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Jorgé Luis Borges, Le livre de sable (El libro de arena), Emecé Editores, Buenos Aires, 1975, éditions Gallimard, 1978, pour la traduction française, éditions Gallimard, 1990, pour l'édition bilingue, traduit de l'espagnol par François Rosset, préface et notes de Jean-Pierre Bernès.

 

"Ecrire une préface à des contes qui n'ont pas encore été lus est une tâche presque impossible, puisqu'elle oblige à analyser des situations dont il convient de ne pas dévoiler la trame. Je préfère donc m'en tenir à un épilogue.

 

Le premier récit reprend le vieux thème du double, qui inspira si souvent la plume, toujours heureuse, de Stevenson. En Angleterre son nom est fetch ou, de façon plus littéraire, wraith of living ; en Allemagne, Doppelgaenger. Je soupçonne que l'une de ses premières désignations fut celle d'alter ego. cette apparition spectacle aura sans doute été un reflet renvoyé par un métal ou par l'eau, ou simplement par la mémoire, qui fait de chacun de nous un spectateur et un acteur. Il me fallait faire en sorte que les interlocuteurs fussent assez distincts pour être deux et être assez semblables pour n'être qu'un. Dois-je avouer que je conçus cette histoire en Nouvelle-Angleterre, au bord du fleuve Charles, dont les eaux froides me rappelèrent le lointain cours du Rhône ?

 

Le thème de l'amour intervient très souvent dans mes vers, mais pas dans ma prose, qui ne présente d'autre exemple qu'Ulrica. Les lecteurs remarqueront ses affinités avec L'Autre.

 

Le Congrès est peut-être la fable la plus ambitieuse de ce livre ; son thème est celui d'une entreprise tellement vaste qu'elle finit par se confondre avec le cosmos et avec la somme des jours. Le début, par son opacité, veut imiter celui des fictions de Kafka ; la fin cherche à s'élever, sans doute en vain, jusqu'aux extases de Chesterton ou de John Bunyan. Je n'ai jamais mérité semblable révélation, mais j'ai tenté de la rêver. En cours de route j'ai introduit, selon mon habitude, des traits autobiographiques.

 

Le destin qui, dit-on, est impénétrable, ne me laissa pas en paix que je n'aie perpétré un conte posthume de Lovecraft, écrivain que j'ai toujours considéré comme un pasticheur involontaire d'Edgar Alan Poe. J'ai fini par céder ; mon lamentable fruit s'intitule There are more things.

 

La Secte des Trente consigne, sans le moindre document à l'appui, l'histoire d'une hérésie possible.

 

La nuit des dons est peut-être le récit le plus innocent, le plus violent et le plus exalté qu'offre cet ouvrage.

 

La bibliothèque de Babel (1941) imaginait un nombre infini de livres ; Undr et Le miroir et le masque, des littératures séculaires qui ne comportent qu'un seul mot.

 

Utopie d'un homme qui est fatigué est, à mon sens, la pièce la plus honnête et la plus mélancolique de la série.

 

J'ai toujours été surpris par l'éthique obessionnelle des Américains du Nord ; Le stratagème cherche à illustrer ce trait de caractère.

 

Malgré John Felton, Charlotte Corday, l'opinion  bien connue de Rivera Indarte ("C'est une oeuvre pie que de tuer Rosas") et l'hymne national uruguayen ("Pour les tyrans, le poignard de Brutus"), je n'approuve pas l'assassinat politique.

 

Qui qu'il en soit, les lecteurs du Crime solitaire d'Arredondo voudraient savoir ce qu'il advint de lui. Luis Melian Lafinur demanda sa grâce, mais les juges Carlos Fein et Cristobal Salvanac le condamnèrent à un mois de réclusion cellulaire et à cinq ans de prison. Une des rues de Montevideo porte aujourd'hui son nom.

 

Deux objets différents et inconcevables forment la matière des derniers contes. Le disque, c'est le cercle euclidien, qui ne comporte qu'une seule face ; Le Livre de sable, un volume au nombre incalculable de pages.

