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"Je suis jeune, il est vrai ; mais aux âmes bien nées

La valeur n'attend point le nombre des années." (Rodrigue, acte II, scène 2)

Le Cid est une pièce de théâtre  en alexandrins de Pierre Corneille dont la première représentation eut lieu en décembre 1636 ou janvier 1637. Elle apporta la gloire à son auteur : "Tout Paris pour Chimène a les yeux de Rodrigue" (Nicolas Boileau), ennoblissement, mais aussi la jalousie des critiques.

Le Cid : Une pièce étincelante de passion, de générosité et de panache,  écrite entre les derniers feux de l'âge baroque et le soleil nouveau du siècle de Louis XIV, dont le héros pathétique et sublime,  Rodrigue, symbolise à lui seul la fougue éternelle de la jeunesse.

Le Cid est d'abord une histoire d'amour fou, comme Roméo et Juliette, de Shakespeare, mais "l'obstacle tragique" (puisqu'il faut toujours un obstacle) à l'amour partagé entre Rodrigue et Chimène est de taille : jaloux d'une faveur accordée par le roi de Castille au père de Rodrigue (le préceptorat de l'infant), le père de Chimène a souffleté son rival ; trop âgé pour venger lui-même son honneur, celui qui fut "la vertu, la vaillance et l'honneur de son temps" demande à son fils de le faire à sa place. Rodrigue est accablé :

Percé jusques au fond du cœur

D'une atteinte imprévue aussi bien que mortelle

Misérable vengeur d'une juste querelle

Et malheureux objet d'une injuste rigueur,

Je demeure immobile, et mon âme abattue

Cède au coup qui me tue.

Si près de voir mon feu récompensé,

Ô Dieu, l'étrange peine !

En cet affront mon père est l'offensé

Et l'offenseur le père de Chimène !

Mais son hésitation ne dure qu'un instant : entre l'amour et l'honneur, Rodrigue choisit l'honneur :

Oui, mon esprit s'était déçu

Je dois tout à mon père avant qu'à ma maîtresse ;

Que je meure au combat ou meure de tristesse,

Je rendrai mon sang pur, comme je l'ai reçu.

Je m'accuse déjà de trop de négligence.

Courons à la vengeance,

Et, tout honteux d'avoir tant balancé,

Ne soyons plus en peine,

Puisqu'aujourd'hui mon père est offensé,

Si l'offenseur est père de Chimène.

Plan de la tirade de Rodrigue (acte II, scène 1) :

Première stance : (5 vers) : l'accablement de Rodrigue ; "Percé jusques au fond du cœur. (vers 291) ..."misérable vengeur", "juste querelle"... "cède au coup qui me tue" (vers 295)

Deuxième stance (4 vers) : les raisons de son accablement... "si près de voir mon feu récompensé" (vers 297)... "père offensé"... et l'offenseur le père de Chimène" (vers 300)

Troisième stance : l'alternative (9 vers) : "Que je sens de rudes combats !" (vers 301) : "laisser un affront impuni"/ "punir le père de Chimène" (vers 310)

Quatrième stance : Père, maîtresse, honneur, amour sont incompatibles (vers 311) ; il faut choisir et chaque alternative a des conséquences : le déshonneur ("honneur terni") ou le malheur ("plaisirs morts") ; "M'es-tu donné pour perdre ma Chimène (vers 320)

Cinquième stance (9 vers) : la tentation de mourir ; "Il vaut mieux courir au trépas" (vers 321) ;  "Mourrons du moins sans offenser Chimène (vers 330)

Sixième stance (9 vers) : la décision finale ; "Mourir sans tirer ma raison !" (vers 331) : vivre et venger son père ; "Si (même si)  l'offenseur est père de Chimène" (Vers 350)

(On nomme stance, en poésie, un nombre défini de vers comprenant un sens parfait et arrangé d’une manière particulière qui s’observe dans tout le poème. Au théâtre, les stances sont une forme versifiée de monologue marquées par un rythme particulier.)

Gérard Philippe

Ô Dieu l'étrange peine !

En cet affront mon père est offensé,

Et l'offenseur le père de Chimène !

 "Tout Paris courut au Cid. La salle devenue trop petite, on mit sur la scène des sièges pour des spectateurs supplémentaires de qualité que Voltaire eut du mal à déloger un siècle plus tard.  

