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Les Danaïdes par John William Waterhouse (1903)

 

 

Aux élèves : voici une introduction possible à ce sujet de dissertation philosophique. Elle peut sembler (trop ?) longue, mais il est essentiel de définir le plus précisément possible les termes du sujet ("désir", "besoin", "toujours") et de mettre en évidence l'enjeu de la réflexion, faute de quoi le devoir risque de s'enliser dans les sables.

 

 

Le désir est à distinguer du besoin, qui renvoie au manque et à ce qui est utile pour le combler. Le besoin au sens strict relève du corps, le désir, de l'âme ; on peut définir le besoin comme un manque objectif, d'ordre physiologique : nous avons besoin de nourriture lorsque notre corps n'a plus les nutriments qui lui sont nécessaires pour se conserver.

 

Le désir, quant à lui, serait le sentiment ou la conscience que notre esprit a de ce besoin corporel.


Par suite, le désir aura un contenu différent du simple besoin : le besoin a pour objet la nourriture en général, tandis que le désir portera sur tel aliment précis, en fonction de mes goûts, des souvenirs de plaisirs gustatifs passés, etc.


Le besoin est lié au manque, le désir est un élan pour combler ce manque. Tandis que le besoin est neutre ou indifférencié, le désir, parce qu'il relève de la pensée ("le désir se parle" dit Roland Barthes), a au contraire un objet déterminé et différencié. Jacques Lacan, critiquant une mystique désincarnée du désir, a montré à propos de sainte Thérèse d'Avila que nous ne désirons pas "l'infini", mais l'absolu et nous cherchons l'absolu dans des "objets"  (et les affects qui leur correspondent) finis et précis.


Selon Platon (Le Banquet),  Le Désir est une mobilisation vers l'Absolu, le monde intelligible. Et pourtant, son statut demeure ambigu : cette dynamique ambitieuse est freinée sans cesse, notre désir s'accrochant toujours sur des objets sensibles, imparfaits, impropres à le satisfaire. C'est une dynamique arrêtée. D'où notre intérêt peut-être, en vue de purifier cette dynamique, de réfléchir aux rapports que nous entretenons avec notre désir.


Le désir est la recherche d’un objet que l’on imagine ou que l’on sait être source de satisfaction. Il est donc accompagné d’une souffrance, d’un sentiment de manque ou de privation. Et pourtant, le désir semble refuser sa satisfaction puisque, à peine assouvi, il s’empresse de renaître (Socrate, dans le Gorgias, compare ce phénomène au Tonneau des Danaïdes, ces jeunes filles condamnées à remplir un tonneau percé). Le désir entretient avec l’objet une relation ambivalente : il veut et ne veut pas être satisfait. Se déplaçant d’objet en objet, le désir est à la fois illimité et condamné à l’insatisfaction radicale. C’est la raison pour laquelle la tradition classique a tendance à le rejeter ou à la placer sous le contrôle étroit de la volonté.


L’esclavage est l’état de ceux qui sont soumis à une autorité tyrannique… synonymes : asservissement, assujettissement, dépendance, domination, joug, oppression, servitude. (Le Petit Robert)


En quoi le désir nous soumet-il à une autorité tyrannique, en quoi constitue-t-il un esclavage ? Le désir n’a-t-il pas cependant aussi une valeur positive ?

 

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José Aparicio, Socrate enseignant à un jeune homme

 

Désir : contr. de aversion, passage de la tendance spontanée ou besoin à la tendance consciente orientée vers un but conçu ou imaginé ; ex. le besoin et le désir de manger, distinct de volonté : "Le désir est un attrait que l'on subit, la volonté un pouvoir que l'on exerce." (Goblot)

 

(Louis-Marie Morfaux, Vocabulaire de la philosophie et des sciences humaines)

 

Désir (allemand Begehren, Begehrung ; Anglais  : desire ; italien : desiderio, : tendance spontanée et consciente vers une fin connue ou imaginée. Le désir repose donc sur la tendance dont il est un cas particulier et plus complexe. Il s'oppose d'autre part à la volonté (ou volition) en ce que celle-ci suppose de plus :

 

1°) La coordination plus ou moins momentanée des tendances.