 

J'espère que ces notes hâtives que je viens de dicter n'épuiseront pas l'intérêt de ce livre et que les rêves qu'il contient continueront à se propager dans l'hospitalière imagination de ceux qui, en cet instant, le referment (J.L. B., Buenos Aires, 3 février 1975)

 


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"C'est dans Le Livre de sable, dont les textes furent écrits entre 1970 et 1975 et publiés en 1975 que J.L. Borges a réuni ses derniers contes fantastiques. Ils constituent la forme achevée d'un genre dont ils représentant l'aboutissement serein, l'archétype (...) A l'heure de ses ultimes bilans, J.L. Borges présente Le Livre de sable, son ouvrage préféré, comme un exutoire qui délivre : "Je l'ai écrit quand j'étais prisonnier d'une bibliothèque de Buenos Aires (...) " C'est un livre, un seul volume où il y a tout." (...) On notera, parmi d'autres, dans Le Livre de sable, la présence du thème du double, à l'ouverture du recueil, dans le récit intitulé "L'Autre" (...) On notera aussi, dans le récit labyrinthique intitulé "Le Congrès" le thème de la société secrète (...) mais aussi des variations sur l'infini, sur le livre ou l'écriture, sur les mythologies nordiques ou plus modestement créoles d'Argentine, dans des récits tous uniformément bondés de précisions autobiographiques...

 

"Je n'écris point pour une minorité choisie qui ne m'importe guère, écrit Borges dans l'Epilogue, ni pour cette entité platonique adulée que l'on nomme la Masse. Je ne crois point à ces deux abstractions chères au démagogue. J'écris pour moi, pour mes amis et pour atténuer le cours du temps."

 

Dans ces "exercices d'aveugle, à l'exemple de Wells", on pourra détecter bien sûr les traces de lectures passionnées, pratiquées avec une belle fidèlité : Swift, Edgar Allan Poe, mais aussi Marcel Schwob et bien évidemment l'auteur d'Yzur, de La Force Oméga, de la Kabbale pratique ou du Miroir noir, Leopoldo Lugones (...)

 

Le Livre de sable se présente donc comme la souveraine synthèse de l'univers fantastique de J.L. Borges. Il constitue l'aboutissement d'une recherche, d'une esthétique, d'une problématique conduisant à la découverte jubilatoire d'un style serein, presque oral, associé, dans une registration inhabituelle, à une situation fantastique.

 

Ouvrage capital de Borges, livre infini, dérangeant à l'image de cette poignée de sable dispersée par une main à vocation de sablier, qui allait définitivement transformer le désert. Livre-titre, hélas non réductible à ce vocable essentiel qui est, en réalité, l'attribut et le nom du créateur, amorce aléphale (référence à l'aleph, première lettre de l'alphabet hébraïque) du livre total non écrit, non réalisé, mais toujours désiré, rêvé jusqu'à l'ultime confidence :

 

"Nous passons notre vie à attendre notre livre et il ne vient pas." (Entretiens avec J.P. Bernès, Genève, 4 juin 1986)

 


 

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Jorge Luis Borges, selon l'état civil Jorge Francisco Isidoro Luis Borges Acevedo, né à Buenos Aires le 24 août 1899 et mort à Genève le 14 juin 1986, est un écrivain argentin de prose et de poésie. Ses travaux dans les champs de l'essai et de la nouvelle sont considérés comme des classiques de la littérature du XXème siècle.

 

Ses premiers écrits sont des poèmes dédiés à sa ville natale : Ferveur de Buenos-Aires (1923). Deux œuvres lui ont valu une renommée mondiale : Fictions en 1941 et l’Aleph en 1949. Ce sont des récits insolites où le fantastique et le rêve s’introduisent dans la réalité sans qu’on puisse les distinguer. Le monde réel, le monde de l’imagination sont connectés ; le temps n’est plus celui que nous connaissons. L’autre, le double, l’ombre sont parmi les thèmes favoris de Borges.



 

 

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