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Victor Hugo, Ruy Blas", sur l'ensemble de l'acte V :

Les personnages en présence : la reine, Ruy Blas, Don Salluste. Qui sont-ils, que font-ils là ? Montrer comment ils se distribuent sur le schéma actanciel (Greimas), selon les différentes modalités fondamentales de l'existence humaine (le savoir, le vouloir et le pouvoir).

Montrer que Don Salluste maîtrise les trois axes :

a) l'axe du savoir : en tant que destinateur, il en sait plus que le destinataire Ruy Blas, qui en sait plus que la reine.

b) l'axe du pouvoir : Don Salluste, par rapport à Ruy Blas, est un adjuvant en apparence, mais un opposant en réalité. Il l'aide à approcher la reine mais pour perdre cette dernière. Ruy Blas n'est pour lui qu'un instrument. Ruy Blas ne peut se faire aimer de la reine qu'au prix d'un mensonge, d'une imposture, en revêtant l'identité d'un autre. Ce pouvoir lui est donné par Don Salluste  comme un "cadeau empoisonné".

c) l'axe de la volonté (ou du désir) : Don Salluste veut assouvir sa vengeance en compromettant la reine, Ruy Blas veut en être aimé et y parvient, mais il réalise ainsi la volonté de Don Salluste. La reine n'aime pas Ruy Blas (le laquais de Don Salluste), mais son double aristocratique, le Grand d'Espagne Don César de Bazan.

Monter qu'il s'agir d'un piège machiavélique (tout a été prévu, la reine ne peut pas "s'en sortir")

Montrer que ce piège a été monté de longue date (acte I, scène 4) à partir de la lettre dictée à Ruy Blas par Don Salluste : "Un danger terrible est sur ma tête..." (vers 481)

Montrer, dans le cadre de la double énonciation théâtrale (la parole, au théâtre s'adresse à la fois à un autre personnage et au spectateur) que le spectateur en sait plus que chacun des protagonistes (y compris Don Salluste) et qu'il a des attentes précises au début de l'acte V.

1) Le savoir du spectateur au début de l'acte V :

a) par rapport à Don Salluste : le spectateur sait que Ruy Blas a décidé de se donner la mort, Don Salluste l'ignore. Le spectateur connaît mieux Ruy Blas que Don Salluste ne le connaît. Don Salluste est aveuglé par son orgueil et ses préjugés de caste. Il pense que Ruy Blas est une marionnette, qu'il ignore la notion d'honneur.

b) par rapport à Ruy Blas : contrairement à Ruy Blas, le spectateur sait que sa tentative pour avertir la reine a échoué (acte IV)

c) par rapport à la reine : le spectateur en sait plus que la reine, qui en sait moins que Ruy Blas, qui en sait moins que Don Salluste. La reine apparaît en position de victime car c'est elle qui en sait le moins. C'est le "savoir supérieur" du spectateur qui lui fait comprendre le "quiproquo" entre la reine et Ruy Blas à la scène II de l'acte V (le spectateur en sait plus que la reine), puis le coup de théâtre à la fin de la scène avec l'apparition de Don Salluste (le spectateur en sait plus que Ruy Blas).

C'est le surplus de connaissance du spectateur lié à la double énonciation qui confère à la situation et aux dialogues leur caractère dramatique. Le spectateur connait, mieux que les personnages, les problèmes et les enjeux. Il peut donc donner libre cours à ses "passions" : crainte, colère, pitié...

2) Les attentes du spectateur :

a) par rapport à Don Salluste : il veut le châtiment du traître et l'échec du complot.

b) par rapport à la reine : il souhaite la voir échapper au piège.

c) par rapport à Ruy Blas : il souhaite qu'il prenne l'initiative.

Le spectateur connaît les limites de ce qui est possible (les statuts sociaux respectifs de la reine et de Ruy Blas sont des obtacles insurmontables).

Comment le dramaturge résoud-il le problème et répond-il aux attentes des spectateurs : la transformation du triomphe de Don Salluste en catastrophe.

Se poser les questions suivantes :

- En quoi consiste le chantage de Don Salluste ? (vers 2134-2135)

- Pourquoi Ruy Blas refuse-t-il le bonheur et l'argent ?