Le Cid fut surtout la victoire de la forme la plus vivante de la littérature, le théâtre. Il fixa un public nouveau, grands seigneurs et honnêtes gens, qui lui demanderont plus qu'un divertissement. Corneille comprit immédiatement la leçon et lui donna d'emblée avec Horace, Cinna, Polyeucte et La Mort de Pompée, ses quatre véritables chef d'oeuvres.

Les envieux suscitèrent une mauvaise querelle, qui prit des proportions imprévues. La polémique qui vit paraître trente-six libelles, presque tous anonymes, dura cinq mois.

Richelieu observa malicieusement la bataille des gens de Lettres, crut l'occasion de mettre en vedette son Académie, tenta de jouer un rôle modérateur et termina l'affaire par un oukase quand elle l'ennuya." (André Stegmann)

Les personnages :

  • Don Rodrigue (Rodrigue), fils de Don Diègue et amant   de Chimène. "Le Cid" est un surnom de guerre qui ne sera rappelé qu’aux actes IV et V par le roi et l’Infante.
  • Chimène, fille de Don Gomès et maîtresse de  don Rodrigue.
  • Don Gomès (le comte), comte de Gormas et père de Chimène.
  • Don Diègue (de Bivar), père de don Rodrigue.
  • Doña Urraque (l’Infante), infante de Castille, secrètement amoureuse de Rodrigue.   
  • Don Fernand, premier Roi de Castille.
  • Don Sanche, amoureux de Chimène.
  • Elvire, gouvernante de Chimène   
  • Léonor, gouvernante de l'Infante.
  • Don Arias et don Alonse, gentilshommes castillans

Acte II, scène 2 :

DON RODRIGUE
A moi, Comte, deux mots.

LE COMTE
Parle

DON RODRIGUE
Ôte-moi d'un doute.
Connais-tu bien don Diègue ?

LE COMTE
Oui.

DON RODRIGUE
Parlons bas ; écoute.
Sais-tu que ce vieillard fut la même vertu,
La vaillance et l'honneur de son temps ? le sais-tu ?

LE COMTE
Peut-être.

DON RODRIGUE
Cette ardeur que dans les yeux je porte,
Sais-tu que c'est son sang ? le sais-tu ?

LE COMTE
Que m'importe ?

DON RODRIGUE
A quatre pas d'ici je te le fais savoir.

LE COMTE
Jeune présomptueux !

DON RODRIGUE
Parle sans t'émouvoir.
Je suis jeune, il est vrai ; mais aux âmes bien nées
La valeur n'attend point le nombre des années.

LE COMTE
Te mesurer à moi ! qui t'a rendu si vain,
Toi qu'on n'a jamais vu les armes à la main ?

DON RODRIGUE
Mes pareils à deux fois ne se font point connaître,
Et pour leurs coups d'essai veulent des coups de maître.

LE COMTE
Sais-tu bien qui je suis ?

DON RODRIGUE
Oui ; tout autre que moi
Au seul bruit de ton nom pourrait trembler d'effroi.
Les palmes dont je vois ta tête si couverte
Semblent porter écrit le destin de ma perte.
J'attaque en téméraire un bras toujours vainqueur ;
Mais j'aurai trop de force, ayant assez de cœur.
A qui venge son père il n'est rien impossible.
Ton bras est invaincu, mais pas invincible.

LE COMTE
Ce grand cœur qui paraît aux discours que tu tiens,
Par tes yeux, chaque jour, se découvrait aux miens ;
Et croyant voir en toi l'honneur de la Castille,
Mon âme avec plaisir te destinait ma fille.
Je sais ta passion, et suis ravi de voir
Que tous ses mouvements cèdent à ton devoir ;
Qu'ils n'ont point affaibli cette ardeur magnanime ;
Que ta haute vertu répond à mon estime ;
Et que voulant pour gendre un cavalier parfait,
Je ne me trompais point au choix que j'avais fait ;
Mais je sens que pour toi ma pitié s'intéresse ;
J'admire ton courage, et je plains ta jeunesse.
Ne cherche point à faire un coup d'essai fatal ;
Dispense ma valeur d'un combat inégal ;
Trop peu d'honneur pour moi suivrait cette victoire :
A vaincre sans péril, on triomphe sans gloire.
On te croirait toujours abattu sans effort ;
Et j'aurais seulement le regret de ta mort.

DON RODRIGUE
D'une indigne pitié ton audace est suivie :
Qui m'ose ôter l'honneur craint de m'ôter la vie ?

