Réponse à un participant du blog de Jean-Paul Brighelli, Bonnet d'âne, au sujet de "l'affaire Frédéric Mitterrand" :
http://bonnetdane.midiblogs.com/
Lu dans le Figaro.fr : "Une trentaine de manifestants d'extrême droite, accompagnés d'enfants installés dans des poussettes, ont invectivé ce matin à Bordeaux Frédéric Mitterrand, demandant sa
démission. Le ministre de la culture, accompagné du maire UMP de Bordeaux Alain Juppé, inauguraient "la maison aux personnages Ilya Kabakov", un couple d'artistes russes contemporains".
Pour moi la grosse et bonne nouvelle est d'apprendre qu'Ilya Iossivovitch Kabakov, cet immense artiste russe reçoit en France de la part des autorités françaises au plus haut niveau, cette
reconnaissance, qui vaut bien un Prix Nobel.
Ecrit par : buntovchik | 10 octobre 2009
Soyons clair : je pense que la manifestation qui a eue lieu Bordeaux a été manifestement téléguidée et je n'apprécie pas trop le pharisaïsme.
Ceci dit, sans viser personne en particulier, pas plus Frédéric Mitterrand que Roman Polanski, je maintiens mon interrogation sur la question de l'éthique et de la sexualité.
... Sans pour autant demander le départ de l'un ou la condamnation de l'autre, pas plus que la censure de livres comme Lolita de Nabokov (que j'ai lu) ou
Rose bonbon (dont j'ai entendu parler). Toutes ces réactions sont enfantines (censure, vociférations...) et il s'agit bel et bien d'un problème d'adultes.
Il faut regarder les choses en face. Si Lolita et, mettons, son pendant masculin (le Tadzio de Mort à Venise) n'étaient pas des objets possibles de
désir, il n'y aurait aucun problème.
Julien Green dit quelque part que pour certaines âmes, tout est tentation. Certains nous disent : "tant mieux ! Quel délice d'y succomber !" D'autres qu'il faut
se rouler dans les épines. Je suis de ceux qui pensent que la beauté et la grâce existent, mais qu'il faut interposer une "haie de roses" ... et ne pas y toucher.
Alain Finkielkraut eût été mieux inspiré, plutôt que de défendre Frédéric Mitterrand et Roman Polanski contre la "meute démocratique" de reprendre la distinction
pertinente qu'il fait dans Un cœur intelligent entre le fantasme et l'imagination.
La pédophilie relève du fantasme, c'est à dire d'une appropriation égocentrique du monde ("il n'y a pas de morale qui tienne, je veux avoir ce que je désire parce
que tel est mon bon plaisir").
L'imagination, au contraire, nous oblige à nous mettre à la place d'autrui (par exemple à nous demander ce qu'est un enfant et à ne pas projeter sur lui nos
propres désirs). Un homme disait le père d'Albert Camus (et Alain Finkielkraut nous le rappelle dans Un coeur intelligent) "c'est quelqu'un qui s'empêche".
A propos de l'héritage de mai 68, je recopie ce passage d'Un coeur intelligent : "Certes, nous préférerions étendre la révolution au domaine sexuel
plutôt que de subordonner la sexualité à la révolution, mais, pour nous autres aussi, apôtres de la jouissance immédiate, il s'agissait d'en finir avec le louvoiement du style indirect et les
archaïques complications du marivaudage." (page 18)
On se souvient qu'Alain Finkielkraut est le coauteur, avec Pascal Bruckner du Nouveau désordre amoureux qui fut le "bréviaire amoureux" de ces
années-là.
Mai 68 avait une dimension politique (les accords de Grenelle), mais son impact essentiel se produisit dans le domaine des mœurs (avec l'aide de la pilule
contraceptive).
Les événements débutèrent à Nanterre à la cité universitaire avec des questions de cohabitation entre garçons et filles, non avec une grève ouvrière. Ses "pères
tutélaires" ne furent ni Marx, ni Engels, mais Reich et Marcuse.
C'est peut-être dans ce domaine, plus encore que dans celui de la politique, que le fantasme (se mettre au centre du monde, prendre le monde pour un "terrain
d'expérience") a eu le plus de mal à céder à l'imagination (se mettre à la place de l'autre, se sentir responsable de l'autre).
Il faut souligner aussi l'hypocrisie de cette chasse aux sorcières. N'est-ce pas la "société de consommation" qui a paré l'enfance et l'adolescence (cette
invention de la modernité occidentale), notamment à travers la publicité, de toutes les vertus (la beauté, l'innocence, la spontanéité, l'intelligence), l'érotise en permanence et en exploite
quotidiennement l'image ? L'idéologie libertaire et le libéralisme économique ne marchent-ils pas la main dans la main ?
"L'élève est au centre du système éducatif" affirme la Loi d'orientation de 89 et l'on sent bien que le législateur aurait préféré écrire l'enfant" ou
"l'adolescent", plutôt que l'élève, mais dans les fait l'un et l'autre ont en effet effacé l'élève au profit de la "spontanéité" infantile... Et en ce qui concerne l'innocence et
l'intelligence, que ce législateur et ceux qui l'ont inspiré, viennent exercer une semaine en collège et nous en reparlerons.
J'entends bien que les partenaires de Frédéric Mitterrand n'étaient pas forcément mineurs (mais qu'ils fussent majeurs ou mineurs, les services tarifés, cela porte un nom : la prostitution)
et que Daniel Cohn-Bendit a fini par comprendre que découvrir (un peu tardivement) après Freud l'existence d'une "sexualité enfantine" et en "épater le bourgeois", ne signifiait pas qu'elle
était "en phase" avec la sexualité adulte.
J'ai senti une sorte de désespoir dans le livre de Frédéric Mitterrand qui, je l'avoue, m'a touché, mais j'ai senti aussi une certaine "complaisance". Quant à Roman Polanski, il n'est
pas utile de s'étendre sur les circonstances atténuantes qu'il peut avoir. Le talent ou le génie n'y font rien. Une dimension essentielle de la vie psychique peut, pour des raisons diverses,
demeurer comme un trou béant : la paternité.
Reste que l'on parle toujours de Frédéric Mitterrand, de Roman Polanski, de Gabriel Matznev, mais jamais des "autres", leurs partenaires anonymes, les "sans
nom" et les "sans grade". On ne s'interroge jamais sur leurs sentiments à eux, sur leur vie à eux... Quelle chance ont-ils en effet de faire la Une de Paris Match ou de Gala
?
Reste que toutes ces affaires en appellent plus à nos fantasmes qu'à notre imagination.
N'y aurait-il pas une autre voie que de hurler avec les loups, de demander la démission des uns, l'emprisonnement des autres ou d'absoudre tout le monde en
proclamant avec un haussement d'épaule "qu'il n'y a pas de quoi fouetter un chat", qui serait d'appliquer à la prétendue "révolution sexuelle" la même lucidité qu'à l'autre, à se poser enfin,
en matière de politique, comme en matière de sexualité, la question des laissés pour compte de nos prétendues "libérations" ?