- En quoi consiste l'imprudence de Don Salluste ? (Vers 2168)

La tension dramatique à son apogée exige une résolution rapide, violente (cf. la notion aristotélicienne de "catharsis") ; le changement de situation (le tournant) intervient au vers 2200. Cette résolution se fait aux dépens de Don Salluste, selon des modalités qui préservent les attentes du spectateur : Don Salluste ne doit pas apparaître comme une victime. La pitié du spectateur doit aller à Ruy Blas et la reine doit être préservée : Don Salluste est tué "en coulisses" et ni le spectateur, ni la reine, qui a demandé sa grâce, n'assistent à l'exécution (expliquer pourquoi il n'y a pas de duel).

La position victimaire passe de la reine à Don Salluste ; l'exigence de punition et de justice est satisfaite par la mort de Don Salluste, mais le dramaturge ne peut en rester là car la mort de Don Salluste ne résoud pas la situation tragique fondamentale : l'amour impossible de Ruy Blas pour la reine.

A la satisfaction de voir le traître puni (1ère catharsis), va succéder une 2ème catharsis : la compassion envers le héros tragique.

- Bien montrer que la mort de Don Salluste, puis celle de Ruy Blas, correspondent à une nécessité dramatique.

- Expliquer que le geste de Ruy Blas (l'absorption de poison) est prémédité depuis la scène 2 de  l'acte V et n'est pas lié au refus de la reine de lui pardonner.

- Montrer comment le dramaturge crée un "pathétique violent" : didascalies concernant les gestes des personnages.

- L'humilité et la faiblesse de Ruy Blas subsistent après le châtiment du traître ; il reste "le ver de terre amoureux d'une étoile".

- Ruy Blas s'identifie au Christ (vers 2230 et 2247)

- La reine comprend (vers 2237-2247) la sincérité de Ruy Blas et lui pardonne.

- Expliquer pourquoi la reine accepte de pardonner à Ruy Blas.

- Expliquer le jeu des nominations : "Don César" (vers 2235), "Ruy Blas" (vers 2255)... "Merci !"

- Axer l'explication autour des notions de "pathétique" et de "sublime".

- Montrer la succession des passions et des états d'âme.

- Montrer que le dénouement est dans la logique des caractères et de la situation et correspond à une nécessité dramatique (il n'y en a pas d'autre possible)

- L'amour de Ruy Blas : passage à la limite. Ruy Blas se tue par amour. Notion de "sublime".

La fin de la pièce voit la résolution de l'antinomie du sujet et de l'objet  sur l'axe du désir, lorsque la reine dit à Ruy Blas qu'elle l'aime en tant que Ruy Blas (son être véritable) et non en tant que Don César (son apparence).

Mais cette résolution est symbolique et non réelle. Elle ne peut s'accomplir que dans la mort et dans une dimension d'éternité, d'où la référence à Dieu qui se substitue au mauvais adjuvant qu'était Don Salluste. Le royaume de Ruy Blas n'est pas de ce monde, mais pour des raisons sociales, politiques et non spirituelles.

Ruy Blas, le laquais de Don Salluste, récupère la maîtrise (le savoir, le pouvoir et la volonté) et l'autonomie mais il ne peut lever l'obstacle fondamental (il n'est pas le roi).

Note concernant le drame romantique : l'essence du drame romantique réside dans le conflit entre les sentiments supposés spontanés des individus et l'ordre social. ce conflit est lié à l'idéal démocratique et aux retombées idéologiques de la Révolution française. Le drame classique (Racine, Corneille) se noue toujours entre égaux.

Proposition de correction :

Parfois critiquée en raison de son caractère mélodramatique, la scène 4 du dernier acte de Ruy Blas se caractérise par un pathétique spectaculaire et violent et une esthétique du sublime à connotation religieuse. Le dramaturge y emploie des moyens risqués, au risque de la parodie, parfois proches de l'art lyrique, de l'Opéra et du "Bel canto", pour susciter l'émotion. Nous verrons que ce dénouement est conforme à la logique des caractères et aux nécessités du drame romantique.

La scène " de l'acte IV a vu la transformation du triomphe de don Salluste en catastrophe. Don Salluste a été tué en coulisses par Ruy Blas. L'exigence de punition et de justice du spectateur est satisfaite, mais cette mort ne résoud pas le situation tragique fondamentale : l'amour impossible de Ruy Blas pour la reine. A la satisfaction de voir le traître puni, première "catharsis", va succéder une deuxième catharsis, fait de compassion envers le héros tragique. Cette compassion va s'élever peu à peu jusqu'au sentiment du sublime.

