Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

1et

 

 

Aux élèves de Terminale :

Voici le commentaire d'une élève de Terminale  d'un texte de David Hume extrait de L'Enquête sur l'entendement humain (1758), accompagné des observations du correcteur, ainsi que de conseils personnels et d'une proposition de corrigé :

 
"L'homme est un être raisonnable, et, comme tel, c'est dans la science qu'il puise l'aliment, la nourriture qui lui conviennent ; mais si étroites sont les bornes de l'entendement humain, qu'il ne peut espérer que peu de satisfaction, soit de l'étendue, soit de la certitude des connaissances qu'il acquiert. L'homme est un être sociable autant que raisonnable ; mais il ne lui est pas toujours donné d'avoir la jouissance d'une compagnie agréable et amusante ou de conserver lui-même son goût pour la société. L'homme est aussi un être actif ; et cette disposition, autant que les diverses nécessités de la vie humaine, fait de lui l'esclave de ses affaires et de ses occupations ; mais l'esprit demande qu'on lui donne un peu de relâche ; il ne peut rester constamment tendu vers les soucis et le travail. Il semble donc que la nature ait indiqué un genre de vie mixte comme le plus convenable à l'espèce humaine et qu'elle nous ait en secret exhortés à ne laisser aucun de ces penchants tirer par trop chacun de son côté, au point de nous rendre incapables d'autres occupations et d'autres divertissements. Abandonnez vous à votre passion de la science, nous dit-elle ; mais que votre science soit humaine, et qu'elle ait un rapport direct avec l'action et avec la société (...) Soyez philosophe : mais que toute votre philosophie ne vous empêche pas de rester homme."

(David Hume : Enquête sur l'entendement humain, 1758)

"Ce texte est un extrait de l'Enquête sur l'entendement humain de 1758 écrit par David Hume, philosophe des Lumières du XVIIème siècle. Cet auteur anglais très apprécié des philosophes français comme Diderot a beaucoup vécu en France. Il est l'un des inspirateurs de Kant..."

Le correcteur a écrit dans la marge "soit". Cette remarque sous-entend qu'il n'est pas très favorable au fait que les élèves présentent l'auteur du texte et encore moins son œuvre. En tout état de cause, si vous ne connaissez pas l'auteur et son œuvre, vous ne serez pas pénalisé de ne rien en dire. Je vous invite toutefois à remarquer la date de publication de l'ouvrage dont est tiré ce texte : "1758" : le XVIIIème siècle, le siècle des Lumières. Cet élément est essentiel pour sa compréhension.

"... Dans cet extrait, il expose sa théorie inspirée d'Aristote selon laquelle l'homme est un être raisonnable, sociable et actif et la seule chose qui le différencie des animaux serait sa raison, "l'homme est un animal raisonnable". La théorie de Hume se distingue du dualisme de Descartes : l'homme serait composé d'une substance pensante qui est l'âme et d'une substance étendue qui est le corps..."

Le correcteur a souligné "sa théorie selon laquelle l'homme est un être raisonnable" et écrit dans la marge  : "ceci n'est qu'un élément du texte ! Quelle est sa thèse ? L'allusion au dualisme cartésien a par ailleurs reçu le commentaire suivant : "Cela n'a guère à voir avec ce (souligné deux fois) passage".

Le correcteur reproche ici à l'élève de ne pas avoir explicité la thèse de l'auteur. Il faut qu'au moins trois éléments ressortent bien et soient matérialisés par des passages à la ligne et/ou des tirets :

LA PRÉSENTATION DE L'AUTEUR ET DE L’ŒUVRE (facultatif),

La PROBLÉMATIQUE : le problème, sous forme de question, auquel l'auteur s'est proposé de répondre

LA THÈSE : la manière dont il a répondu à cette question

L'ANNONCE DU PLAN : les différents axes de votre commentaire

Il est par ailleurs déconseillé de confronter la pensée de l'auteur à celle d'autres auteurs (en, l'occurrence Descartes) dans un commentaire. Cette démarche devant être réservée à la dissertation.

"... Afin d'exposer sa thèse, Hume articule son texte en trois parties, commençant par définir l'homme est tant qu'être de Raison, ensuite en tant qu'être sociable et enfin en tant qu'être actif. Nous étudierons ce texte en suivant les articulations..." 

Le correcteur a écrit dans la marge : 1/ délimite ces passages 2/ articule avec la thèse.

L'élève a annoncé le plan, c'est bien, mais il fallait citer le texte et rappeler la thèse de l'auteur, le plan étant la manière dont l'auteur développe la thèse, la thèse étant la manière dont il répond à la problématique.

