Victor Hugo, Les Contemplations, "Pauca meae", Préface - Le blog de Robin Guilloux
Victor Hugo, Les Contemplations (livre IV : " Pauca meæ ") (source : http://gallica.bnf.fr) Préface "Si un auteur pouvait avoir quelque droit d'influer sur la disposition d'esprit des lecteurs qu...
Les Contemplations est un recueil de poèmes, écrit par Victor Hugo, publié en 1856. Il est composé de 158 poèmes rassemblés en six livres. La plupart de ces poèmes ont été écrits entre 1841 et 1855, mais les poèmes les plus anciens de ce recueil datent de 1830. Les Contemplations est un recueil du souvenir, de l’amour, de la joie mais aussi de la mort, du deuil et même d'une certaine foi mystique. Le souvenir, surtout, y prend une place prépondérante, puisque Victor Hugo y expérimente le genre de l'autobiographie versifiée. Ce recueil est également un hommage à sa fille Léopoldine Hugo, morte noyée dans la Seine à Paris.
Victor Hugo est un poète, dramaturge, prosateur et dessinateur romantique français, né le 26 février 1802 à Besançon et mort le 22 mai 1885 à Paris. Il est considéré comme l’un des plus importants écrivains de langue française. Il est aussi une personnalité politique et un intellectuel engagé qui a joué un rôle majeur dans l’histoire du XIXème siècle.
Demain, dès l'aube...
Demain, dès l'aube, à l'heure où blanchit la campagne,
Je partirai. Vois-tu, je sais que tu m'attends.
J'irai par la forêt, j'irai par la montagne.
Je ne puis demeurer loin de toi plus longtemps.
Je marcherai les yeux fixés sur mes pensées,
Sans rien voir au dehors, sans entendre aucun bruit,
Seul, inconnu, le dos courbé, les mains croisées,
Triste, et le jour pour moi sera comme la nuit.
Je ne regarderai ni l'or du soir qui tombe,
Ni les voiles au loin descendant vers Harfleur,
Et quand j'arriverai, je mettrai sur ta tombe
Un bouquet de houx vert et de bruyère en fleur.
Le poème est écrit comme le discours d’un narrateur qui tutoie un interlocuteur restant inconnu, pour lui raconter, à la première personne et au futur, de quelle manière il va partir le lendemain dès l’aube et, sans jamais se laisser distraire par son environnement, marcher à travers la campagne pour le rejoindre. Ce voyage se termine de manière inattendue, puisque la fin du poème révèle que cette personne chère, à laquelle le narrateur s’adresse et qu’il part retrouver, est en fait morte, et qu’il se rend dans un cimetière pour fleurir sa tombe.
À la lumière des événements qui ont marqué la vie de l’auteur, on comprend que ce poème est autobiographique et que Victor Hugo s’y adresse à sa fille Léopoldine, disparue quatre ans plus tôt, et dont il commémore la mort dans un pèlerinage annuel entre Le Havre et Villequier, le village de Normandie où elle s’est noyée accidentellement avec son mari, et où elle est enterrée. Victor Hugo allait sur sa tombe tous les jeudis.
Si la date réelle d’écriture est le 4 octobre 1847, Victor Hugo l’a modifiée en « 3 septembre » : veille de l’anniversaire de la mort de sa fille. "Pauca meae" est en effet une reconstruction artificielle qui commence par l’évocation de souvenirs attendris de l’enfance de Léopoldine, se poursuit par l’abattement devant la mort et se termine par une consolation religieuse avec les figures positives qui achèvent les derniers poèmes de la partie : Mors (« Tout était à ses pieds deuil, épouvante et nuit. / Derrière elle, le front baigné de douces flammes, / Un ange souriant portait la gerbe d’âmes ») et Charles Vacquerie (« Dans l’éternel baiser de deux âmes que Dieu / Tout à coup change en deux étoiles ! »). (source : wikipedia)
Travail préparatoire au commentaire du poème :
Votre introduction doit obligatoirement comporter les informations suivantes :
De quelle oeuvre ce texte est-il extrait ? Qui est l'auteur de ce texte ? De quoi est-il question dans ce passage ? Quel est le genre du texte ? Ces renseignements sont fournis plus haut, ainsi que dans la préface de "Pauca meae" (en lien).
Vous devez ensuite formuler une problématique sous forme de question et définir deux ou trois axes d'étude.