LE COMTE
Retire-toi d'ici.

DON RODRIGUE
Marchons sans discourir.

LE COMTE
Es-tu si las de vivre ?

DON RODRIGUE
As-tu peur de mourir ?

LE COMTE
Viens, tu fais ton devoir, et le fils dégénère
Qui survit un moment à l'honneur de son père.

Questions sur la scène :

1) Quelle est la situation d'énonciation (que s'est-il passé avant ?)

2) Comment l'auteur traduit-il la jeunesse et l'ardeur de Rodrigue ?

3)  Montrez que le dialogue contribue tantôt à accélérer l'action, tantôt à la ralentir.

4) Comment l'auteur traduit-il l'emportement des deux personnages ?

5) Que savez-vous de la notion "d'honneur" sous l'ancien régime ?

6) Analysez les sentiments de Rodrigue.

7) Faites le plan de la tirade du comte (deux parties)

 

8) Cherchez le sens du mot "stichomythie" ; donnez des exemples d'échanges stichomytiques. Quand et pourquoi l'auteur utilise-t-il ce procédé ?

9) Analysez le vers suivant d'un point de vue grammatical et stylistique ; que signifie-t-il ? En quoi ce vers traduit-il la morale du héros cornélien :

"A vaincre sans péril, on triomphe sans gloire."

10) Qu'est ce qu'une "maxime" ; cette scène comporte plusieurs maximes ; relevez-les et essayez de les expliquer.

Eléments de réponse :

La scène met aux prises Don Rodrigue, le fils de Don Diègue et Don Gomes, comte de Gormas, le père de Chimène. Au cours de la scène 3 de l'acte I, jaloux de la faveur du roi envers Don Diègue, qu'il a nommé gouverneur de son fils, l'infant de Castille, Don Gomes a souffleté  le père de Rodrigue. Rodrigue vient trouver Le comte pour lui demander réparation au nom de son père, trop âgé pour venger lui-même son honneur.

D'un affront si cruel

Qu'à l'honneur de tous deux il porte un coup mortel :

D'un soufflet. L'insolent en eût perdu la vie ;

Mais mon âge a trompé ma généreuse envie 

Et ce fer que mon bras ne peut plus soutenir,

Je le remets au tien pour venger et punir. (Acte I, scène 4)

La réparation d'un affront public doit se faire en public ; dans son "examen de la pièce", Corneille évoque en détail ces problèmes de mise en scène, de vraisemblance et de bienséance ; cette dernière exige que le duel n'ait pas lieu sur scène mais soit censée se dérouler en coulisse : "J'achève par une remarque sur ce que dit Horace, que ce qu'on expose à la vue touche bien plus que ce qu'on n'apprend que par un récit. C'est sur quoi je me suis fondé pour faire voir le soufflet que reçoit don Diègue et cacher aux yeux la mort du comte, afin d'acquérir et conserver à mon premier acteur (personnage) l'amitié des auditeurs (spectateurs), si nécessaire pour réussir au théâtre. L'indignité d'un affront fait à un vieillard, chargé d'années et de victoires, les jette aisément dans le parti de l'offensé ; et cette mort, qu'on vient dire au Roi, tout simplement et sans aucune narration touchante, n'excite point en eux la commisération qu'y eût fait naître le spectacle de son sang, et ne leur donne aucune aversion pour ce malheureux amant, qu'ils ont vu forcé par ce qu'il devait à son honneur d'en venir à cette extrémité, malgré l'intérêt et la tendresse de son amour." (Examen, 1660)

Axe du savoir : dans le cadre de la double énonciation théâtrale, le spectateur sait quelque chose que Rodrigue ignore : la démarche de Don Arias auprès du comte, mais il n'y a  ni quiproquo, ni coup de théâtre comme dans la scène 5, lorsque Don Diègue révèle à son fils l'identité de son offenseur. La double énonciation a bien une fonction dramatique (le spectateur est parfaitement conscient des enjeux), mais n'induit pas de quiproquo. L'offenseur est le père de Chimène et Rodrigue sait que, quelle que soit l'issue du duel, il perdra Chimène. Tout le pathétique de la scène (et de la pièce dans son ensemble), on l'a dit et répété, réside dans ce conflit entre l'amour de Rodrigue pour Chimène et la nécessité d'accomplir son devoir en vengeant son père.

