Maurice et aussi sa passion pour le peuple, les déclassés, les marginaux, tous ceux qu'elle nomme les "bohémiens". Précocement
blessée par les limites de l'amour, elle ignorera trop souvent que l'amour a besoin de limites.
Aurore, devenue George, passera son existence à "recoudre les morceaux", à chercher son salut dans l'écriture et dans la politique, rêvant d'amour fraternel et de
République universelle puis, déçue par la politique, dans l'écriture seule "qui fait rentrer le réel dans sa tombe". "Ecrire, écrire, tisser sa toile, ourdir sa trame, ne jamais s'arrêter,
malgré les voyages, les amants, les enfants, les éditeurs et leurs contrats, la politique, Nohant - écrire pour ne jamais dépendre d'un homme, ne jamais connaître la violence et le "devoir"
conjugal, pour ne pas avoir à prendre l'argent des hommes comme sa mère et ses aïeules y furent contraintes.
Retrouver Aurore, "l'enfant qui se lève"
La petite Aurore conjurait déjà une réalité trop cruelle en se réfugiant dans un monde imaginaire, inventant des histoires de souterrains et de revenants,
s'attachant à des objets fétiches : une poupée, un billet, un morceau de cristal (elle gardera toute sa vie la passion des pierres), vouant un culte à une divinité païenne, champêtre et
androgyne, qu'elle nomme "Corambé", symbole du père mort et de la mère absente, qui satisfait son besoin d'amour et de sécurité.
Ce que voulait George, explique Diane de Margerie, c'était retrouver "l'enfant qui se lève" : Aurore, avec ses jeux, ses douleurs, son parler berrichon, ses
premières sensations, sa religion sans dogmes, ses légendes, sa vie sauvage tissée d'odeurs et de sons... "La mémoire de George, penchée sur l'enfance d'Aurore, obéit à une "organisation"...
Cette organisation avait ceci de remarquable qu'elle lui permettait de tirer un magnifique parti du malheur."
"Etre unique et multiple, vivre la nuit comme le jour, saisir le paysage d'en haut en galopant à dos de cheval, ou d'en bas, couchée dans le champs, allier ses
origines plébéennes, sensuelles, réalistes, aux raffinements de la culture et de la réflexion... écrit Diane de Margerie, à propos du "programme" que s'est fixé cette jeune femme qui refuse,
comme les héroïnes de ses premiers romans, Indiana et Lella, de choisir comme de renoncer.
Une enfance et une adolescence qui auraient pu briser cette enfant sensible, imaginative et passionnée, traversée par la tentation du suicide, marquée par les
séparations, les déchirures et les deuils, les séparations surtout, qu'elle reproduira dans sa vie sentimentale.
"On dit que les larmes de l'enfance ne sont rien, on se trompe, écrivit un jour George Sand... Elles sont aussi amères que celles qui coulent plus tard."
Aurore et George, par Diane de Margerie est paru chez Albin Michel.