Danaïdes, par John William Waterhouse
Copie d'élève : Maureen V. (Terminale S).
Observations : Bon devoir dans l'ensemble. Vous avez "vu" le problème, mais la conception du plan laisse à désirer. La troisième partie (la maîtrise ou l'harmonisation des désirs) est insuffisamment développée et il manque une conclusion en bonne et due forme.
Note : entre 14 et 16/20
Le mot maître vient du latin magister. Un maître est une personne exerçant une domination, un pouvoir sur quelqu'un. Mais on peut aussi avoir de l'empire sur soi-même, se dominer, se maîtriser. Le maître est aussi celui qui sait, qui a compétence pour enseigner ou pour diriger.
Le désir est la recherche d'un objet que l'on imagine ou que l'on sait être source de satisfaction. Il est donc accompagné de souffrance, d'un sentiment de manque ou de privation. Et pourtant, le désir semble refuser la satisfaction puisque, à peine comblé, il s'empresse de renaître. Socrate, dans Le Gorgias,, compare le phénomène du désir au tonneau des Danaïdes, ces jeunes filles condamnées par les dieux à remplir éternellement aux Enfers un tonneau percé.
Le désir entretient une relation ambivalente avec l'objet. Il veut et ne veut pas être satisfait. Le désir se déplace d'objet en objet. Il est à la fois illimité et condamné à une insatisfaction perpétuelle. C'est la raison pour laquelle la tradition classique a tendance à le rejeter ou à le placer sous le contrôle de la volonté et de la raison.
Il faut distinguer le désir du besoin. Le besoin renvoie au manque et à ce qui est utile pour le combler. Le besoin relève du corps, le désir de l'âme. On peut définir le besoin comme un manque objectif, d'ordre physiologique. Nous éprouvons une sensation de faim, nous avons besoin de nourriture lorsque notre corps n'a plus les nutriments nécessaires pour se conserver. Le désir, quant à lui, serait le sentiment ou la conscience que notre esprit a de ce besoin corporel. Le désir a un contenu différent du simple besoin. Il portera sur un aliment précis, en fonction de mes goûts, des souvenirs de plaisirs gustatifs passés...
Par quels moyens puis-je me rendre maître du désir ? Ne suis-je pas, au contraire, l'esclave du désir ?
Nous nous poserons les questions suivantes : Que désire-ton ? Comment désire-t-on ? Qu'est-ce qui désire en moi ? Puis nous montrerons ce qui s'oppose à la maîtrise du désir et dans quelle mesure nous pouvons nous rendre maître du désir.
Nous désirons tout et n'importe quoi et en quantité illimitée. C'est pourquoi on peut manipuler le désir. Les spécialistes du marketing sont en fait des spécialites du désir. On nous incite à boire telle marque de soda (et non tel soda), puis une nouvelle marque sort et l'on oublie la première pour ne consommer que la seconde et ainsi de suite, indéfiniment. Don Juan accumule les conquêtes amoureuses sans être jamais satisfait. Il faut donc distinguer le désir du besoin auquel on peut assigner une limite objective.
Comment désire-t-on ? A la différence du besoin, le désir est lié à la pensée, au langage. Jean-Jacques Rousseau insiste sur le rôle de l'imagination qui "attise les désirs par l'espoir de les satisfaire". La sexualité qui est un besoin, un instinct que nous partageons avec les animaux entre dans la catégorie du désir à travers l'imagination, la suggestion, l'érotisme.
Pour Descartes, philosophe dualiste, le désir est ancré dans le corps, la volonté dans l'esprit. Elle vise un bien réfléchi, tandis que le désir est un "appétit" corporel qui se tourne de façon non réfléchie vers un objet ou un état.
Le désir est le passage spontané de la tendance ou besoin à la tendance consciente, dirigée vers un but conçu ou imaginé. "Le désir est un attrait que l'on subit, la volonté un pouvoir que l'on exerce", précise Goblot
La société, l'éducation, la pression de la loi, nous ont appris, voire même contraints à réfrener nos désirs au profit du respect des obligations morales. Nous avons appris qu'il y a des désirs répréhensibles et que nous devons y résister par un effort de volonté. Par ailleurs, "l'emprise du réel" ("le principe de réalité" dit Freud) nous apprend que la satisfaction du désir ne relève pas seulement de l'interdit, d'une impossibilité de droit, mais d'une impossibilité de fait. Pourtant, les hommes et les femmes de pouvoir veulent étendre au maximum la satisfaction de leurs désirs.
L'esclavage est l'état de ceux qui sont soumis à une autorité tyrannique : on ne décide pas de désirer et on ne renonce pas facilement à désirer (arrêter de fûmer, rester sobre au cours d'une soirée). Freud montre, à travers les notions de pulsion et de libido à quel point notre comportement est soumis à l'emprise de forces venues de l'inconscient. La volonté ne résout pas forcément le problème, elle peut même l'aggraver. La répression du désir peut entraîner des symptômes névrotiques et affecter notre équilibre psychique. On peut donc dire que, selon Freud, nous sommes soumis à la loi du désir.
Le désir cherche à réduire une tension issue d'un sentiment de manque. Le désir a des aspects positifs puisqu'il est considéré comme une source de plaisir, voire de bonheur, mais aussi des aspects négatifs à cause de l'insatisfaction, voire de la souffrance qu'il peut engendrer.
Je suis souvent l'esclave du désir, mais je peux aussi m'en rendre maître. Le désir, selon Spinoza, est "l'appétit avec conscience de lui-même." Le désir est donc un phénomène spécifiquement humain. En revanche, il ne se confond pas avec un type d'appétit particulier, il est le nom générique de tout ce qui pousse l'homme à agir et à penser. Tout être vivant, selon Spinoza, tend à "persévérer dans son être" et cette tendance est le désir lui-même. C'est la raison pour laquelle Spinoza refuse la coupure entre volonté et désir et développe une conception moins "moralisatrice" du désir qui devient la tendance à accroître sa puissance et son plaisir de vivre.
Le désir humain n'est pas spontané, il est tourné vers le désir de l'autre qui est un tout autre désir. Freud montre avec le complexe d'Oedipe que l'enfant cherche à s'accaparer le désir du parent du sexe opposé. Sartre souligne, de son côté, le caractère ambivalent du désir : "J'attends de l'être aimé qu'il m'aime de toute sa liberté de sujet pour ce que je suis. En même temps, je souhaite qu'il devienne captivé et fasciné par qui je suis. Je désire qu'il deviennent tout entier désir de moi." Si le désir est une source perpétuelle d'insatisfaction, c'est qu'il est lié au conflit des consciences et à la volonté de domination sur autrui.
La maîtrise du désir, pour Freud, n'est un acte de la volonté consciente. La "sublimation" du désir est le fait pour la libido de se porter vers des objets ayant une grande valeur culturelle, artistique ou sociale.
La maîtrise des désirs peut également être réfléchie. Quand Epicure oppose les désirs naturels et nécesaires aux désirs vains et superflus, il met en avant les désirs qui prennent appui sur la satisfaction limitée des besoins et dont le plaisir obtenu est de faire cesser le manque naturel ressenti par le corps. Etre maître du désir, pour Epicure, c'est donc calculer ses plaisirs, rendre compatibles la raison et le désir. Il ne s'agit pas forcément de mener une vie frugale et austère, mais d'adopter un comportement permettant d'assurer un niveau de plaisir suffisant sans être troublé par des désirs infinis. Pour maîtriser le désir, il faut donc choisir parmi les désirs particuliers.