Axe du pouvoir : les deux adversaires ayant le même statut social (ils appartiennent tous deux à la noblesse et partagent le même code de l'honneur, contrairement à Don Salluste et à Ruy Blas dans la pièce de Victor Hugo, le drame classique se déroulant toujours entre "égaux"), Rodrigue est dans son bon droit en provoquant le comte en duel.

Le seul obstacle pourrait être sa jeunesse (comme l'est la vieillesse pour Don Diègue) et son manque d'expérience, mais la volonté du Rodrigue surmonte l'obstacle en inversant la formule du comte : "A vaincre sans mérite , on triomphe sans gloire" : le triomphe est d'autant plus glorieux que la tâche est difficile.

Axe de la volonté (ou du désir) : Rodrigue veut venger son père (mais il veut aussi épouser Chimène) ; ces deux désirs sont incompatibles. Le comte ne veut pas tuer Rodrigue, mais il ne veut pas (ne peut pas) perdre la face, d'où son hésitation : il rend hommage à la valeur de Rodrigue et exprime sa pitié (de la même manière, hommage et pitié sont incompatibles : Rodrigue ne peut pas se montrer digne de l'estime du comte et renoncer à se battre). Les deux personnages sont enfermés dans une logique binaire qui est la figure particulière du destin dans cette tragédie.

Rodrigue interpelle le comte en faisant irruption sur son "territoire" : "A moi, comte, deux mots !"

Le comte parle peu, il est sur la défensive, sur ses gardes et laisse Rodrigue exprimer sa colère pour mieux préparer sa riposte.

Connais-tu bien Don Diègue ?"

Sais-tu que ce vieillard fut la même vertu

La vaillance et l'honneur de son temps ? Le sais-tu ?

Ce n'est pas une "vraie" question, mais une question "oratoire".

"La question de Rodrigue ne porte pas vraiment sur l'étendue du savoir du comte, mais lui apprend par son énonciation même ce qu'il doit savoir. Comme la prétérition rhétorique où l'on dit ce que l'on prétend ne pas vouloir dire ("je ne peindrai pas..."), ici l'on enseigne, sous couvert de s'informer des connaissances d'autrui. La répétition du "sais-tu" (repris deux fois plus avant dans le texte) théâtralise l'initiative de Rodrigue, son parti-pris d'enfermer sans préambules le comte dans sa parole. Il apparaît sûr de son bon droit, tant dans le code discursif que dans le code aristocratique ; en se permettant de tutoyer le comte, de réitérer sa formule en construisant un interrogatoire, il lui impose son discours et par là-même le défie, contestant le statut que s'attribue le comte et celui que le comte lui attribue." (Dominique Maingueneau, "Pragmatique pour le discours littéraire", Bordas, page 20)

La réponse du comte : "Peut-être", ne peut qu'irriter Rodrigue ; c'est pourtant le seul moyen pour le comte de ne pas se laisser enfermer dans la parole de Rodrigue.

Nous ne sommes pas dans un échange d'informations, mais dans une  dimension "pragmatique" ("dire, c'est faire"), "stratégique" : les mots échangés préfigurent le duel : les adversaires se jaugent, marchent et rompent, attaquent et parent.

"A quatre pas d'ici je te le fais savoir" : ton vif, saccadé (monosyllabes)... Rodrigue insiste, se répète : "sais-tu ", "la sais-tu" ; remarquer l'allitération sur la consonne "s" : "cette ardeur", "sais-tu", "le sais-tu", "c'est son sang".

Je suis jeune, il est vrai ; mais aux âmes bien nées

La valeur n'attend pas le nombre des années.

Ces deux vers sont justement célèbres ; le deuxième verbe est au présent de vérité générale ; il s'agit d'une maxime.

Une maxime est un précepte,  un principe de conduite ou une règle morale (synonymes : apophtegme, proverbe) ; autres maximes :

A qui venge son père, il n'est rien impossible.

A vaincre sans péril, on triomphe sans gloire.

"Et le fils dégénère

Qui survit un moment

A l'honneur de son père."

Ces maximes ont une fonction de légitimation ; le duel entre Rodrigue et le comte pose un problème moral (Rodrigue tue le père de sa fiancée) et politique (les duels sont interdits) dont Corneille est parfaitement conscient.

Très sûr de lui-même, le comte insinue que Rodrigue manque d'expérience et se moque de sa vanité.

