Accréditant l'idée que l'autorité des professeurs serait liée à l'application de recettes, à des "postures" à prendre ou à éviter, Sébastien Clerc, professeur de Français et d'Histoire en banlieue parisienne, se pose en "sauveur de l'Ecole".
Les titres de ses ouvrages évoquent les derniers SOS du "Titanic" : "Classes difficiles, des outils pour prévenir et gérer les perturbations,
"Manuel de survie à l'usage de l'enseignant", "Au secours, sauvons notre école".
Outre le rôle de marronnier de la Rentrée scolaire, Sébastien Clerc joue celui "d'idiot utile" (rôle hautement politique) pour occulter le problème de fond : celui
de l'autorité et de sa légitimité qui était liée traditionnellement à la certitude que le professeur est détenteur d'un "savoir" que l'élève, par définition ne possède pas (encore) et qu'il
existe un large consensus dans la société et au niveau de l'Etat pour que cette transmission se fasse dans les meilleures conditions possibles.
Plus cette légitimité se délite et plus des champignons comme Sébastien Clerc se mettent à pousser après la pluie (radioactive en l'occurrence) pour expliquer
"comment s'y prendre".
On se focalise sur les enseignants qui tendent à devenir les "boucs émissaires" des dysfonctionnements, faute de regarder la réalité en face : les incivilités répétées, les insultes, les actes d'agression physique, le double langage des politiques, la lâcheté et l'ignorance volontaire des autorités de tutelle, le laxisme de trop nombreux chefs d'établissement et le comportement de certains parents.
"Travailler son expression scénique - objectif : capter l'attention des élèves dans un environnement où l'élève est devenu un spectateur exigeant, consommateur de prestations d'enseignement. Moyens :
- Utilisation de la vidéo pour corriger ses défauts et améliorer ses performances scéniques.
- Rayer de son comportement tout ce qui pourrait détourner l'attention de ses élèves."
(Je n'invente rien, c'est extrait de son dernier livre "Face à la classe")
On ne parle ni du savoir qui fonde la légitimité de l'acte éducatif, ni des devoirs et obligations des élèves, on réduit l'enseignement à un face à face d'un comédien face à un public, à un show télévisé, en occultant la dimension systémique et en omettant l'instance de la Loi et l'obligation de protection de l'Institution vis-à-vis de ses agents.
On ne s'étonnera donc pas que Sébastien Clerc jouisse d'une certaine écoute de la part des médias qui reflètent et font l'opinion et de certains responsables politiques (on l'a vu à un certain moment aux côtés de Xavier Darcos). Sébastien Clerc, c'est "pain béni" pour ceux qui minimisent le rôle et la responsabilité de l'Institution et qui réduisent la formation initiale des enseignants à une peau de chagrin.
"Y'aka acheter son bouquin, y'aka faire comme Sébastien Clerc et tout ira bien !" : ça ne coûte rien (sauf à l'acheteur), ça s'appelle de l'autoformation ; on appelait ça, jadis, plus prosaïquement "la méthode Coué" et ce sera évidemment de la faute de l'enseignant "s'il ne s'en sort pas": il a fait preuve de mauvaise volonté ou il n'était pas fait pour ce métier.
Il n'est pas question de nier l'importance du charisme personnel et de l'autorité et le fait qu'il y des choses à faire et à éviter ; c'est une question de bon sens. Déjà, dans les années 30, un instituteur en exercice, Olivier Leroy avait écrit un opuscule initulé "Comment tenir sa classe ?", rappelant les règles fondamentales et l'expérience de la sagesse accumulée par des générations de professeurs.
Mais la situation aujourd'hui n'a rien à voir avec celle des années 30. Sébastien Clerc répète Olivier Leroy comme si les conditions d'exercice du métier, l'environnement social et le statut moral et social des enseignants était le même.
Dans les années 30, un enseignant pouvait généralement compter sur sa hiérarchie et son statut n'était pas remis en question.
Tout se passe comme si Sébastien Clerc niait l'expérience quotidienne de milliers d'enseignants pourtant chevronnés : impossibilité de mettre un élève, même gravement perturbateur à la porte ou même de donner une simple sanction, laxisme des chefs d'établissement, complaisance envers les perturbateurs et les caïds, manque de solidarité entre les adultes, notamment entre les parents et les enseignants, entre les enseignants et l'administration, le tout encouragé et accompagné par le mythe gravé dans le marbre de la loi d'orientation de juillet 1989 de "l'élève au centre du système éducatif", de trente ans de pédagogisme mortifère durant lesquels on a propagé les mathématiques modernes, la méthode globale d'apprentissage de la lecture en lieu et place de la méthode traditionnelle d'association graphème/phonème, supprimé l'enseignement de la grammaire et promu l'idée qu'il fallait laisser les élèves "construire leur propre savoir"... générant ainsi des milliers d'enfants illettrés qui arrivent en 6ème sans savoir lire et écrire correctement (17% d'illettrés et 40% en grande difficulté).
A ce bazar pédagogique s'est ajoutée la prétendue "démocratisation" de l'enseignement, initié en 1975 par René Haby, sous la présidence de Valéry Giscard d'Estaing et l'instauration du "collège unique" dont on s'est ingénié à droite comme à gauche (mais surtout à gauche à partir des années 80) à supprimer tous les gardes-fous : orientations après la 5ème, CPPN (classes pré-professionnelles de niveau), 4ème et 3ème technologiques, dédoublements systématiques de certaines classes...
Tout l'édifice reste à reconstruire, à commencer par les Programmes du primaire. Certains s'y emploient dont les médias ne parlent jamais parce qu'ils sont là pour amuser le public et non pour parler de choses sérieuses. http://www.slecc.fr/
La mise en place de Programmes dignes de ce nom dès l'école primaire est une condition nécessaire, mais non suffisante : l'attitude de l'enseignant dans la relation pédagogique ne saurait se règler sur des maximes, des recettes ou s'aligner aveuglément sur des positions théoriques ou pratiques qui pourraient limiter par l'imposition d'une dogmatique le droit de l'élève à un usage autonome de ses facultés critiques.
En cela réside la contradiction majeure de la pratique enseignante : comment concilier le respect de l'autonomie de l'élève avec les exigences d'une pratique formatrice authentique qui ne transige pas avec les savoirs ?
Par delà la querelle des "Anciens" (les partisans d'un retour impossible à l'enseignement "traditionnel" ou à l'idée que l'on s'en fait) et des "Modernes" (les tenants de "l'élève au centre du système qui construit son propre savoir"), il serait peut être bon de revenir à la Philosophie des Lumières et à ses héritiers (en particulier Ferdinand Buisson, le maître d'oeuvre du Dictionnaire de pédagogie et d'instruction primaire, édité en 1882, augmenté et réédité en 1911) : "Tout enseignement doit tendre à former l'entendement avant de former la Raison ; il doit se refuser à inculquer à l'élève une science toute faite, mais le faire mûrir en lui permettant d'exercer des jugements d'expérience. Cette attitude implique que l'enseignant sache se mettre à la place de l'élève et le guide au lieu de le porter, sa finalité n'étant rien moins que l'autonomie." (Emmanuel Kant, "Programmes des leçons durant le semestre d'hiver")
Sébastien Clerc est un symptôme, un épiphénomène. Il ne s'agit pas de repeindre les volets, mais de reconstruire la maison ; on n'empêchera pas le paquebot de couler en y collant des rustines.
En paraphrasant Karl Marx, on pourrait dire que la réduction de l'enseignement à des "recettes pour tenir sa classe" est l'expression post-meirieusienne de la misère de la pédagogie et de la pédagogie de la misère.