"... L'homme est doué de raison, il est raisonnable, mais non au sens courant de ce terme : en effet l'homme est doué de parole, il possède le Logos, la raison. ce qui le différencie des animaux comme l'affirme Aristote, l'homme a une âme végétative comme les plantes, une âme sensitive comme les animaux et ce qui le différencie de ceux-ci est une âme raisonnable..."

Le correcteur a écrit dans la marge : "texte ?" Comme conseillé plus haut, il faut éviter, dans un commentaire, de parler d'un autre auteur que de l'auteur du texte et de confronter leurs idées respectives.

"... Hume dit que "c'est dans la science qu'il puise l'aliment, la nourriture qui lui conviennent". Cependant, par science, Hume n'entend pas les sciences positives, comme la géologie ou les mathématiques, uniquement mais l'ensemble des sciences regroupées dans la pensée philosophique. C'est dans cette science que l'homme va trouver ce dont il a besoin..."

Le correcteur a écrit dans la marge : "en cours, j'ai dit que dans ce texte : science = connaissance)

"Mais l'homme, être de raison, a une raison limitée : il est sujet à l'erreur et à l'illusion, il ne peut pas tout connaître et ne peut être certain de tout ce qu'il connaît."

Le correcteur a écrit dans la marge : "donc ?"

Il aurait fallu tirer la conséquence de cette remarque : l'entendement humain étant limité, l'homme ne peut tirer des connaissances (de l'exercice de son entendement) que des satisfactions limitées.

"... L'être raisonnable est également sociable ; en effet, l'homme ne vit pas tout seul, il entre en relation avec les autres, grâce au langage dès sa naissance : la famille représente une petite société, une société en miniature. Néanmoins, même si l'homme est porté vers les autres, il ne l'est pas constamment. L'homme peut ainsi ne pas jouir de la compagnie de ses semblables et, à certains moments, préférer la solitude et l'isolement au goût pour la société..."

Le correcteur a écrit dans la marge : "oui, mais quel lien avec la thèse ?"

Il aurait fallu rappeler la thèse : l'homme n'est pas seulement un être raisonnable, il est aussi un être sociable et un être actif. Aucune de ces facultés ne se suffit à elle même. Ces trois dimensions ou facultés doivent s'articuler et s'harmoniser entre elles et se donner une finalité.

"A ces deux caractéristiques de l'entendement humain, la raison et la sociabilité, Hume en ajoute une troisième : l'homme est également actif. Hume va même jusqu'à dire que l'homme actif est esclave de ses occupations et de ses soucis qui lui permettent de subvenir à ses besoins naturels (manger, boire, se vêtir...) Mais l'homme n'est pas seulement actif. La nature humaine comprendrait alors trois plans : l'homme raisonnable, sociable et actif et il faudrait harmoniser les trois dimensions pour être heureux. Pour Hume, nous devons tendre aux trois niveaux : à la raison (la science, la philosophie), à la société et à l'action (les soucis, le travail, les besoins) et de façon équitable. La Raison est au service de la société et de l'action, comme le montre l'auteur : "Soyez philosophe, mais que toute votre philosophie ne vous empêche pas de rester homme.", c'est-à-dire qu'il faut être raisonnable sans pour autant oublier le divertissement et les autres occupations."

Le correcteur a écrit dans la marge "oui" en face du passage "la nature humaine comprendrait alors trois plans... "pour être heureux", suggéré "équilibrée" au lieu de "équitable" et "doit être" au lieu de "est".

Ce passage du commentaire montre que l'élève a partiellement compris la thèse de Hume. Il est dommage qu'elle ne l'ait pas mise en évidence au début du devoir, ainsi que l'annonce du plan.

"L'homme est un animal doué de raison, mais il est aussi un animal sociable, voué au travail et à la satisfaction de ses besoins. Pour Hume, l'homme doit équilibrer ses facultés (raison, sociabilité, action), elles doivent s'harmoniser les unes avec les autres afin que l'homme soit réellement heureux. La raison au service de la société et de l'action, prônée par les philosophes des Lumières rendrait les hommes meilleurs, équilibrés et épanouis et dans ce cas la société tout entière et son fonctionnement seraient meilleurs."

Le correcteur a entouré animal et écrit "texte ?" et souligné le mot "heureux" avec le commentaire suivant : est-ce vraiment cela l'enjeu du texte ?" ; il a également écrit en face des cinq dernières lignes le mot "oui".