Mais la réponse de Rodrigue montre que ce dernier ne manque pas de discernement ; il n'est pas le jeune vaniteux écervelé dont le comte se plaît à se moquer et il mesure parfaitement les risques qu'il prend, mais Rodrigue est sûr de sa valeur et de son courage ; Rodrigue croit au "sang", aux vertus de sa "race", de sa "lignée" ("Mais aux âmes bien nées la valeur n'attend point le nombre des années") ; il sait cependant que le véritable courage se  tient entre les extrêmes, la lâcheté et la témérité (cf. Aristote, "L'éthique à Nicomaque") ; il sait aussi que l'on a d'autant plus de mérite à vaincre que l'adversaire est puissant. Le destinataire de l'énonciation est le spectateur plutôt le comte, elle vise à dresser un portrait psychologique du héros cornélien.

 

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Les sentiments de Rodrigue :

L'exaltation, l'assurance, le sentiment d'être dans son bon droit, mais aussi :

- la lucidité : il connaît la valeur de son adversaire :

"J'attaque en téméraire un bras toujours vainqueur."

- la résolution : "A qui venge son père, il n'est rien impossible."

- l'indignation face à la pitié du comte : "D'une indigne pitié ton audace est suivie."

La conduite de Rodrigue s'explique par le code de l'honneur de la noblesse espagnole (en réalité française) sous Louis XIII. Rodrigue se doit de venger l'honneur de son père (éthique chevaleresque).

Il convient de situer la pièce dans son contexte historique : multiplication meurtrière des duels et leur interdiction par Richelieu, lutte d'influence entre l'aristocratie et le pouvoir royal, affirmation du pouvoir royal sous le règne de Louis XIII, puis de Louis XIV après l'épisode de la Fronde ; l'honneur se doit d'être au service du roi et non des intérêts individuels ; les conflits doivent être désormais réglés par la médiation du Droit et non plus par la violence. "Le Cid" (1637) reflète cette évolution historique avec le rôle du roi  don Fernand de Castille, au sujet duquel Corneille précise dans l'examen de la pièce (1660) : "Je me suis cru bien fondé à faire agir don Fernand de Castille plus mollement qu'on ne ferait en ce temps-ci, où l'autorité royale est plus absolue."

La tirade de Rodrigue et la réponse du comte correspondent à un ralentissement de l'action ; le comte reprend des informations que le spectateur connaît déjà sur la situation des personnages (le mariage annoncé de Rodrigue et de Chimène) et souligne ce qui va constituer le nœud de la pièce, le conflit entre l'amour et le devoir.

La tirade du comte comporte deux parties :

1ère partie, hommage aux qualités de Rodrigue : "ce grand cœur", 'l'honneur de la Castille", "ardeur magnanime", "haute vertu"

2ème partie, pitié et condescendance : "ma pitié s'intéresse", "je plains ta jeunesse", "essai fatal", "combat inégal", "trop peu d'honneur suivrait", "sans effort".

Rodrigue et le comte se répondent vers à vers (stichomythie) :

Une stichomythie est une partie de dialogue d'une pièce de théâtre versifiée où se succèdent de courtes répliques, de longueur à peu près égales, n'excédant pas un vers, produisant un effet de rapidité, qui contribue au rythme du dialogue. Elle s'oppose ainsi à la tirade.

A l'issue des plaidoiries, les Grecs avaient une période de questions et de contre-questions appelée altercation, dont s'inspirèrent les tragiques pour écrire notamment leurs stichomythies, où chaque réplique a la longueur d'un vers.

Les dramaturges grecs ont recours à la stichomythie dans différents contextes et marquent souvent la croissance en intensité des sentiments au cours d'une scène ; en passant de la tirade à la stichomythie, Sophocle montre ainsi l'exaspération croissante d'Oedipe devant le refus de Tirésias de lui révéler ce qu'il sait  ; Euripide l'emploie pour montrer l'escalade de la violence dans la confrontation entre Jason et Médée . On en trouve des exemples chez Corneille, mais aussi chez Racine, par exemple dans Andromaqu

Pylade : Vous me trompiez, Seigneur

Oreste : Je me trompais moi-même

Dans la scène de confrontation entre Don Diègue et le comte, jaloux de la promotion qui vient d'être accordée à son rival, la montée de la violence se traduit par un passage de stichomythie qui précède la gifle finale :

Le comte : Ce que je méritais, vous l’avez emporté.

