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Les éditions DMM ont publié sous le titre "Saint Thomas du Créateur" une remarquable traduction en français du livre de G.K. Chesterton consacré à saint Thomas d’Aquin (G.K. Chesterton, St. Thomas Aquinas). Doté d’une belle couverture représentant le "docteur angélique" par Fra Bartolommeo, le livre s’ouvre sur une préface de Philippe Maxence, président de l’Association des Amis de Chesterton. link

"That secret sun, dark with excess of light, or not showing its light save in the enlightenment of others, might well be the exact emblem of that inner and ideal life of the saint, wich was not only hidden by his external words and actions, but even hidden by his merely outward and automatic silences and fits of reflection."

"You call him a Dumb Ox ; I tell you this Dumb Ox shall below so loud that his bellowing will fill the world." (Albert le Grand)

"This book makes no pretence to be anything but a popular sketch of a great historical character who ought to be more popular, explique modestement Chesterton dans une note préliminaire. Its aim will be achieved, if it leads those who have hardly heard of St. Thomas Aquinas to read about him in better books..."  (G.K. Chesterton, Saint Thomas Aquinas, Dover Publications, inc. Mineola, New-York, Introductory note, IX) ("... Ce livre atteindra son but s'il incite tous ceux qui ont à peine entendu parler de saint Thomas d'Aquin d'en lire de meilleurs sur le sujet.")

... Et, j'ose ajouter, de lire son oeuvre.

Gilbert Keith Chesterton présente l'un des penseurs les plus importants et les plus influents de la chrétienté, saint Thomas d'Aquin, surnommé "le boeuf muet de Sicile", "le docteur angélique" ou encore, comme le suggère Chesteron : "saint Thomas du créateur".

L'auteur relate la vie du saint en mettant l'accent sur l'homme et sur les événements qui l'ont formé. Dans un style concis, spirituel, souvent amusant et toujours éminemment lisible, il démontre au lecteur d'aujourd'hui la pertinence et l'intérêt toujours actuel de l'oeuvre de saint Thomas.

Ce portrait concis et vivant procure des aperçus fascinants sur la pensée médiévale et constitue la meilleure des initiations à l'oeuvre de saint Thomas d'Aquin.

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Chargé d’écrire un livre sur saint Thomas d’Aquin, raconte Dahl Ahlquist, Président de l'American Chesterton Society, Chesterton demanda à sa dévouée secrétaire, Dorothy Collins, de se procurer en librairie tous les ouvrages existants sur saint Thomas, ouvrit celui qui se trouvait au sommet de la pile, le feuilleta, le referma et commença à dicter un livre dont le célèbre spécialiste du thomisme, Etienne Gilson a dit ceci : "Je considère l’ouvrage de G.K. Chesterton, sans comparaison aucune, comme le meilleur livre qui ait jamais été écrit sur saint Thomas d’Aquin. Rien de moins que le génie ne peut prétendre à un tel achèvement.

Tout le monde admettra qu’il s’agit d’un livre intelligent, mais le petit nombre de lecteurs qui ont passé 20 ou 30 années de leur vie à étudier saint Thomas ne peut manquer de ressentir la honte que le prétendu « esprit superficiel » de Chesterton a jeté sur leur érudition. Il a deviné tout ce que nous avons essayé de démontrer, et il a dit tout ce que nous avons essayé d’exprimer plus ou moins maladroitement dans des formules académiques.

Chesterton fut l’un penseurs les plus profonds qui aient jamais existé ; il était profond parce qu' il avait raison ; et il ne pouvait pas s’empêcher d’avoir raison ; mais il ne pouvait non plus s’empêcher d’être modeste et charitable, aussi laissait-il ceux qui pouvaient le comprendre reconnaître qu’il avait raison et qu'il était profond. Auprès des autres, il s’excusait d’avoir raison et  compensait le fait d’être profond en étant spirituel. C’est tout ce qu’ils voient en lui."

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en 1224/1225 au château de Roccasecca près d'Aquino en Italie du Sud dans une famille aristocratique, au plus fort de la querelle entre les papes et les empereurs romains-germaniques, Thomas renonça à une vie de privilèges pour rejoindre, malgré l'opposition de son milieu,  un nouvel ordre de moines prêcheurs et enseignants, les Dominicains.