Exemple d'introduction :
"Demain, dès l’aube, à l’heure où blanchit la campagne…", ou plus simplement "Demain, dès l’aube…", est l’un des plus célèbres poèmes de Victor Hugo, publié en 1856 dans le recueil Les Contemplations. Composé de trois quatrains d’alexandrins en rimes croisées, ce court poème n’a pas de titre, si bien qu’on le désigne traditionnellement par son incipit, c’est-à-dire les premiers mots qui le composent. Il constitue le poème XIV de "Pauca meae" (Quelques vers pour ma fille), livre quatrième des Contemplations, qui ouvre la deuxième partie intitulée "Aujourd’hui" 1843-1855.
Problématique : En quoi ce qui semble un poème d'amour est-il en réalité l'évocation d'un pèlerinage ?
Axes d'étude :
- Un poème à chute
- Les thèmes du temps et de l'espace
- Un dialogue par-delà la mort
Les registres :
- Lyrique (élégiaque), expression de sentiments personnels, emploi des pronoms personnels "je" et "tu".
- Argumentatif (demandez-vous à qui s'adresse le poète et dans quel but)
- Tragique (le thème de la mort)
- Pathétique (l'expression de la souffrance)
- Dramatique (successions de péripéties)
- Fantastique ("Vois-tu je sais que tu m'attends") ; il s'agit d'un fantastique "subjectif", lié à la croyance en l'immortalité de l'âme et en la possibilité de communiquer avec les morts (spiritisme).
La situation d'énonciation :
Qui parle ? A qui ? De quoi ? Où ? Quand ? Comment ? Pourquoi ?
Les types de textes :
Le poème raconte quelque chose (récit) et il rapporte des pensées et des paroles (oralisation et "théâtralisation" du récit).
Les champs lexicaux :
La nature, les sens (la vue, l'ouïe), le mouvement, la solitude, la tristesse, la mort, l'espérance... Cherchez les mots relevant de ces différents champs lexicaux.
La localisation des mots :
Remarquez la localisation des mots à l'hémistiche (effet de mise en relief), à la rime ou en début de vers qui en accentue l'importance :
A l'hémistiche : "L'heure", "tu", "forêt", "demeurer", "yeux", "dehors", "dos", "moi", regarderai, ""loin", "j’arriverai", "vert"
A la rime : "campagne", m"attends", "montagne", longtemps", "pensées", "bruit (aucun bruit), "croisées", "nuit", "tombe", "Harfleur", "tombe", "fleur"
En début de vers : "Demain",
En rejet : "Seul, inconnu, le dos courbé, les mains croisées,//Triste"... - "Demain, dès l'aube, à l'heure où blanchit la campagne,//Je partirai...
Étudiez également les rimes dites "internes" : partirais/sais - j'irai/j'irai - fixés/pensées - courbé/croisées - moi/sera - arriverai/mettrai
Note : Le rejet est un procédé métrique de la poésie qui consiste grâce à un enjambement à placer au début du vers, afin de le mettre en relief, un mot ou un groupe de mots qui appartient, par la construction syntaxique et le sens, au vers précédent. Le rejet apparaît comme une accentuation particulière de l’enjambement. Il est constitué par un élément bref (quelques syllabes suivies d’une coupe marquée) lié syntaxiquement au vers précédent mais reporté (« rejeté ») au début du vers suivant pour créer un effet de soulignement et de surprise après l’atténuation forte de la pause traditionnelle en fin de vers.
Le rythme :
L'alexandrin ternaire (ou trimètre romantique), ici le plus fréquent, comporte trois accents qui le divisent en trois mesures de quatre syllabes. Ex. : "Demain dès l'aube/à l'heure où blan/chit la campagne". La pause rythmique correspond souvent (mais pas toujours) à une pause grammaticale.
L'alexandrin binaire (ici le moins fréquent) comporte quatre accents et se divise en deux parties égales de six syllabes, ou hémistiches. La pause centrale est la césure.
Ex. : "J'irai/ par la forêt,//j'irai/par la montagne"
Quand il y a discordance entre le rythme et la syntaxe, la limite fixée par le mètre est dépassée. Il y a alors :
enjambement : la phrase se poursuit d'un vers sur l'autre sans marquer de pause en fin de vers : "Je marcherai les yeux fixés sur mes pensées,//Sans rien voir au dehors, sans entendre aucun bruit"."
rejet : le dépassement ne concerne qu'un mot ou groupe court rejeté au début du vers suivant : "Sans rien voir au dehors, sans entendre aucun bruit,//Seul, inconnu, le dos courbé, les mains croisées"
contre-rejet : c'est à la fin d'un vers que commence l'unité grammaticale qui se poursuit dans le vers suivant.