L'élève aurait dû écrire "être raisonnable" au lieu de "animal doué de raison" et "être sociable" au lieu de "animal sociable". L'enjeu du texte : qu'est ce qui motive une telle réflexion ? En quoi est-il important de réfléchir sur la question des facultés humaines, de leur articulation, de leur harmonisation et de leur FINALITÉ ? n'est pas le bonheur individuel.

Il faut faire une conclusion en rappelant le problème soulevé par le texte (la question à laquelle l'auteur s'est proposé de répondre), ainsi que la thèse de l'auteur (la manière dont il a répondu à la question), en résumant en deux ou trois phrases l'essentiel de votre commentaire concernant l'intérêt du texte et les points discutés. Il est possible de s'arrêter là, sinon, il convient de montrer que malgré le texte et votre explication certains points restent encore à discuter (ouvrir le commentaire).

Aux élèves : je vous conseille de lire et de relire le texte attentivement, puis d'imaginer les questions que l'on pourrait vous poser sur le texte :

Questions sur le texte : travail préparatoire au brouillon)

1) "L'homme est un être raisonnable" : Précisez le sens du mot  "raisonnable" dans ce texte.

2) "C'est dans la science qu'il puise l'aliment, la nourriture qui lui conviennent" : précisez le sens du mot "science".

3) Pourquoi l'homme ne peut-il espérer que peu de satisfaction des connaissances qu'il acquiert ?

4) "L'homme est un être sociable" ; quelles sont, selon Hume les limites de la sociabilité humaine ?

5) L'homme doit-il être seulement un "être actif" ?

6) Que se produit-il quand une des trois principales facultés humaines (raison, sociabilité, action) éclipse les deux autres ? Est-ce souhaitable, selon Hume ? Quel genre de vie la nature nous indique-t-elle ?

7) Comment la raison, la sociabilité et l'action doivent-elles s'articuler ? Montrez la dimension "programmatique" de cette articulation dans le contexte de la philosophie des Lumières.

Proposition de correction :

Introduction :

PRÉSENTATION DE L'AUTEUR ET de L’ŒUVRE : David Hume est un éminent représentant de la philosophie des Lumières. Très apprécié des philosophes français, tel Denis Diderot, il a vécu plusieurs années de sa vie en France. Il a eu une grande influence sur le criticisme kantien. 

PROBLÉMATIQUE : Extrait de l'Enquête sur l'entendement humain (An Enquiry about Human Understanding), ce texte s'interroge sur la nature humaine : "qu'est-ce qu'un homme ?", qu'est-ce qu'être un homme ?"

THÈSE : Pour Hume, l'homme n'est pas seulement un "être raisonnable", il est aussi un "être sociable" et il est enfin un "être actif".

ANNONCE DU PLAN : Nous nous interrogerons sur chacune de ces définitions de l'homme, puis nous montrerons que pour Hume, aucune d'entre elle n'est satisfaisante si on la sépare des deux autres, puis comment ces trois définitions et ces trois dimensions de l'homme s'articulent les unes aux autres ; nous montrerons enfin que ce texte de Hume et en particulier la dernière partie, brosse un portrait de l'homme des Lumières.

DÉBUT DU COMMENTAIRE : Le mot "raisonnable" signifie ici "doué de raison". Hume reprend la définition traditionnelle de l'homme comme "animal raisonnable"  : l'homme appartient à l'espèce animale, mais possède une différence spécifique : la raison. Certes tous les hommes ne sont pas "raisonnables" (doués de raison) : certains se conduisent de façon insensée et d'autres n'ont pas de raison du tout. Il y a des cas particuliers, mais Hume se place du point de vue du genre humain dans sa généralité, mais aussi dans sa spécificité.

"C'est dans la science qu'il puise l'aliment, la nourriture qui lui conviennent..." : cependant, la raison a besoin de "nourriture" pour s'exercer. Cette nourriture, ce sont les sciences. Quand nous lisons aujourd'hui le mot "sciences", nous pensons aux sciences particulières comme la physique, la chimie, la biologie, l'astronomie, etc. ou bien aux sciences humaines comme l'Histoire, la psychologie ou la sociologie. Au XVIIIème siècle, les sciences particulières ne se sont pas encore détachées de la philosophie. Hume entend ici par "science" le savoir humain en général, la connaissance.

Mais selon Hume, l'homme ne peut retirer que peu de satisfactions des connaissances qu'il acquiert parce que son entendement est borné. Il ne peut donc  tout connaître (la science est limitée) et il ne peut jamais atteindre la certitude, mais seulement la vraisemblance (la science est incertaine). Hume exprime ici le point de vue du scepticisme modéré.