2°) L'opposition du sujet et de l'objet

3°) La conscience de sa propre efficacité

4°) La pensée des moyens par lesquels se réalisera la fin voulue.

 

Enfin, selon certains philosophes, il y encore dans la volonté un fiat d'une nature spéciale, irréductible aux tendances, et qui constitue la liberté.


(André Lalande, Vocabulaire technique et critique de la philosophie, PUF, 1972)

 

Désir et besoin : le désir est un effort de réduction d'une tension issue d'un sentiment de manque et en ce sens, on ne désire que ce dont on manque. Quand on a trouvé des objets ou des buts considérés comme une source de satisfaction, on va tendre vers eux. Le désir est tantôt considéré positivement puisque l'on considère l'objet désiré comme source de plaisir ou de contentement, voire de bonheur et tantôt considéré négativement comme une source de souffrance, une forme d'insatisfaction.

 

D'un point de vue psychologique, le désir est une tendance devenue consciente d'elle-même, qui s'accompagne de la représentation du but à atteindre et souvent d'une volonté de mettre en œuvre des moyens d'atteindre ce but.

 

Besoin Désir ou envie
Naturel et nécessaire Non naturel, éphémère
Objectif Subjectif
Presque identique d'une société à l'autre Fortement lié au contexte, société, culture, époque
Les besoins ne sont pas infinis Les désirs qui peuvent s'appliquer à tout sont infinis
Il fait souffrir jusqu'à ce qu'il soit satisfait. Sa non-satisfaction peut entraîner la mort. A peine satisfait, il réapparaît.
Dominante physiologique Dominante psychologique

 

 

 

Les critiques du désir :

 

Socrate face à Calliclès dans le Gorgias développe une critique du désir :

 

Si, loin de conduire au bonheur, le désir est, pour Socrate, une impasse, c’est que tout désir est insatiable et engendre l’insatisfaction. L’ivresse de la jouissance, que toujours appelle le désir, toujours échappe, et sans cesse le désir renaît de lui-même. L’exaltation de l’attente n’a d’égale que la déception de la satisfaction. Quête absurde d’un absolu qui toujours se dérobe, le désir ne peut que sans cesse se renouveler dans une sorte de répétition du même.


Comment ne pas évoquer ici cet autre héros mythique du désir qu’est Don Juan, pour qui la femme conquise perd tout intérêt ? Réduite à ce qu’elle est, objet possédé, démystifié, démythifié, elle disparaît comme objet du désir. La fuite en avant, la course à la quantité (mil e tre !) dissimule mal l’impossible qualité, la perpétuelle inadéquation du désir et de son objet. Si Calliclès est un héros de la démesure, c’est bien en ce sens qu’il faut l’entendre.

 

Tonneau percé « de bons gros trous », qui se vide aussi vite qu’il se remplit (493 d-e), « pluvier qui mange et qui fiente en même temps » (494 b) ou plus absurde encore « malheureux qui devrait à l’aide d’une écumoire apporter de l’eau dans une passoire percée » (493 b), toutes les métaphores évoquées par Socrate vont dans le même sens. Jamais cette course sans fin ne conduira au bonheur, et c’est l’analyse même des rapports entre plaisir et désir qui l’atteste : le plaisir naît de la satisfaction du désir, mais en comblant le désir le plaisir l’annule, le fait disparaître. Si bien que le point culminant du plaisir est aussi celui où il devient impossible : j’ai du plaisir à boire parce que j’ai soif, mais plus je bois et moins j’ai soif, et si je continue à boire je finis par ne plus éprouver que du dégoût. Le plaisir travaille à sa propre négation : « C’est au même moment que chacun de nous cesse à la fois d’avoir soif et de prendre plaisir à boire » (497 c), c’est-à-dire que plus j’ai soif plus j’ai de plaisir à boire, mais plus je bois moins j’ai soif donc plus je bois moins j’ai de plaisir. Plus je satisfait mon désir, moins j’ai de plaisir.