Chesterton compare saint Thomas à une autre figure célèbre du XIIIème siècle, saint François d'Assise. Il évoque les années de formation, à Cologne, sous la direction bienveillante d'Albert le Grand, le compagnonnage avec Bonaventure, la rencontre avec Louis IX et l'influence du milieu culturel, social et politique parisien. (Chapitre I : "On Two Friars" et Chapitre II : "The Runaway Abbot")

Chesterton  a l'art d'expliquer de façon claire (ce qui ne veut pas dire "simpliste") des choses compliquées et de les rendre intensément vivantes. C'est ainsi que le lecteur est amené à saisir les raisons du recours à Aristote "contre" le néo-platonisme d'inspiration augustinienne qui imprègne à cette époque la théologie catholique, l'enjeu de son combat contre le manichéisme, le sens de la controverse avec Siger de Brabant à propos de la doctrine de la "double vérité", l'insistance de Thomas sur la réalité et la bonté du monde sensible et sur la dimension créatrice de Dieu et bien entendu la signification et les enjeux majeurs du coeur de sa démarche : la conciliation de la foi avec la raison (Chapitre III, The Aristotelian Revolution")

La question centrale du manichéisme et du statut du corps et plus généralement de la nature dans le christianisme fait l'objet d'une étude à part entière (chapitre IV, "A Meditation on the Manichees"). Chesterton s'appuie sur Thomas d'Aquin pour répondre à deux célèbres "manichéens" modernes : Nietzsche et Schopenhauer.

Il est difficile cependant de partager la "jovialité féroce" avec laquelle Chesterton évoque la croisade des Albigeois - le nom de Simon de Montfort est mentionné, mais pas un mot sur le massacre de Béziers ("Tuez-les tous, Dieu reconnaîtra les siens !"), ni sur la brillante civilisation du midi, ni sur les motivations réelles de la monarchie française et des seigneurs du nord.

Même si saint Thomas (pas plus que saint Dominique, un siècle plus tard) n'est à l'origine de la création de l'Inquisition, il n'en reste pas moins vrai que c'est au nom de sa "doctrine" que s'allument les premiers bûchers.

Chesterton rappelle que Thomas d'Aquin "began almost as an agnostic" ; il n'en a pas fini pour autant comme un "dogmatique". Ce sont des adeptes trop zélés (on pourrait en dire autant des "marxistes") qui ont "achevé" sa pensée. Saint Thomas nous rappelle, contre les sceptiques et les relativistes que la vérité existe, mais rappelons-nous que personne ne "détient" la vérité et que la foi relève d'abord de la rencontre et de la Grâce. Par ailleurs la responsabilité de l'Eglise institutionnelle, ni au moment de la réaction cathare, ni au moment de la Réforme n'est questionnée. On peut regretter aussi que les "recommandations pleines de modération" concernant les Juifs n'aient pas été mieux écoutées et suivies par le pouvoir royal ou que saint Thomas n'ait pas réussi à se montrer plus convaincant.

Le chapitre V ("The Real Life of saint Thomas") brosse un portrait moral et psychologique du "boeuf muet de Sicile" et tente d'approcher l'essence de sa personne et le mystère de sa sainteté.

Saint Thomas n'exige pas de nous, comme Hegel, de renoncer au principe d'identité ou, comme Berkeley à la réalité du monde sensible. Il est parfois ardu, mais il n'est pas absurde. Le chapitre VI ("The Approach to Thomisme") montre en quoi saint Thomas peut être considéré comme le "philosophe du sens commun". Chesterton insiste particulièrement sur le sens des notions de "forme" et de "matière" chez Saint Thomas et sur l'actualité de ces concepts.

Le chapitre VII ("The Permanent Philosophy") explicite la réponse apportée par saint Thomas à des questions fondamentales telles que le rapport entre la perception et le monde, l'Etre (Ens) et le Devenir, l'Un et le Multiple, les mots et les choses, l'Etre en acte et l'Etre en puissance.

Dans le chapitre final ("The Sequel to St.Thomas"), Chesterton revient sur la position de thèse de Thomas d'Aquin : "M. Maritain has used an admirable metaphor, in his book Theonias, when he says that the external fact fertilises the internal intelligence, as the bee fertilises the flower. Anyhow, upon that marriage, or whatever it may be called, the whole system of St. Thomas is founded ; God made Man so that he was capable of coming in contact with reality ; and those whom God hath joined, let no man asunder." (G.K. Chesterton, St. Thomas Aquinas, Dover Publications, Inc. Mineola, New-York, p. 121) : L'essence du "common sens" thomiste réside dans le fait que deux agents sont à l'oeuvre : la réalité et la reconnaissance de la réalité et leur rencontre est comme un mariage... La  réalité externe fertilise l'intelligence interne comme l'abeille fertilise la fleur. 