Ruy Blas , qui vient de tuer Don Salluste, prend la parole. Les didascalies initiales qui portent sur l'intonation ("d'une voix grave et basse") et l'attitude des deux personnages, soulignent, à la surprise du spectateur, non l'assurance et l'orgueil du vainqueur, la fierté d'avoir châtié le traître, mais l'humilité et la faiblesse de Ruy Blas : "en chancelant", "il tombe à deux genoux", "l'oeil fixé à terre", "comme s'il n'osait lever les yeux jusqu'à elle". Le discours de Ruy Blas est dominé par le champ lexical de la dépréciation: "coupable", "trahison", "horrible", "vile", "perdu", "faute". Ruy Blas hésite, s'arrête, ne termine pas ses phrases ; il se répète : "Je n'ai pas l'âme vile... Pourtant, je n'ai pas l'âme vile." Il sait que, dans l'univers factice de la cour, seules les apparences comptent et que les apparences sont contre lui. Aux yeux de la reine, il n'est qu'un imposteur, le complice de son pire ennemi, Don Sallluste. Sa parole semble frappée d'inanité, d'inconsistance ontologique : face à la reine, Don César redevient le laquais de Ruy Blas. La didascalie concernant le reine "immobile et glacée" souligne l'incompréhension et la distance psychologique qui séparent les deux personnages. La reine se tient immobile comme la vivante statue de la dignité outragée. C'est dans ce climat glacial de réprobation horrifiée que se déroule la "confession" de Ruy Blas. La rhétorique de l'aveu est à la fois laborieuse et inachevée. Ruy Blas est tellement persuadé de sa culpabilité aux yeux de la reine qu'il ne fournit aucune justification à sa conduite.

Le pathétique provient de la mise en place d'une situation marquée par le malentendu et l'incompréhension. La double énonciation théâtrale a fourni au spectateur des informations que la reine de possède pas. Ce surcroît de savoir du spectateur qui en sait plus que la reine et autant que Ruy Blas suscite un sentiment de compassion douloureuse envers le héros méconnu, incompris. Les vers 2213 à 2222 correspondent à une rhétorique de l'intention déviée, de la sincérité malhabile, victime des apparences. Se mettant à la place de la reine et se jugeant lui-même à travers le savoir de cette dernière, Ruy Blas formule les griefs qu'elle serait en droit de lui adresser "Je n'approcherai pas" (vers 2214), "Nayez pas peur, je n'approcherai point (vers 2223) correspondent à un mouvement de retrait répulsif qui souligne et accompagne la distance psychologique qui sépare (à ce moment de la scène) Ruy Blas de la reine.

Dans un deuxième mouvement (vers 2223 et suivants), le spectateur voit se superposer à la personne de Ruy Blas celle du Christ pendant la montée au calvaire. Le pathétique du héros incompris se réfère à l'ensemble de la pièce jusqu'à cet instant, celui du martyre s'applique aux événements récents ("Aujourd'hui, tout le jour, j'ai couru par la ville", vers 2226). La passion amoureuse de Ruy Blas s'est muée en Passion christique, en martyr. Mais Ruy Blas est victime de son amour pour une femme et non de la haine des hommes. C'est une femme du peuple (vers 2330) qui a consolé Ruy Blas comme sainte Véronique a consolé le Christ en essuyant la sueur de son front. L'évocation est un tableau vivant, une station de chemin de croix, une "hypotypose". L'hypotypose, variété de description, a ici la fonction d'une argumentation implicite, d'un syllogisme à valeur argumentative et pragmatique que l'on pourrait développer ainsi : "Le peuple est bon et ne s'attache pas aux apparences comme les gens de la cour ; or cette femme m'a consolé ; c'est donc que je suis innocent."... Et un reproche implicite corrélatif : " Mais vous, vous me jugez coupable, vous me condamnez, vous ne me consolez pas... vous ne comprenez pas, vous avez le coeur dur et vous regardez aux apparences comme vos semblables." L'hypotypose joue le rôle des vitraux qui étaient censés instruire le peuple, en majorité illettré, des vérités de la foi, mais par un renversement et un paradoxe typiquement hugolien, ce sont les puissants et les "intelligents" qui ont besoin d'être instruits car l'intelligence, conformément au précepte évangélique, a été donnée aux humbles et aux petits.

