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La Maison de la culture de Bourges (MCB), avril 2013. La Maison de la culture de Bourges (MCB), avril 2013. | FRÉDÉRIC POTET

 

C'est un haut-lieu du Printemps de Bourges, ou plutôt c'"était". Avec sa façade Arts déco classée aux Monuments historiques, la Maison de la culture de Bourges (MCB) a longtemps été le vaisseau amiral du festival musical. C'est même en ses murs que celui-ci a été créé, en 1977, par Alain Meilland et Daniel Colling. La façade est certes toujours debout, majestueuse et imposante en haut de la rampe Marceau. Mais n'allez surtout pas regarder derrière ce qui s'y passe...

 

Un passage, sous un porche voisin, invite les curieux à aller jeter un œil. Le choc est important pour ceux qui ont fréquenté les deux salles de spectacle du bâtiment. Il n'en reste aujourd'hui plus rien, sinon les stigmates d'un chantier définitivement arrêté. La MCB devait se refaire un lifting intérieur dans le cadre d'un ambitieux programme de rénovation. Sa partie centrale n'est plus que ruines aujourd'hui – excepté, donc, son fameux fronton en briques rouges et bas-reliefs.

 

 

Cette destruction partielle de la MCB a créé, en ville, une émotion proportionnelle à la force évocatrice de cet équipement inauguré par André Malraux en 1963, véritable symbole de la politique culturelle de décentralisation de la cinquième République. Première Maison de la culture créée en France, la "Macu", comme l'appellent plus volontiers les Berruyers, aura été victime de son sous-sol, truffé de vestiges gallo-romains. Mais aussi d'une suite de péripéties techniques et d'un manque de concertation entre les différents partenaires en charge du dossier.

 

 

Un programme de rénovation ambitieux lancé en 2007

 

 

Tout commence en 2007 quand la municipalité, dirigée par le centriste Serge Lepeltier (aujourd'hui UDI), décide de rénover un équipement devenu obsolète. Inscrit au contrat de plan, un programme de rénovation d'un montant de 12 millions d'euros est adopté par les différentes collectivités : ville, région Centre, Etat, Europe... La demande du ministère de la culture est alors de reconstruire l'intérieur du bâtiment selon le concept de la "boîte dans la boîte" : totalement isolées phoniquement, les deux salles – situées l'une au-dessus de l'autre – devront pouvoir accueillir simultanément des spectacles. L'ardoise passe du coup à 16 millions d'euros.

 

 

Et bientôt à 19 millions d'euros après le lancement de l'appel d'offres. L'emprise foncière – sans fondation et très étroite – est en effet tellement particulière que peu d'entreprises vont accepter de prendre le risque de se lancer dans un chantier pareil. Le projet architectural prévoit par ailleurs de rehausser le bâtiment actuel d'une douzaine de mètres, afin d'"empiler" les deux salles l'une sur l'autre. Impossible rétorquent alors les Bâtiments de France : une MCB trop haute risque d'entraver la vue sur la cathédrale Saint-Etienne, le fleuron de la ville situé à 300 mètres de là.

 

 

Décision est prise d'"abaisser" la structure, et donc de creuser de quatre mètres en profondeur. Où des thermes gallo-romains sont découverts, sans surprise : deux séries de fouilles dans le passé – la première dans les années 30, quand fut élevé le bâtiment, la seconde dans les années 90, afin de bâtir un immeuble voisin – avaient déjà mis à jour des vestiges similaires.

 

Derrière la façade de la Maison de la culture de Bourges. Derrière la façade de la Maison de la culture de Bourges. | FRÉDÉRIC POTET

 

Une campagne de fouilles prescrite par le ministère de la culture

 

En septembre 2012, après consultation du diagnostic archéologique, le ministère de la culture décide finalement de prescrire une campagne de fouilles. La calculette est ressortie du côté de la mairie de Bourges : entre les fouilles en tant que telles, la consolidation de la façade et le report du chantier, il faut trouver 5 millions d'euros supplémentaires. C'en est trop. Serge Lepeltier décide d'arrêter là les dégâts. Le projet est abandonné. Une dalle de béton sera coulée au-dessus des bains gallo-romains. Libre aux générations futures de "fouiller" ou pas. Fin d'un scénario en tout point catastrophe.

 

 

L'empêcher était-il possible ? Très critiqué dans cette affaire, Serge Lepeltier ne décolère pas. D'abord contre l'essor de normes de plus en plus exigeantes en matière de spectacle vivant. Ensuite contre le préfet de Région de l'époque et la Direction régionale des affaires culturelle (DRAC) qui lui auraient certifié jusqu'en juin dernier – "oralement", dit-il – qu'ils ne préconiseraient pas de campagne de fouilles auprès de l'Etat. Et l'ancien ministre de l'écologie d'égratigner au passage la corporation des archéologues qui, selon lui, useraient de "non-dits" et de "double discours" rendant impossible toute anticipation en matière de travaux.

 

 

Son de cloche bien différent, évidemment, à la DRAC. "Les contraintes archéologiques se sont avérées en fait plus fortes qu'on ne l'avait imaginé, indique son directeur, Jean-Claude Van Dam. Ce n'est généralement qu'une fois en "bas" que l'on peut mesurer l'importance et l'état de vestiges. Avec le recul, on peut certes se dire qu'il aurait mieux valu ne toucher à rien. Mais il n'était pas imaginable de laisser la Maison de la culture dans l'état qui était le sien. Tout le monde est très attaché à ce site."


Une affaire qui a pris une tournure politique

 

 

 A un an des prochaines municipales, l'affaire a également pris, sur place, une tournure politique. "On savait avec certitude dès le départ qu'il y aurait des contraintes archéologiques importantes sur ce chantier, assène Irène Félix (PS), la tête de file de l'opposition municipale et future candidate à la mairie. Quand on se lance dans un projet pareil, on en estime toutes les dimensions : on les programme, on les chiffre et après, on "fait" ou on ne "fait" pas. L'improvisation aura été permanente. A l'arrivée, beaucoup d'argent a été dépensé pour aboutir sur une ruine et sur des fouilles archéologiques qui ne seront pas réalisées."

 

 

 Le dossier est loin d'être terminé puisque Serge Lepeltier a promis la construction d'une nouvelle Maison de la culture à quelques centaines de mètres du site actuel. D'un coût de 24 millions d'euros (et même 30 millions avec les aménagements urbains), l'équipement reviendra moins cher que la rénovation de l'ancienne "Macu" (33 millions, fouilles comprises). Reste à obtenir la signature de la ministre de la culture Aurélie Filippetti (attendue à Bourges vendredi 26 avril), ce qui prendra peut-être du temps dans un contexte de restriction budgétaire.

 

 

Mais sans doute aussi faudra-t-il encore convaincre de l'intérêt d'une construction ex-nihilo. Depuis deux ans, la Maison de la culture vit en effet "hors les murs" en programmant ses spectacles dans les différentes salles de la ville (l'Auditorium, le théâtre Jacques-Cœur, le Hublot...). Pas question de continuer ainsi, estime Serge Lepeltier qui a décidé de ne pas briguer un quatrième mandat de maire : "Le risque serait de voir s'effriter la fidélité des usagers. Il faut un lieu unique où l'on a envie de se retrouver."

 

 

L'heure viendra aussi de savoir ce que l'on fait de l'ex-MCB et de sa façade nue qui, pour le coup, n'aura jamais autant ressemblé à un décor de théâtre posé au beau milieu de la cité. A Bourges, cet automne, quand débutera la campagne des municipales, il est fort à parier que l'on parle beaucoup de culture en ville... (Frédéric Potet, Le Monde)

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