 

Si la valeur de l’homme est, comme le prétendait Calliclès, dans sa capacité à jouir, force est de reconnaître que cette force est construite sur le vide, le déséquilibre et la contradiction.

 

(Jacqueline Mome, professeur de philosophie au lycée Emile Zola à Rennes)

 

 

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Epicure, dans la Lettre à Ménécée distingue entre les désirs naturels et nécessaires (boire de l'eau quand on a soif), les désirs naturels et non nécessaires (boire du vin) et les désirs non naturels et non nécessaires (la gloire, la richesse)

 

Quel est le but de la vie ? C'est, affirme Epicure, le plaisir qui permet d'atteindre le bonheur. Toutefois, ce plaisir, obtenu par la modération des désirs par la raison, ne doit pas être confondu avec le plaisir vulgaire, débridé et uniquement sensuel que recherchent les "débauchés". Epicure défend sa conception du bonheur, en opposant sa définition du plaisir à celle très communément répandue, proche de celle des Cyrénaïques.

 

L'homme fuit la douleur et recherche le plaisir, mais tous les plaisirs ne sont pas désirables. Epicure distingue entre différentes sortes de désirs : les désirs naturels et les désirs vains. Parmi les désirs naturels, certains sont nécessaires pour la vie (la nourriture, le sommeil), pour la tranquillité du corps (aponie) et pour le bonheur (ataraxie), d'autres sont simplement naturels sans êtres nécessaires (boire du vin par exemple) et peuvent être cultivés, mais  avec modération. Parmi les désirs vains, Epicure distingue entre les désirs artificiels réalisables (par exemple, la richesse, la gloire) et les désirs irréalisables (être immortel). Il faut renoncer aux désirs vains, source d'inquiétude et d'insatisfaction.

 

 Cette classification n'est pas séparable d'un art de vivre, où les désirs sont l'objet d'un calcul en vue d'atteindre le bonheur. Plaisir et douleur, dans cette conception, sont des accidents, ils n'existent pas au niveau des atomes, mais seulement au niveau de la conscience. À partir de là, il est naturel de juger bon le plaisir et mauvaise la douleur, puisque tous les êtres cherchent le plaisir. Ce sont nos sentiments qui nous indiquent que le plaisir est désirable. C'est une conscience naturelle, et notre constitution fait que nous cherchons le bonheur nécessairement.


Mais, pour le calcul des plaisirs, tout plaisir n'est pas digne d'être choisi : le plus grand des plaisirs est la suppression de toute douleur. En conséquence, on doit éviter certains plaisirs, et même accepter certaines douleurs.


Épicure fait également la distinction entre les plaisirs mobiles et les plaisirs statiques. Le plaisir statique est un état corporel et psychologique où nous sommes libérés de toute douleur, le bonheur est à son comble. Le plaisir mobile, en revanche, ne dure que le temps de son activité. Une vie qui suit ces plaisirs, comme celle que préconise les cyrénaïques, consiste à remplir une jarre percée. Les plaisirs mobiles sont donc en réalité subordonnés aux plaisirs statiques.

 

La vertu philosophique par excellence est la prudence (phronésis). La prudence, le plus grand des biens,  est la capacité de mettre la raison (logos) au service de la vie bonne en régulant les désirs et en choisissant les plaisirs modérés,  naturels et nécessaires afin d'atteindre le bonheur qui réside dans l'absence de troubles, l'ataraxie, assurant ainsi la conciliation du bonheur et de la vertu.

 

 

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Chez Spinoza, le désir est la puissance même d'exister (de "persévérer dans son être") et l'affirmation positive de soi.