Cette identification de la passion de Ruy Blas à la Passion du Christ se double, tout au long de la scène, d'une parodie discrètement blasphématoire de la liturgie catholique par l'inversion des étapes sacramentelles : acte de contrition, communion (Ruy Blas boit le poison), absolution. C'est au prix d'une certaine spéciosité, du reste, que le suicide de Ruy Blas est incorporé au pathétique religieux  car la religion chrétienne condamne le suicide, "péché contre l'Espérance". Par ailleurs, Ruy Blas ne donne pas sa vie pour sauver celle qu'il aime, mais parce qu'il ne peut plus vivre dans l'imposture ("Je ne pouvais plus vivre.") Plus proche des préceptes évangéliques est la bénédiction accordée à la reine : "Vous me maudissez et moi je vous bénis." Cependant, Ruy Blas n'est pas Polieucte. La thématique chrétienne et sa valeur édifiante sont mises aux service de la dramaturgie et non l'inverse. L'Eglise, au Moyen-Âge, théâtralisait la Passion à des fins édifiantes, Hugo utilise à des fins esthétiques la force dramatique de la Passion.

Le pardon refusé achève la gradation ascendante du pathétique (vers 2223-2234). La scène parvient à une violente exacerbation du sentiment tragique (un "climax", une "acmée"), qui requiert une résolution violente, une "catharsis" pour reprendre un terme de La Poétique d'Aristote : le suicide de Ruy Blas. Ruy Blas s'empoisonne ; le mot "poison" en grec se dit "pharmacos" et signifie à la fois "substance toxique" et "remède", "médicament" ; une troisième signification, en rapport avec les origines religieuses sacrificielles du théâtre est "bouc émissaire", "victime sacrificielle". Pour Ruy Blas, la mort est une délivrance, un remède. Il est à la fois le prêtre sacrificateur et la victime propitiatoire dans cette étrange cérémonie sacrificielle fictive qu'est le théâtre tragique.

Le spectateur sait, contrairement à la reine, que Ruy Blas avait l'intention de se donner la mort. La reine peut croire que c'est à cause de son refus de lui pardonner. Ce qui cause en réalité la mort de Ruy Blas, c'est l'amour impossible lié à la disparité des conditions. La mort de Ruy Blas est volontaire, ce n'est pas une sentence du destin ; elle est dans la logique de son caractère, plutôt que dans celle des événements.

A partir du vers 2234 ("Triste flamme, éteins-toi !"), le pathétique fait place au sublime. Ruy Blas a franchi les portes de la mort ("sublime" vient du latin "élevé dans les airs" et on y retrouve le mot "limen" qui veut dire le "seuil", la frontière) ; il a franchi, moralement et physiquement, un seuil qui le place désormais au-delà des passions humaines qu'il "surplombe". Ruy Blas parle à la lumière d'un amour purifié, "sub specie aeternitatis".

L'épiphanie du sublime se déploie en trois temps : le pardon accepté (vers 2242), la prière à Dieu (vers 2245-2248) et enfin l'aveu de la reine (vers 2240 et surtout 2249). Après le paroxisme du suicide, la scène amorce un mouvement descendant qui aboutit à la sérénité et au silence.

Si le suicide de Ruy Blas n'est pas la conséquence du refus de la reine de lui pardonner, il est le principal argument en faveur de son pardon. Cet argument-là va "réussir" là où les mots ont échoué. La reine comprend alors enfin, en son for intérieur, que les intentions de Ruy Blas étaient pures et son amour sincère. Elle en sait alors presque autant que Ruy Blas et que le spectateur, répondant ainsi aux attentes de ce dernier. Le pathétique de la méconnaissance est levé et Ruy Blas peut remercier  la Providence finalement bienveillante, au-delà des désordres et des injustices de ce monde. La mort, obstacle définitif, est appelée à lever tous les obstacles, à supprimer toutes les différences, à égaliser toutes les conditions, jouant ainsi, par défaut, le rôle dévolu par Hugo à la Révolution démocratique.