Don Diègue : Qui l’a gagné sur vous l’avait mieux mérité.

Le comte : Qui peut mieux l’exercer en est bien le plus digne. 

Don Diègue : En être refusé n’en est pas un bon signe. 

Le comte : Vous l'avez eu par brigue, étant vieux courtisan

Don Diègue : L'éclat de mes hauts faits fut mon seul partisan.

Le comte : Parlons-en mieux, le Roi fait honneur à votre âge.

Don Diègue : Le Roi, quand il en fait, le mesure au courage.

Le comte : Et par là cet honneur n'était dû qu'à mon bras.

Don Diègue : Qui n'a pu l'obtenir ne le méritait pas.

Le comte : Ne le méritait pas ! moi

Don Diègue : Vous.

Le comte : Ton impudence,

Téméraire vieillard, aura sa récompense.

Il lui donne un soufflet

On retrouve ici le même procédé :

Le comte : Retire-toi d'ici.

Rodrigue : Marchons sans discourir

Le comte : Es-tu si las de vivre ?

Rodrigue :  As-tu peur de mourir ?

Mais on remarquera que dans l'échange stichomytique, l'alexandrin, unité métrique du théâtre français au XVIIème siècle est divisé ici en deux hémistiches (un par réplique) pour mieux marquer la vivacité du dialogue (ce procédé intervient au début et à la fin de la scène).

On pourra également faire analyser aux élèves un alexandrin complet comme celui-ci :

"A/ vain/cre/ sans/ pé/ril, // on/ tri/om/phe/ sans/ gloir(e)/"

1er hémistique = 6 syllabes  //   2ème  hémistiche = 6 syllabes

(préposition + infinitif + sans + nom// pronom indéfini + verbe au présent de vérité générale + sans + nom) - voyelles nasalisées (vaincre, sans, on, triomphe) - effet d'antithèse (sans péril/sans gloire).

597px-Pierre_Corneille_2.jpgPierre Corneille (1606-1684)

Pierre Corneille naît dans une famille de moyenne bourgeoisie (son père est avocat à Rouen). Il fait des études chez les jésuites et devient avocat stagiaire. Très vite, il est attiré par la poésie et écrit ses premiers vers. Son père lui achète deux charges d'avocat.

En 1629 il écrit sa première pièce Mélite, qui sera jouée à Paris. Puis il écrit une tragi-comédie et quatre autres comédies (La Galerie du Palais, La Suivante…) où les sentiments tragiques sont mis en scène dans la société contemporaine.

En 1634, il reçoit une commande de l'archevêque de Rouen pour composer un poème élogieux en l'honneur de Louis XIII et de Richelieu de passage à Rouen.

L'année suivante, Richelieu lui demande de rejoindre ses auteurs pour travailler à la cour et lui donne une pension (Corneille ne restera que peu de temps dans ce groupe). Corneille écrit alors sa première tragédie, Médée.

C'est peut-être au contact de la famille Chalon (d'origine espagnole) que Corneille va s'intéresser aux textes espagnols et notamment à une pièce de Guillen de Castro, las Mocedades del Cid, qui va lui inspirer Le Cid.

Jouée en décembre 1636, la célèbre tragi-comédie connaît un triomphe qui ne se démentira pas, et une (courte) polémique, connue sous le nom de "querelle du Cid". Les "doctes" veulent démontrer que la règle des trois unités n'a pas été respectée et certains l'accusent de plagiat. Corneille répond à ses détracteurs en écrivant l'Excuse à Ariste sur le thème de la jalousie.

Son père meurt en 1639.

Corneille revient à Paris et écrit l'année suivante Horace, une tragédie romaine conforme aux règles, Corneille ne voulant pas braver l'Académie une nouvelle fois.

En 1641 il épouse Marie Lampérière dont il aura 6 enfants.

En 1644, il écrit un nouveau chef-d'œuvre Rodogune.

Il est élu à l'Académie Française en 1647.

À partir de 1650 Corneille écrit moins et Jean Racine devient l'auteur en vue du théâtre français.

En 1658 Fouquet lui commande plusieurs pièces (Œdipe, La Toison d'or), et Louis XIV le pensionne. 

En 1670 c'est le Bérénice de Jean Racine qui est choisi par la cour face au Tite et Bérénice de Corneille.

Il meurt en 1684.

(d'après fluctuat.net)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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