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J'ai retrouvé les photos d'un voyage en Pologne, avec des élèves, en 1988... Les bagages sur le quai de gare, une enfilade de rues à Varsovie, un joueur d'orgue de Barbarie sur la vieille place... L'urne où repose le coeur de Chopin... Des parcs, des châteaux, des groupes folkloriques...

Et puis, au milieu de l'album, la tombe du Père Popieluszko... des fleurs partout, des gens en prière, des banderoles de Solidarnosc attachées à la grille.

Un ami polonais m'avait expliqué les combats pendant la seconde Guerre mondiale, comment les Russes étaient volontairement restés sans réagir, sur l'ordre de Staline, de l'autre côté de la Vistule, tandis que les Allemands saccageaient la ville.

Il y a aussi des photos du sanctuaire de Yasna Gora, le coeur intime de la nation, dont la protectrice au visage balafré contemple la Passion à travers ses yeux noyés de larmes, et Cracovie, la capitale médiévale.

Je me souviens d'un moment particulièrement intense, au camp d'Auschwitz Birkenau, un élève de seconde s'était mis à l'écart, la tête entre les mains : "Moi aussi, j'ai persécuté un de mes camarades à l'internat..."

Je connaissais l'histoire ; nous avions eu la chance de pouvoir intervenir à temps et la victime était hors de danger. C'est en lisant, des années auparavant Les désarrois de l'élève Törless de Robert Musil que j'avais commencé à prendre conscience, en dehors de la crise économique de 1929, de l'inflation et du Traité de Versailles, des racines psychologiques du nazisme ; Musil soulignait la complicité passive des adultes qui finissaient par punir la victime. Et voilà que la situation du roman s'était reproduite dans la réalité et avait trouvé son dénouement dans ce camp que Musil entrevoyait à l'horizon des cruautés dont son adolescence avait été le témoin.

" - J'ai pris plaisir à lui faire du mal. Dieu ne me le pardonnera jamais !

  - Il t'a pardonné... à cause de tes larmes... C'est même Lui qui t'en a fait don."

(Je n'avais peut-être pas assez de foi pour aller aussi loin, mais je ne trouvai que ces mots-là)

La racine du mal est en chacun d'entre nous. "Les racines du mal" : l'expression est à prendre au pied de la lettre, comme le fait Saint-Exupéry dans le fameux chapitre du Petit Prince sur les baobabs : "Or, il y avait des graines terribles sur la planète du petit prince... C'étaient des graines de baobabs. Le sol de la planète en était infesté. Or un baobab, si l'on s'y prend trop tard, on ne peut jamais s'en débarrasser. Il encombre toute la planète. Il la perfore de ses racines. Et si la planète est trop petite, et si les baobabs sont trop nombreux, ils la font éclater."... "Enfants ! Faites attention aux baobabs !"

"Respect de l'homme ! Respect de l'homme ! ... Là est la pierre de touche ! Quand le nazisme respecte exclusivement qui lui ressemble, il ne respecte rien que soi-même. Il refuse les contradictions créatrices, ruine tout espoir d'ascension et fonde pour mille ans, en place de l'homme, le robot d'une termitière. L'ordre pour l'ordre châtre l'homme de son pouvoir essentiel, qui est de transformer et le monde et soi-même. La vie crée l'ordre, mais l'ordre ne crée pas la vie." (Antoine de Saint-Exupéry, Lettre à un otage)

D'Auschwitz Birkenau, je n'ai pas de photos. Ici, on se tait, on se recueille et on pleure... Et l'on pense à ceux qui combattaient les forces de la nuit...

Alberto, l'ami de Primo Levi, "l'homme fort et doux, contre qui venaient s'émousser les armes de la nuit."... Primo Levi, le dernier homme, Geneviève Anthonioz de Gaulle, qui grignotait à Ravensbrück le pain des anciens poèmes, Janusz Korczak, le racommodeur d'enfants, qui partit pour Treblinka, avec les orphelins du ghetto de Varsovie...

J'ai un autre souvenir de Pologne, un autre souvenir de larmes joyeuses. C'était à Stettin, en 1989, aux alentours de Noël, peu de temps avant la démission du général Jaruzelski. Ils passaient pour la première fois Le docteur Jivago à la télévision. La dame qui nous hébergeait m'a dit : "And now, we are free !" et elle s'est mise à pleurer.


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