Le conatus est l'effort par lequel « chaque chose, autant qu'il est en elle, s'efforce de persévérer dans son être » (Éthique III, Prop 6). Cet effort « n'est rien en dehors de l'essence actuelle de cette chose » (Éthique III, Prop. 7).


Le conatus est l'expression de la puissance d'une chose, ou d'un individu, en tant que celui-ci est conçu comme étant un mode fini, c'est-à-dire une partie de la Nature naturée. Il est, par là même, nécessairement confronté à une infinité de causes extérieures qui vont tantôt empêcher son effort, tantôt le permettre (Éthique IV, Prop. 4). Chez l'homme, le conatus n'est pas autre chose que le désir qui le fait tendre naturellement vers ce qui lui parait bon pour lui. Spinoza renverse une conception commune du désir selon laquelle l'homme appète une chose parce qu'il la juge bonne : « ce qui fonde l'effort, le vouloir, l'appétit, le désir, ce n'est pas qu'on ait jugé qu'une chose est bonne ; mais, au contraire, on juge qu'une chose est bonne par cela même qu'on y tend par l'effort, le vouloir, l'appétit, le désir. » (Éthique III, Prop 9, scolie).

 

Le conatus joue un rôle fondamental dans la théorie des affects chez Spinoza. Le désir est l'un des trois affects primaires avec la joie et la tristesse. Lorsque l'effort, ou appétit, sera un succès, l'individu passera à une plus grande puissance, ou perfection, et sera affecté d'un sentiment de joie ; au contraire, si son effort est empêché ou contrarié, il passera d'une plus grande à une moindre perfection et sera affecté d'un sentiment de tristesse. Toute la théorie spinoziste des affects est construite sur le principe d'un passage continuel d'une moindre perfection à une plus grande, et vice versa, selon le succès ou l'échec du conatus, déterminé lui-même par la rencontre avec les modes finis extérieurs et les affections du corps.

 


 

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Une vision positive du désir : le désir de philosopher :

 

"Lorsque le force de l'unification disparaît de la vie des hommes, que les oppositions ont perdu leur relation et leur interaction vivantes et acquis l'autonomie, alors naît le besoin de la philosophie." (Hegel, Différence des systèmes philosophiques de Fichte et de Schelling, 1801) : "Nous savons pourquoi il est besoin de philosopher : c'est que l'unité est perdue, et que nous vivons et pensons dans la scission (Entzweiung), comme dit Hegel ; nous savons aussi que cette perte est actuelle, présente, non pas perdue elle-même, et qu'il n'y a pas d'unité pour ainsi dire transtemporelle de cette perte.

 

Lyotard se demande ce que philosopher a à faire avec cette perte qui ne cesse pas de se perdre, unique, permanente, du sens, de l'unité...

 

"Le mot désir vient du mot latin de-siderare, lequel signifie d'abord de constater et regretter que les constellations, les sidera, ne fassent pas signe, que les dieux n'indiquent rien dans les astres. Le désir c'est la déception de l'augure. En tant qu'elle appartient au désir et qu'elle est peut-être ce qu'il y a en lui d'indigence, la philosophie commence quand les dieux se taisent."

 

"Pourquoi philosopher ? Parce qu'il y a du désir, parce qu'il y a de l'absence dans la présence, du mort dans le vif ; et aussi parce qu'il y a notre pouvoir qui ne l'est pas encore ; et aussi parce qu'il y a l'aliénation, la perte de ce qu'on croyait acqui et l'écart entre le fait et le faire, entre le dit et le dire ; et enfin parce que nous ne pouvons pas échapper à cela : attester la présence du manque par notre parole. En vérité, comment de pas philosopher ?"

