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Dylan Thomas naît à Swansea, ville côtière du Pays de Galles.


Son père David, diplômé en anglais et écrivain, pousse son fils à parler l'anglais plutôt que le gallois, la langue de sa mère, mais sa poésie gardera la trace de l'influence du gallois.

 

 Il fréquente la Swansea Grammar School, école pour garçons où son père enseignait la littérature anglaise. C’est dans un magazine scolaire que le jeune Thomas publie son premier poème. Il quitte l'école à 16 ans pour devenir reporter durant un an et demi.


Il passe la majeure partie de son enfance à Swansea, hormis des séjours réguliers à la ferme de Carmathen que possédait la famille de sa mère. Ces séjours influencèrent son travail ; on le remarque dans de nombreuses histoires courtes, dans des œuvres radiophoniques ou encore dans le poème "Fern hill" ("La colline des fougères")


Il écrit la moitié de son œuvre alors qu’il vit dans la maison familiale du 5 Cwmdonkin Drive (le poème le plus connu étant : "And death shall have no dominion"). En novembre 1934, il publie son premier recueil de poésie : "18 Poems".


En 1937, il se marie avec Caitlin Macnamara (1913-1994) et aura trois enfants avec elle, malgré une relation houleuse, entachée par des écarts conjugaux.


Dylan Thomas avait des problèmes avec l'alcool dans lequel il noyait sa difficulté de vivre.  Le 3 novembre 1953, au Chelsea Hotel de New York il déclare: "I've had 18 straight whiskies, I think this is a record". Six jours plus tard, pendant sa tournée promotionnelle new-yorkaise, à la White Horse Tavern, de Greenwitch Village (Manhattan), il s’évanouit après avoir trop bu .

 

Il mourut au St Vincent Hospital (New York) à l’âge de 39 ans.

 

Je voulais depuis longtemps rendre hommage à ce poète, l'un de mes préférés, en essayant de traduire l'un de ses poèmes, que j'aime entre tous , "Fernhill", avec "Do not go gentle into that good night" ("N'entre pas sans violence dans cette douce nuit", 1951), adressé à son père.

 

"Fernhill" est le dernier poème du recueil "Death and Entrances", paru en 1946. "Fernhill",  comme tous les poèmes de Dylan Thomas est fait pour être parlé ou chanté (il a d'ailleurs été mis en musique par le compositeur américain John Corigliano pour choeur et orchestre). Dylan Thomas a toujours minimisé l'influence de la prosodie galloise sur son oeuvre, mais le caractère essentiellement oral de sa poésie, la multiplication des assonances et des allitérations, font partie des prescriptions de la versification galloise (Cynghanedd). L'influence de Gérard Manley Hopkins est également perceptible.

 

"Dylan Thomas, en naissant, remplace un premier enfant mort, écrit Alain Suied dans la préface de "Vision et Prière" et autres poèmes (NRF Poésie/Gallimard). Cet autre habitera toute son oeuvre, tour-à-tour "bébé en flammes" ou "héros" ou "animal"... jusqu'à le dévorer, bébé de trente-neuf ans gonflé d'alcool (...)


Mais est-ce là pour autant le seul "secret" de sa poésie ? Cet "autre" monde n'est pas celui de la mort. C'est celui de la naissance : partition, parturition première. Le monde que Dylan Thomas reconstruit pour nous, c'est celui que nous avons déserté peu après notre entrée dans l'humaine condition. C'est notre autre soi, le vrai - celui auquel nous avons renoncé - trop tôt, trop vite.

 

Le poète, "artisan sacré", nous rappelle le "Paradis perdu", celui que nous avons tenu dans nos mains - mais que nous n'avons su ni accepter, ni aimer.

 

Cet autre soi : au carrefour de l'illusion et de la réalité, ce monde où nous faisions corps avec le mystère originel, avec la magie de la Création.

 

La Poésie, n'est-ce pas d'abord cela : parole des origines, parole perdue, genèse, Genèse ?

 

Dylan Thomas, "poète du siècle", en Angleterre, barde gallois, alchimiste du Verbe et de l'Inconscient, nous parle - sans les détours et les masques de la parole - de ce vertige fondamental que nous portons tous au fond de nous : c'est le manque même de l'Autre qui "nous" constitue."


"And once below a time I was a child" : seul un poète de génie pouvait avoir cette intuition fulgurante de ce qu'est l'enfance et le dire de cette manière-là, parfaitement étrange, mais la seule possible, et pas autrement.

Traduite littéralement, la phrase donne en français : "Une fois, en-deçà d'un temps j'étais (ou je fus) un enfant.". Dans "Once below a time", on entend la formule consacrée des contes de fées : "Once upon a time" ("Il était une fois"), mais "upon" n'est pas "below" ("sous", "en-deçà de").

