"Il était une fois... Tel était le titre qu'au départ j'avais pensé donner à ce livre. J'ai finalement choisi de lui en substituer un autre plus explicite. Mais, au seuil de l'ouvrage, je ne puis m'empêcher d'évoquer le souvenir auquel ce premier titre faisait écho et qui est à l'origine de ces textes.
Il y a un quart de siècle, quand mon petit-fils était enfant et qu'il passait avec ma femme et moi ses vacances, une règle s'était établie entre nous aussi impérieuse que la toilette : chaque soir, quand l'heure était venue et que Julien se mettait au lit, je l'entendais m'appeler depuis sa chambre, souvent avec impatience : "Jipé, l'histoire, l'histoire !" J'allais m'asseoir auprès de lui et je lui racontais une légende grecque.
Je puisais sans trop de mal dans le répertoire des mythes que je passais mon temps à analyser, décortiquer, comparer, interpréter pour essayer de les comprendre, mais que je lui transmettais autrement, tout de go, comme ça me venait, à la façon d'un conte de fées, sans autre souci que de suivre au cours de ma narration, du début à la fin, le fil du récit dans sa tension dramatique : il était une fois...
Julien, à l'écoute, paraissait heureux. Je l'étais, moi aussi...
J'ai tenté de livrer directement de bouche à oreille un peu de cet univers grec auquel je suis attaché et dont la survie en chacun de nous me semble, dans le monde d'aujourd'hui, plus que jamais nécessaire. Il me plaisait aussi que cet héritage parvienne au lecteur sur le mode de ce que Platon nomme des fables de nourrice, à la façon de ce qui passe d'une génération à la suivante en dehors de tout enseignement officiel.
J'ai essayé de raconter comme si la tradition de ces mythes pouvait se perpétuer encore. La voix qui autrefois, pendant des siècles, s'adressait directement aux auditeurs grecs, et qui s'est tue, je voulais qu'elle se fasse entendre de nouveau aux lecteurs d'aujourd'hui, et que, dans certaines pages de ce livre, si j'y suis parvenu, ce soit elle, en écho, qui continue à résonner."
"L'origine de l'univers :
Qu'est-ce qu'il y avait quand il n'y avait pas encore quelque chose, quand il n'y avait rien ? A cette question, les Grecs ont répondu par des récits et des mythes.
Au tout début, ce qui exista en premier, ce fut Béance ; les Grecs disent Chaos. Qu'est-ce-que la Béance ? C'est un vide, un vide obscur où rien ne peut être distingué. Espace de chute, de vertige et de confusion, sans terme, sans fond. On est happé par cette Béance comme par l'ouverture d'une gueule immense où tout serait englouti dans une même nuit indistincte. A l'origine donc, il n'y a que cette béance, abîme aveugle, nocturne, illimité.
Ensuite apparut Terre. Les Grecs disent Gaïa. C'est au sein même de la Béance que surgit la Terre. La voici donc, née après le Chaos et représentant, à certains égards, son contraire. La Terre n'est plus cet espace de chute obscur, illimité, indéfini. La Terre possède une forme distincte, séparée, précise. A la confusion, à la ténébreuse indistinction de Chaos s'opposent la netteté, la fermeté, la stabilité de Gaïa. Sur la Terre, toute chose se trouve dessinée, visible, solide. On peut définir Gaïa comme ce sur quoi les dieux, les hommes et les bêtes peuvent marcher avec assurance. Elle est le plancher du monde..."
Chapitres : L'origine de l'univers - Guerre des dieux, royauté de Zeus - Le monde des humains - La guerre de Troie - Ulysse ou l'aventure humaine - Dionysos à Thèbes - Oedipe à contretemps - Persée, la mort, l'image.
Le livre se clôt par un glossaire
Jean-Pierre Vernant, L'univers, les dieux, les hommes, récits grecs des origines, éditions du Seuil, oct. 1999, coll. Points