 

(Jean-François Lyotard, Pourquoi philosopher ?, PUF, 2012)

 

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Chez Freud, le désir n'est pas commandé par l'objet, mais renvoie au champ des fantasmes inconscients et aux inverstissements antérieurs de la libido et traduit le combat inconscient entre le principe de plaisir et le principe de réalité, qui se représente de façon détournée dans la conscience comme conflit entre désir et volonté. Pour Freud, le désir (la libido) recherche moins l'objet qu'il croit désirer que le fantasme inconscient dont celui-ci est le support. Le fantasme, à son tour, provient du manque qu'engendre l'interdit. Autrement dit, c'est l'interdit qui constitue le désir et il n'y aurait pas désir sans l'interdit.

 

Gilles Deleuze, à la suite de Spinoza, souligne le caractère positif du désir. Le désir est producteur de réalité ; il est ingénieux et industrieux (à l'image de l'eros platonicien ?). Gilles Deleuze et Félix Guattari reprochent à la psychanalyse (L'anti Oedipe) de ne voir dans le désir qu'une simple machine à produire des fantasmes.

 

 

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Chez Hegel, le désir humain fondamental est d'être reconnu par un autre homme, une autre conscience, contrairement au désir animal qui réside dans l'instinct de conservation. L'homme est capable de nier sa nature organique, de risquer sa vie pour être reconnu par l'autre sans avoir à le reconnaître (Phénoménologie de l'Esprit, dialectique du maître et de l'esclave.

 

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Selon André Girard, le désir n'est pas spontané. Ce n'est pas l'objet qui est désirable, ni le sujet qui désire spontanément l'objet ; nous nous désignons mutuellement les objets comme désirables. Nous désirons donc l'objet du désir d'autrui. En d'autres termes, le désir est "médiatisé par autrui.

 

Girard définit le désir en termes "d'imitation" (mimesis). Cette caractéristique du désir humain (mais que l'on peut déjà observer dans le règne animal) est redoutable car il n'existe pas chez l'homme de régulation instinctive de la violence et de la sexualité.

 

Nous désirons l'objet du désir d'autrui et nous désirons nous approprier les objets que désire autrui parce qu'en les désirant, il nous les désigne comme désirables (mimesis d'appropriation). La mimesis d'appropriation risque de déboucher sur la violence : on se détourne alors de l'objet pour ne s'intéresser qu'au "médiateur" (mimesis de rivalité). Girard réevalue donc  la vieille question de "l'esclavage du désir". Le désir ne nous rend pas tant esclave des objets, que des autres.

 

 

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Y a-t-il un désir fondamental ?

 

Suspecté par les uns en raison de son "matérialisme", par les autres de son "spiritualisme" et par les freudiens orthodoxes de sa réinterprétation du complexe d'Oedipe, Paul Diel a essayé sa vie durant de relier le développement de la psyché individuelle (l'ontogénèse) au développement de l'espèce (la phylogénèse) dans une perspective résolument évolutionniste : l'humanité n'est pas un était acquis, mais une aventure inachevée.

 

L’origine du désir remonte à la faculté de nos ancêtres, les organismes primitifs, à réagir au milieu pour satisfaire leurs besoins. Le premier des besoins est de se conserver soi-même. Diel l’appelle « pulsion matérielle ». Le second est celui de conserver l’espèce : la « pulsion sexuelle ». Le troisième, la « pulsion évolutive », conduit les espèces à se transformer sous la pression du milieu, donnant naissance à de nouvelles formes, psychiques et physiques.

 

Au fil du temps, ces trois pulsions primitives s’élargissent. Chez l’homme, la pulsion matérielle devient sociale, la pulsion sexuelle se fait affective et la pulsion évolutive se transforme en pulsion spirituelle. Cette dernière devient même prédominante et prend la forme de ce que Diel appelle le « désir essentiel », en opposition aux désirs multiples, plus matériels, dictés par les pulsions sociales et affectives.