L'énoncé de la prière se fait à la 3ème personne : "Ce pauvre laquais, cette reine" : condensation, mise en abyme de l'intrigue tout entière, elle semble émaner d'une autre instance énonciative, comme si Ruy Blas n'était plus l'acteur mais était devenu le spectateur détaché de sa propre vie, de son propre destin ("La mort transforme la vie en destin"). Au vers 2247, reparaît le thème de la Passion : "mon coeur crucifié", Passion désormais accomplie.

Le quasi monologue de Ruy Blas, des vers 2213 à 2235, tandis que la reine ne prononce que quelques mots, symbolisait "l'éloignement glacé" de la reine et la distance entre les deux personnages. Mais à partir du vers 2235 : "Triste flamme, éteins-toi", le mot "flamme" désignant à la fois, par syllepse de sens, la vie et la passion amoureuse, un véritable dialogue s'instaure (ou se réinstaure) entre les deux personnages, les répliques de la reine étant marquées par des tournures exclamatives et interrogatives qui trahissent la sollicitude et l'angoisse : "Quel est ce philtre étrange ? Qu'avez-vous fait ?" A l'éloignement tragique succède le rapprochement des coeurs et des corps : "l'entourant de ses bras", "tenant la reine embrassée", "se jettant sur son corps", rapprochement marqué par ailleurs par le passage de la reine du voussoiement au tutoiement : "Mais qu'avez-vous fait là  ? Parle, je te l'ordonne !" On pense à un duo d'opéra, à une "piéta baroque". Le drame romantique rejoint le pathétique "spectaculaire" de l'art lyrique, de même que la statuaire baroque, comme le drame romantique, est la figuration spectaculaire d'une subjectivité passionnée (extatique ou affligée), une esthétique de l'effet.

Le point culminant de ce retournement de situation étant l'aveu attendu de la reine au vers 2249 : "Je t'aime", qu'il faut rapprocher du vers 2242 : "Ruy Blas, je vous pardonne !" Le cri d'amour de la reine marque l'effacement de l'obstacle tragique fondamental et la véritable victoire de Ruy Blas sur le destin incarné par Don Salluste et la cour. La reine avoue à Ruy Blas que c'est bien lui qu'elle aime et non son double aristocratique et illusoire, Don César. Son nom véritable, Ruy Blas, est d'ailleurs la dernière parole que la reine prononce et c'est de cette reconnaissance in extremis que Ruy Blas la remercie "in articulo mortis", alors qu'on le croyait déjà mort et comme par-delà la mort. Ce "merci" est une fin étrangement heureuse pour une tragédie. Cependant Ruy Blas n'a pas perdu de vue le salut de la reine, sa lucidité reste entière et son amour ne s'est pas départi de sa sollicitude : "Fuyez d'ici ! Tout restera secret."

Omniprésent dans l'ensemble de la pièce : dans l'onomastique, le personnage du "vrai" Don César, la scène du conseil royal, le grotesque vise délibérément à un comique de dérision (ce mélange du comique et du tragique renoue avec la dramaturgie shakespearienne, par-delà le cloisonnement des genres du théâtre classique). Cette dimension comique, grotesque, affleure imperceptiblement dans la scène finale comme effet involontaire de l'outrance. C'est aux acteurs de conjurer ce risque par la sobriété et la retenue de leur jeu.

La fin de la pièce coïncide avec la résolution de l'antinomie du sujet et de l'objet sur l'axe du désir du schéma actanciel, lorsque la reine dit à Ruy Blas qu'elle l'aime en tant que Ruy Blas (son être véritable) et non en tant que don César (sa personnalité d'emprunt, son apparence) et la levée du malentendu tragique.

Cependant, cette résolution est plus symbolique que réelle. Elle ne peut s'accomplir qu'au seuil de la mort "sub specie aeternitatis" et non de façon historique et sociale, d'où la référence à Dieu, qui se substitue au "mauvais adjuvant" qu'était Don Salluste. Le royaume de Ruy Blas n'est pas "de ce monde", mais pour des raisons sociales et politiques et non pas spirituelles. Ruy Blas, le valet de Don Salluste, récupère une partie de la maîtrise : le savoir et la volonté, mais non le pouvoir ; il recouvre son autonomie, il s'affranchit, mais ne peut se résigner à se détacher de son idole. Le drame exige un dénouement tragique et c'est volontairement que Ruy Blas se donne la mort. La fin de la pièce est donc conforme à la logique des caractères et aux conventions du drame romantique.

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