Les figures de style :
La principale figure de style du poème est l'hypotypose, variété de description qui parle vivement à l'imagination, "tableau vivant" qui met littéralement sous les yeux du lecteur ce que l'auteur décrit.
On remarque l'absence voulue des figures habituelles de la poésie, comme la métaphore.
On retrouve également la figure de la prosopopée qui est un écart par rapport au réel et au possible. Elle consiste à faire parler ou agir un mort (ici à parler à sa fille morte comme si elle était vivante)
L'accumulation : J'irai par la forêt, j'irai pas la montagne" - "Sans rien voir au dehors, sans entendre aucun bruit,//Seul, inconnu, le dos courbé, les mains croisées,//Triste, et le jour pour moi sera comme la nuit"
L'accumulation (substantif féminin), du latin accumulare ("mettre en scène") et cumulus ("amoncellement"), est une figure de style qui se traduit par une énumération d'éléments appartenant à une même catégorie (de même nature et/ou de même fonction grammaticales) et qui crée un effet d'amplification. Elle est une figure de style très employée et l'une des plus connues, très proche de l'énumération.
La prétérition : "Je ne regarderai ni l'or du soir qui tombe,//Ni les voiles au loin descendant vers Harfleur". Le poète fait voir au lecteur ce qu'il refuse lui-même de voir (la beauté du monde).
La prétérition (substantif féminin), du latin praeteritio (« action de passer sous silence »), du supin praeteritum, est une figure de style consistant à parler de quelque chose après avoir annoncé que l'on ne va pas en parler.
Jeu sur les homophones : "l'or du soir qui tombe"/"Je mettrai sur ta tombe"
Un cryptogramme (message caché) ? : on peut remarquer que les lettres de certains mots de la première strophe : L'aube - où - campagne - Vois-tu - loin - de - toi - longtemps, forment le prénom de la fille bien-aimée de Victor Hugo : Léopoldine : (Hypothèse personnelle. Il peut s'agir d'un simple hasard)
Je partirai. Vois-tu, je sais que tu m'attends. = "je t'aime"
Les temps et leur valeur d'aspect :
Présent d'énonciation : "Vois-tu", "je ne puis" - Présent de caractérisation : "blanchit" - Futur de l'indicatif exprimant la détermination (futurs de volonté) : "je partirai", "j'irai", "je marcherai", "sera", "je ne regarderai", "j'arriverai", "je mettrai" - participe présent à valeur descriptive : "descendant" - participes passés : "courbé" (le dos courbé) "croisées" (les mains croisées) Les participes passés expriment l'idée de passivité - infinitifs : "voir", "entendre" (rien voir, rien entendre)
Les connecteurs :
"demain", "par", "loin", "longtemps", "vers", "quand"
Les types de phrases et leur structure :
Proposition principale + subordonnée relative - proposition indépendante - proposition principale + subordonnée conjonctive - deux proposition indépendantes en asyndète, deux propositions indépendantes coordonnées - proposition indépendante coordonnée + proposition subordonnée + proposition principale. Il convient de remarquer la poignante simplicité de la structure syntaxique qui évoquent à l'avance les étapes d'un parcours familier.
Note : L’asyndète, du grec α, a, privatif, σύν, sun (« ensemble ») et δειν, dein (« lier »), soit : « absence de liaison », est une figure de style fondée sur la suppression des liens logiques et des conjonctions dans une phrase, comme dans cette parole de Jules César : « Je suis venu, j'ai vu, j'ai vaincu »
La modalisation (l'expression de la subjectivité de l'auteur) :
"sais" (je sais), "rien", "aucun", "seul", "inconnu", "triste"
Les sonorités :
Jeu sur la dentale "d" : demain/dès - jeu sur la bilabiale "b" : aube/blanchit - Jeu sur la dentale "t" : toi/longtemps - Jeu sur la voyelle "o" ("o", oi", "om"): l'or du soir qui tombe - voiles/loin - Jeu sur la voyelle a : descendant vers Harfleur/quand - Jeu sur la diphtongue ou : bouquet de houx - Jeu sur la bilabiale "b" : bouquet/bruyère
Le jeu sur les sonorités n'est pas toujours motivé. Il est d'abord lié au fait, comme le dit Paul Valéry, que la poésie est une hésitation entre le son et le sens, qu'elle tend vers la musique.