Paul Diel explique donc que l’acte réflexe des êtres primitifs s’est ralenti au fil de l’évolution. Il s’est créé un décalage temporel entre l’excitation et la réaction. L’information a été retenue et son énergie gardée en mémoire sous la forme de ressenti émotionnel auquel sont venus s’ajouter, chez les êtres dont les organes perceptifs sont développés, des images mentales et des concepts. Par ce processus, le réel s’est transformé progressivement en un monde intérieur possédant sa vie propre. C’est ainsi que se sont formés, pour Paul Diel, la psyché humaine et son plus beau fleuron, l’imagination, faculté de se représenter mentalement le monde extérieur afin de pouvoir y réagir.


Selon lui, pour que nous trouvions l’accomplissement, nos désirs multiples doivent être harmonisés par notre désir essentiel. Sinon, une part de nous ne sera jamais satisfaite. Ainsi, la réussite purement professionnelle sera trop chèrement payée si l’on a gâché sa vie affective à la gagner ; les prouesses purement sexuelles finiront par générer le dégoût de soi ; l’amour exclusif de l’esprit théorique conduira à l’échec, par dessèchement.

 

Mais ce nécessaire travail d’harmonisation autour du désir essentiel nous coûte et nous inventons de fausses raisons de nous y soustraire. Ainsi naissent les défauts, qui sont des déformations de nos qualités. Ainsi, derrière la vanité, qui est une sur-valorisation de soi, se cache l’estime de soi ; derrière la culpabilité, qui est une sous-valorisation de soi, se trouve l’humilité ; derrière la sentimentalité, sur-valorisation des autres, veut s’exprimer la possibilité de les aimer ; derrière l’accusation, sous-valorisation des autres, se camouflent la tolérance et la compassion...

 

La première condition de l’accomplissement est de connaître notre désir essentiel. Comment faire ? L’originalité de Paul Diel fut de rétablir l’introspection , qu’il appelle « délibération », comme moyen d’accès à la connaissance de soi. Pour éviter les illusions, il propose de placer l’imagination sous le contrôle de deux gardiens : l’esprit intuitif et l’intellect pratique. Le premier, descendant de l’instinct animal, « flaire » ce qui convient à la satisfaction de notre désir ; l’intellect, lui, prend en compte la réalité. S’il y a trop de décalage entre désir et réalité, ou si le prix à payer pour changer le réel est trop fort, le désir doit être dissout par un travail d’acceptation, qui n’est pas résignation, car l’énergie ainsi libérée fait rebondir la vie vers de nouveaux projets. (d'après Martine Castello, Clés pour comprendre la pensée de Paul Diel)

 

Les trois pulsions fondamentales ont été explorées par la psychologie des profondeurs : la sociabilité par Adler, la sexualité par Freud et les représentations spirituelles par Jung.

 

Mais Diel va plus loin. Il cherche à les harmoniser. Toute l’angoisse et le mal-être des humains se trouvent selon lui dans le manque d’harmonisation entre les désirs multiples (matériels et sexuels) et le désir essentiel, forme élargie prise par la poussée évolutive lorsqu’elle atteint le stade humain.

 

Cette pulsion venue du surconscient nous souffle l’envie de spiritualiser la matière, de l’orienter vers des valeurs guides telles que le Bon, le Juste, le Beau. Intuitivement, les hommes pressentent la satisfaction et la joie que cette démarche pourrait leur apporter. Et si Dieu est avant tout un symbole mythique, il n’en reste pas moins que mythes et religions représentent l’expression imagée de cette intuition.

 

Mais sortir de l’animalité n’est pas facile. L’esprit humain, encore semi-conscient, tiraillé entre les pulsions matérielles du subconscient et les pulsions spirituelles du surconscient, croit qu’il doit choisir entre le ciel et le terre au lieu de chercher à harmoniser ces deux pôles. Il passe d’un excès à l’autre, il s’invente de fausses motivations à l’origine de tous ses défauts et de toutes ses névroses. Il devrait plutôt  développer un “ égoïsme conséquent ” qui, “ sous sa forme saine ”, ne peut trouver l’ultime satisfaction que par “ l’union réjouissante avec la vie entière ” (et avec autrui).

 


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