Dylan Thomas a réussi le tour de force de dire à la fois le conte de fées (le merveilleux) et l'en-deçà de la temporalité. L'enfant n'a pas la conscience du temps. Cette prise de conscience est admirablement  indiquée dans la dernière strophe par l'image du grenier bondé d'hirondelles ("the swallow throunged loft") : le coeur de l'enfant empli du sentiment de l'éternité est fissuré, au moment de l'adolescence, par  la conscience du temps ;  le cadran lunaire de l'intelligence conceptuelle ("the shadow of my hand") remplace le cadran solaire du coeur et égrène désormais les heures et le vol des hirondelles dans "la lune toujours montante" n'indique plus seulement une plénitude joyeuse, mais aussi le déclin du jour et la "décomposition" de l'éternité.

 "Nothing I cared, in the lamb white days, that time would take me
Up to the swallow throunged loft by the shadow of my hand,
In the moon that is always rising.
Nor that riding to sleep
I should hear him fly with the high fields
And wake to the farm forever fled from the childless land (...) "

" J'ignorais en ces jours candides comme des agneaux
Que le temps m'emporterait bientôt vers ce grenier
Bondé d'hirondelles à l'ombre de ma main,
Dans la lune toujours montante
Ni que, galopant vers le sommeil
Je l'entendrais voler par les moissons
Et m'éveillerais dans la ferme
Chassé à jamais du paradis de l'enfance (...)"

Pour un enfant, tout ce qui semble banal pour un adulte, est nimbé de merveilleux.


Il me fallait donc exprimer dans ma traduction la perte du sentiment du merveilleux et l'irruption de la temporalité :

"Jadis, avant la commencement du temps, je fus un enfant."

Le passé simple, en français étant le temps de l'accompli, de "l'hapax" (ce qui n'a lieu qu'une seule fois), de l'irrévocable, m'a paru préférable à l'imparfait qui indique une durée indéterminée, que l'on envisage dans son déroulement ; l'adverbe "jadis" renforce cet aspect et renvoie à la formule consacrée "il était une fois."... "avant le commencement du temps" essaye  d'exprimer ce "paradis perdu" de l'enfance où le temps n'existe pas encore.

Seul un adulte qui a été pris dans la "marée montante du temps" peut dire à la fois la nostalgie (l'enfant n'a pas la nostalgie de ce qu'il possède) et le paradis, et seul un grand poète peut exprimer cette nostalgie avec des mots que n'entachent pas la banalité du regard adulte, tout en traduisant, à  travers les épiphanies de son histoire personnelle, une expérience universelle.

On sait à quel point la nostalgie du "paradis perdu" était aiguë chez Dylan Thomas et à quel prix le poète en a payé la conscience.

Il y aurait encore bien des choses à dire, par exemple sur la polysémie du  mot "wake" qui signifie en anglais à la fois l'éveil, la veillée funèbre et le sillage d'un bateau. Fervent lecteur de James Joyce, Dylan Thomas s'est certainement souvenu de "Finnigans Wake", ce roman du temps, de l'éveil et de la mort.

Je donne le poème dans la langue originelle, puis ma modeste et imparfaite tentative de traduction :

Fern Hill

Now as I was young and easy under the apple boughs
About the lilting house as the grass was green,
The night above the dingle starry,
Time let me hail and climb
Golden in the heydays of his eyes,
And honoured amoung wagons I was prince of the apple towns
And once below a time I lordly had the trees and leaves
Trail with the daisies and barley
Down the rivers of the windfall light.

And as I was green and carefree, famous amoung the barns
About the happy yard ans singing as the farm was home,
Il the sun that is young once only,
Time let me play and be
Golden in the mercy of his means,
And green and golden I was huntsman and herdsman, the calves
Sang to my horn, the foxes on the hills barked clear and cold,
And the sabbath rang slowly
In the pebbles of the holy streams.

All the sun long it was running, it was lovely, the hay
Fields high as the house, the tunes from the chimneys, it was air
And playing, lovely and watery
And fire green as grass.
And nightly under the simple stars
As I rode to sleep the owls were bearing the farm away,
All the moon long I heard, blessed amoung stables, the nightjars
Flying with the ricks, and the horses
Flashing into the dark.

And then to awake, and the farm, like a wanderer white
With the dew, come back, the cock on his shoulder : it was all
Shining, it was Adam and maiden,
The sky gathered again
And the sun grew round that very day.
So it must have been after the birth of the simple light
In the first, spinning place, the spellbound horses walking warm
Out of the whinnying green stable
On to the fields of praise.

And honoured among foxes and pheasants by the gay house
Under the new made clouds and happy as the heart was long,
In the sun born over et over,
I ran my heedless ways,
My wishes raced through the house high hay
And nothing I cared, at my sky blue trades, that time allows
In all his tuneful turning so few and such morning songs
Before the children green and golden
Follow him out of grace.