La connaissance ne peut lui donner beaucoup de satisfaction, mais l'homme n'est pas seulement un "être raisonnable" (premier caractère), c'est aussi un "être sociable" (deuxième caractère), mais "en puissance" et pas toujours en fait : il peut ne pas toujours trouver "la jouissance d'une compagnie agréable et amusante" et il peut aussi s'en lasser et avoir envie d'être seul. L'esseulement est une solitude douloureuse et subie, la solitude est voulue et elle n'est pas douloureuse. L'homme (le sage, le philosophe) est capable de vivre en société et d'apprécier la compagnie des autres, mais aussi de se retirer en lui-même pour réfléchir et pour méditer.

Toutefois, l'homme n'est pas seulement un être rationnel et un être social. Le troisième caractère de l'homme est l'activité. Cette "disposition" est nécessaire et légitime. Nous avons besoin de travailler pour entretenir la vie biologique (subvenir à nos besoins matériels), mais elle présente des risques : "devenir l'esclave de ses affaires et de ses occupations". Pour Hume, héritier d'une tradition qui remonte à la pensée grecque, le travail n'est pas l'activité la plus élevée, il n'est pas un but en soi, mais un moyen d'entretenir la vie, afin de nous permettre de nous consacrer à des activités plus élevées (la politique, la contemplation, la pensée)

L'homme est un être raisonnable, un animal doué de raison, il est aussi un être sociable. Il est également voué au travail pour satisfaire ses besoins et maintenir la vie. Selon Hume, l'homme doit chercher à se réaliser pleinement en équilibrant ses facultés (raison, sociabilité, action) et en les harmonisant les unes avec les autres. Un homme qui ne serait que raison serait un "monstre froid", que sociabilité, un être vain et superficiel, voué à vivre "selon les autres" et celui qui ne serait préoccupé que de sa survie matérielle, un "esclave" de ses besoins.

"Il semble que la nature ait indiqué ce genre de vie mixte comme le plus convenable à l'espèce humaine..." : Cette "vocation" d'harmonisation et de finalisation de ses facultés a été donnée à l'homme par la nature. On remarquera que Hume emploie le mot "nature" et non pas le mot "Dieu".

La finalité des facultés humaines (la vocation "naturelle" de l'homme) pour Hume (et pour les philosophes des Lumières) est donc la sociabilité active au service de l'humanité. C'est ainsi qu'Edward Jenner, en Angleterre met ses connaissances scientifiques et médicales au service de la population en inventant le vaccin contre la variole, Voltaire, en France, cherche à réformer l'institution judiciaire en défendant Calas, les physiocrates à lutter contre la famine en améliorant le rendement des terres.

Hume brosse à la fin de cet extrait un beau portrait du philosophe des Lumières (qui est aussi un autoportrait) : "Abandonnez-vous à votre passion pour la science ; mais que votre science soit humaine, et qu'elle ait un rapport direct avec l'action et avec la société (...) Soyez philosophe : mais que toute votre philosophie ne vous empêche pas de rester homme."

Empli de générosité et de bienveillance, le philosophe des Lumières n'est pas uniquement préoccupé de soi. C'est un homme activement engagé dans le monde qui met sa raison et sa passion de la science (de la connaissance) au service de la société pour en dénoncer les injustices et les abus et en améliorer le fonctionnement au nom d'un idéal de progrès. Pour Hume, la sociabilité  ne consiste pas seulement à aimer nos proches (notre famille), nos amis comme pour les épicuriens, mais la société tout entière et même l'Humanité. Le souci égoïste de soi doit faire place à la philanthropie.

Conclusion :

L'homme doit agir et travailler pour satisfaire ses besoins biologiques, mais il n'est pas seulement voué à l'action ; il est aussi un "être de raison" qui doit s'efforcer de nourrir son entendement, tout en sachant que l'entendement est limité et les connaissances incertaines. La valeur suprême pour Hume, celle qui définit le mieux la nature humaine est la sociabilité. La sociabilité nous arrache à l’égoïsme pour nous tourner vers les autres, vers des cercles de plus en plus larges :  la famille, la société, le genre humain. Le philosophe ne doit pas s'enfermer dans une tour d'ivoire. Il ne doit pas être seulement un "intellectuel". La raison, la sociabilité et l'action demeurent stériles si elles ne sont pas au service de l’humanité.

Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :