Henry James, Le motif dans le tapis (The figure in the Carpet), récit traduit de l'anglais par Elodie Vialleton, lecture de Jacques Leenhardt, Actes Sud, 1997
Henry James (1843-1916), Américain naturalisé britannique, écrivain cosmopolite qui entretint avec Flaubert, Tourgueniev, Conrad, Wells et bien d'autres des liens très forts, est l'auteur d'une oeuvre romanesque de tout premier plan : Les Bostoniennes, Le Tour d'écrou, Ce que savait Maisie, Washington Square, La Coupe d'or... comptent parmi ses ouvrages les plus célèbres.
"Après que le maître lui eut révélé l'existence d'un "motif" dans son oeuvre, un jeune critique littéraire londonien n'a de cesse que de relever le défi, d'élucider le mystère. La quête inlassable du "tuyau" qui permettrait de comprendre le sens profond de l'oeuvre du grand Hugh Vereker se transforme bientôt en une véritable obsession, pour lui, pour son ami Corvick, critique lui aussi, et pour la jeune femme de celui-ci. S'ensuit un enchaînement extraordinaire d'événements, de voyages et de péripéties, conséquences d'une enquête quasi policière...
C'est à vrai dire une brillante variation sur la lecture et sur le rôle de la critique que cette énigme littéraire mise en scène par Henry James.
Lecture par Jacques Leenhardt (extrait) :
"Cette nouvelle prend au fil des pages une allure de plus en plus policière. Le secret, en quête duquel est parti le narrateur, n'est autre que la signification de l'oeuvre de l'écrivain Hugh Vereker, son sens profond ou caché. Or le narrateur aboutit à un échec, ce qui laisse entendre qu'il n'a pas su, lui le critique littéraire, mener convenablement sa recherche et que par conséquent, vu son métier, il se fait une représentation erronée de ce qu'est la littérature.
La force de ce récit tient au fait que, sous des allures banales, Henry James pose la question fondamentale : "Qu'est-ce que la littérature ?" On verra qu'en opposant le critique à l'écrivain, James dessine le profil d'une théorie de la lecture, c'est-à-dire du rapport que nous entretenons avec le monde imaginaire que propose la fiction.
Le narrateur du Motif dans le tapis fait le récit de sa mésaventure. Parti du mauvais pied dans sa recherche de ce que l'on appellera provisoirement la "vérité du texte", il n'obtiendra finalement que la consolation morose de voir un alter ego, critique comme lui, subir la même frustration. Entre-temps, deux personnages, Corvick et Gwendolen, auront été illuminés au contact de ce texte, ils auront autour de lui célébré leurs noces, puis seront morts, de même que l'auteur du livre dont le sens est si convoité. Alors définitivement planera comme une ombre toujours plus profonde la question du sens de cette narration et des moyens pour l'atteindre, le mystère de la littérature rongeant leurs amis critiques survivants, à jamais interdits de révélation.
En considérant les démêlés malheureux et stériles du narrateur, le lecteur en vient à se demander si la vraie question que ce dernier est incapable d'envisager ne porte pas sur la méthode mise en oeuvre par lui pour atteindre ses fins, plutôt que sur le prétendu "secret", que serait censé mettre au jour une lecture intelligente. Le récit de James ferait apparaître, comme en contrepoint de la quête effrénée de savoir du narrateur, une attitude différente, une méthode de lecture ou plutôt une autre manière de lire, dont on découvrirait alors qu'elle détermine la nature du résultat obtenu, la nature de la lecture et le profit qu'on en peut tirer..."