Nothing I cared, in the lamb white days, that time would take me
Up to the swallow thronged loft by the shadow of my hand,
In the moon that is always rising,
Nor that riding to sleep
I should hear him fly with the high fields
And wake to the farm forever fled from the childless land.
Oh as I was young and easy in the mercy of his means,
Time held me green and dying
Though I sang in my chains like the sea.


              
      
Fernhill (la colline des fougères)

Insouciant sous les pommiers en fleurs
Jadis, Je fus un enfant

Heureux car l'herbe était verte
Auprès de la maison joyeuse

Et la nuit recouvrait le vallon étoilé...

Ô temps, laisse-moi regrimper pour saluer toutes choses
Et recouvrer, glorieux, l'âge d'or de mon regard

Quand les chariots étaient carrosses
Et les pommeraies villes dont j'étais prince
Et que jadis, avant le commencement du temps,
Je gouvernais les arbres et les  feuilles

Et suivais, dans les rivières de la clarté,
Le sillage des épis et des marguerites.

Jeune pousse verdoyante, célèbre dans les granges,
M'approchant de ma ferme et de ma cour joyeuse,
je chantais.
j'allais dans le soleil qui n'est jeune qu'une fois.
Ô temps, que je rayonne sur le chemin de grâce,
Chasseur et puis berger, vêtu d'or et de vert.
Les veaux me répondaient quand je sonnais du cor,
Les clairs aboiements frais des renards des collines
Et tintaient lentement comme les cloches du dimanche
Tous les galets des saints ruisseaux.

Merveilleuse mélodie des jours,
les foins hauts comme la maison,
Le chant des cheminées,
le vent adorable dansant avec le pluie
Le feu, vert comme l'herbe
Et la nuit sous les simples étoiles,
Comme je glissais dans le sommeil
Les chouettes transportaient  la ferme au loin
Et j'entendais voler sous la lune
Bénies par les bêtes des étables
Les engoulevents avec les meules de foin
Et devinais l'éclair des chevaux dans la nuit.

Et puis me réveiller et retrouver la ferme
Comme un errant dans la blancheur de l'aube
Qui regagne enfin son pays,
Un coq perché sur son épaule.
Le monde était alors comme le jardin d'Eden,
le ciel venait d'éclore,
Le soleil de jaillir, tout comme au premier jour,
La pure lumière d'être tissée.
Les chevaux ensorcelés
Quittaient la chaleur hénnissante des étables
Pour la gloire des prairies.

Et honoré parmi les renards et les faisans,
Près de la maison joyeuse,
Sous les nuages nouveaux nés,
Et heureux tant que le coeur était fort,
Dans le soleil renouvelé,
je courais parmi les chemins insouciants,
Mes voeux lancés dans le foin
Aussi hauts que la maison,
Et je me moquais bien dans mon commerce avec le bleu du ciel
Que le temps n'accorde, dans son cycle mélodieux,
Que si peu de ces chants matinaux
Avant que les enfants verdoyants et dorés
Ne le suivent hors de la grâce.

J'ignorais en ces jours candides comme des agneaux
Que le temps m'emporterait bientôt dans ce grenier
Rempli d'hirondelles à l'ombre de ma main,
Dans la lune toujours montante
Et que, galopant vers le sommeil
Je l'entendrais voler par les moissons
Et m'éveillerais dans la ferme
Chassé à jamais du paradis de l'enfance
Oh ! Je fus un enfant rayonnant sur le chemin de grâce
Et le temps me retenait verdoyant loin de la mort
Tandis que je chantais dans mes chaînes
Comme la mer.



N'entre pas sans violence dans cette bonne nuit

N'entre pas sans violence dans cette bonne nuit,
Le vieil âge devrait brûler et s'emporter à la chute du jour ;
Rager, s'enrager contre la mort de la lumière.

Bien que les hommes sages à leur fin sachent que l'obscur
est mérité,
Parce que leurs paroles n'ont fourché nul éclair ils
N'entrent pas sans violence dans cette bonne nuit.

Les hommes bons, passés la dernière vague, criant combien
clairs
Leurs actes frêles auraient pu danser en une verte baie
ragent, s'enragent contre la mort de la lumière.

Les hommes violents qui prirent et chantèrent le soleil
en plein vol,
Et apprennent, trop tard, qu'ils l'ont affligé dans sa
course,
N'entrent pas sans violence dans cette bonne nuit.

Les hommes graves, près de mourir, qui voient de vue
aveuglante
Que leurs yeux aveugles pouraient briller comme
météores et s'égayer,
Ragent, s'enragent contre la mort de la lumière.

Et toi, mon père, ici sur la triste élévation
Maudis, bénis-moi à présent avec tes larmes violentes,
Je t'en prie.
N'entre pas sans violence dans cette bonne nuit.
Rage, enrage contre la mort de la lumière.

(Dylan Thomas, "Vision et Prière" et autres poèmes, traduction et présentation d'Alain Suied, NRF, Poésie/Gallimard)

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