Ce point est effectivement essentiel et peut nous aider à surmonter les excès du subjectivisme et du relativisme moderne, miné par le doute, issu du cogito cartésien. Il s'agit d'admettre de façon quasiment "thérapeutique", contre toute la postérité de Descartes, que le réel n'est pas une création de la pensée et contre le romantisme que nous ne créons pas nous-mêmes, que notre "moi", sans être absolument "haïssable", n'est pas suprêmement "intéressant", que notre âme ne se réduit pas à une succession d'états d'âme, qu'il trouve sa justesse dans la "sobre ébriété", l'équilibre et le silence, à l'image des édifices cisterciens, plutôt que dans le délire et l'exaltation...

... Qu'il existe un monde visible et invisible (un et le même) constitué d'une hiérarchie d'êtres, de la pierre à l'Amour absolu, éternel et infini, en passant par les végétaux, les animaux, l'homme (qui n'est pas rien, mais qui n'est pas tout et qui brouille tout en se croyant la "mesure" de tout), les Anges, les Archanges, les Principautés, les Puissances, les Autorités, les Dominations, les Trônes, les Chérubins et les Séraphins, que nous avons des devoirs vis-à-vis de nous-mêmes et de notre prochain, que la liberté ne consiste pas à faire n'importe quoi, que la pauvreté, la chasteté et l'obéissance ne sont pas des vertus "ringardes"... ni la Foi, l'Espérance et la Charité, ni la prudence, la tempérance, la force et la justice...

... Qu'il est raisonnable de croire, que la foi se nourrit d'intelligence et de culture, que la vie a un commencement et une fin, qu'elle n'est pas absurde, que sa fin est le bonheur éternel et non l'éternel retour du même. Qu'il ne sert à rien de gagner l'univers si l'on vient à perdre son âme.

Les systèmes ultérieurs (Descartes, Kant, Hegel), parce qu'ils partent soit de la subjectivité absolue, soit de l'esprit absolu, ne parviennent pas à penser la possibilité d'une rencontre entre la pensée et le réel et jettent finalement le doute sur la capacité de l'esprit de connaître autre chose que lui-même.

Chesterton montre "l'optimisme" et le "libéralisme" de Thomas d'Aquin dans le domaine de l'éthique, mais aussi de l'économie et de la politique (sur les limites du gouvernement, les conditions de la justice, l'usage et les abus de la propriété privée) et l'importance qu'il accorde à la notion de liberté.

On ne peut s'empêcher de se demander, cependant, si Chesterton ne verse pas dans un certain anachronisme en assimilant, dans le louable souci de réhabiliter la pensée médiévale, les conceptions politiques de Thomas d'Aquin à celles de Thomas More.

Chesterton montre qu'à côté de la voie rationnelle (celle de St. Thomas), inévitable et nécessaire dans les conditions de la vie terrestre, il existe une voie mystique (chez saint Thomas, dans le prolongement de la voie rationnelle)  et cite la confidence bien connue du docteur angélique à son secrétaire, confesseur et compilateur, le  frère Reginald de Piperno : "J’ai vu des choses que la langue de l’homme ne peut exprimer : À côté de ce qui m’a été révélé, tout ce que j’ai écrit et dit m’apparaît comme rien (de la paille)".

La mystique ne doit pas tourner le dos à la raison (on voit les dangers de ce divorce avec le "new age" et les dérives charismatiques), mais inversement, la raison ne peut se suffire à elle-même. Il existe une liaison entre ces deux voies, que Chesterton a accompli à sa manière dans son oeuvre poétique, philosophique et littéraire (à vrai dire souvent plus proche de saint Philippe de Néri que de saint Thomas) : l'herméneutique, l'interprétation, l'exégèse inspirée.

Le livre se clôt sur l'évocation de l'écrasante personnalité de Martin Luther, antithèse, à tous égards, du "docteur angélique" et souligne le "nihilisme" anti-philosophique du début de la Réforme : "(...) The sixteenth-century schism was really a belated revolt of the thirteenth-century pessimists. It was a backwash of the old Augustinian Puritanism against the Aristotelian liberality." (Introductory Note, p. X)

Chesterton se réjouit que l'oeuvre de saint Thomas ait survécu aussi bien aux autodafés qu'au stupide discrédit jeté sur le Moyen-Âge et du regain d'intérêt pour la "philosophia perennis".

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