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Je recommande aux amateurs de romans policiers et d'ambiances slaves "L'âme détournée" de R.N. Morris, paru récemment dans la collection "Grands détectives", aux éditions 10/18 et traduit de l'anglais par Bernard Cucchi (titre original : "The Gentle axe").

L'enquêteur n'est autre que Porphiri Pétrovitch, le juge d'instruction de "Crime et châtiment" de Fédor Dostoïevski. Le récit débute par la découverte sous la neige du parc Pétrovski, durant l'hiver 1866, d'un homme pendu à un arbre et d'un nain au crâne ouvert, dissimulé à l'intérieur d'une valise. Suicide inspiré par le remords ou mise en scène macabre ?

Une prostituée sublime, une innocente fillette, une "babouchka" au coeur d'or, un étudiant famélique et tourmenté, deux respectables éditeurs, un prince amoureux d'un acteur volatilisé...  sont au coeur d'un mystère apparemment insoluble auquel s'attaque, un an et demi après "l'affaire Raskolnikov", un enquêteur placide, obstiné et perspicace dont le supérieur hiérarchique est aussi  vaniteux que borné... Cet enquêteur  atypique (mais typiquement "slave") s'intéresse au mobile, à l'alibi, au "modus operandi", à l'arme du crime, autant qu'à l'âme des suspects.

Tout grand détective a sa silhouette et ses tics (et Porphiri Pétrovitch n'a rien à envier à Maigret, à Sherlock Holmes ou à Hercule Poirot) : Trapu et enveloppé, intelligent et humain, il a "les cils qui papillonnent".

Le décor est encore et toujours Saint-Petersbourg, la ville impériale,  bouillonnante d'idées nouvelles, dans toute sa splendeur et sa misère. Plus qu'un décor, un personnage à part entière (il est recommandé de s'habiller chaudement) :

"Le chemin du canal l'amena sur la perspective Nevski à hauteur de Notre-Dame de Kazan (je sais gré au traducteur, Bernard Cucchi d'avoir conservé cette expression "perspective Nevski" que les puristes considèrent comme fautive). La largeur et l'opulence de cette avenue l'intimidèrent. Il eut l'impression que le vent qui la balayait allait le détruire, délibérément. Seuls les nantis, vêtus de fourrure pouvaient s'aventurer ici.

Virginski décida de s'abriter sous la colonnade de la cathédrale. Il se serait volontiers dit athée, mais il avait toujours aimé cet endroit. La colonnade en demi-cercle lui rappelait vaguement deux bras ouverts et, devant la majesté de cette architecture, il n'avait pas peur. Elle lui semblait contenir quelque chose de favorable et de bienveillant. Il croyait qu'elle avait su filtrer l'humanité du tailleur de pierre paysan.

Le vent avait éparpillé entre les colonnes de petits amas de poudreuse qui se défaisaient ou s'amassaient, au gré des bourrasques. A force d'observer le palimpsestre des traces de pas sur les pavés, Virginski perdit le fil de ses pensées et devint incapable de compter ses pas..." (page 253)

Mais les innovations venues d'ailleurs et imposées "d'en haut" (comme la réforme du système judiciaire et l'utilisation de la médecine légale) n'empêchent pas les uns de continuer à vénérer les saintes icônes et les autres à pactiser avec le diable.

C'est  un saint moine, un "staretz", qui oriente Porphiri Pétrovitch (qui a fait ses études chez les moines comme d'autres chez les frères) sur le chemin de la vérité, une vérité qui gît au coeur d'un labyrinthe particulièrement tortueux ou plutôt d'un emboîtement de poupées... russes comme il se doit.

Mais c'est d'un livre de philosophie, ou plus exactement d'une traduction, dans laquelle l'une des victimes a semé des indices aussi essentiels que sybillins, que la vérité finira par jaillir, permettant à Porphiri Pétrovitch de confondre l'assassin, un assassin prêt à tout pour parvenir à ses fins et qui a tout perdu... sauf la raison.

De précieux indices sont généreusement offerts par l'auteur dans le titre anglais (un oxymore) et la citation de "Crime et Châtiment" qui figure au début du livre. Mais ces indices-là, à moins d'être particulièrement perspicace (ce qui n'a pas été mon cas) ne se comprennent que la dernière page tournée. Comme disait le commissaire Bourrel : "Bon Dieu ! Mais c'est bien sûr !"

Les connaisseurs de Dostoïevski, auprès duquel l'auteur éprouve bien inutilement le besoin de s'excuser, reconnaîtront les allusions à "Crime et Châtiment",  à "l'Adolescent", mais aussi aux "Frères Karamazov", dont on oublie parfois qu'il est construit autour d' une intrigue policière.

"Alexéi Fiodorovitch Karamazov ("Aliocha") était le troisième fils d'un propriétaire foncier de notre district, Fiodor Pavlovitch, dont la mort tragique, survenue il y a treize ans, fit beaucoup de bruit en son temps et n'est point encore oubliée..." (Dostoïevski, Les Frères Karamazov, Livre premier, Histoire d'une famille)

R.N. Morris, "l'âme détournée", Editions 10/18, collection "Grands détectives", dirigée par Jean-Claude Zylberstein,  traduit de l'anglais par Bernard Cucchi. Titre original : "The Gentle Axe".

Né à Manchester en 1960, R.N. Morris vit dans le nord de Londres, où il travaille comme  rédacteur indépendant. Après "L'âme détournée", publié par Faber en 2007, il signe la nouvelle aventure de Porphiri Pétrovitch, "A Vengeful Longing". Un auteur à suivre !



 

 






















 
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