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Saint Anselme de Cantorbery, commentaire du Proslogion, chap. II - Le blog de Robin Guilloux
Saint Anselme de Cantorbery (1033-1109) "Mon Dieu, je crois, mais faites-moi comprendre !" "Du Val d'Aoste à Cantorbery, en passant par le Bec-Hellouin en Normandie, Anselme n'est jamais en repos ...
Emmanuel Kant, Critique de la Raison pure, PUF, pp.429-430 (extrait) :
"Nous voudrions qu'une chose existe, par cela seul que nous la pensons : telle est, quoi qu'on en dise, la pente naturelle de l'esprit, contre quoi il n'est pas aussi facile de lutter qu'on pourrait croire. Quand un objet est donné aux sens, quand j'éprouve sa présence, alors je suis moins tenté d'en penser ce que je veux ; quand j'ai cent thalers dans ma poche, je dispose d'un réel pouvoir d'achat dont je vois bien que je ne l'aurais pas, si, la poche vide, je pensais seulement à cent thalers. Mais quand l'objet n'est pas donné à l'intuition sensible, mieux, quand l'objet ne peut pas du out être donné aux sens, alors nous prétendons, faute d'éprouver son existence, la prouver.
De là l'idée fausse que prouver est l'équivalent d'éprouver, et qu'on peut prouver une existence ; de là l'idée fausse que l'existence est une pensée, c'est-à-dire un attribut, parmi d'autres, d'un sujet ; de là cette erreur, si difficile à voir, que l'existence est un prédicat qui s'ajoute aux autres, de telle sorte qu'exister, pour une chose, serait une perfection supplémentaire par rapport aux autres que contenait déjà son concept. C'est oublier que l'existence n'est pas un prédicat, que l'existence est toujours extérieure à l'enchaînement logique du sujet et de ses prédicats, que par conséquent lorsqu'une chose existe, elle n'existe pas avec plus de perfection qu'elle n'en avait quand je ne faisais que la penser.
Discipliner la pensée, ce n'est pas la soumettre aux règles de la logique : la pensée débridée est encore une pensée logique ; c'est une pensée qui n'est plus que logique, parce qu'elle efface l'Être en le réduisant à un prédicat, en prétendant absorber l'Être dans la pensée ; c'est une pensée très proprement nommée dialectique. La véritable discipline de la pensée consiste dans la reconnaissance de l'Être comme irréductible à la pensée. En d'autres termes, elle consiste dans la distinction de ce qui est possible et de ce qui existe.
Ce qu'il faut savoir, et qu'on oublie toujours, c'est que le concept d'une chose n'en est que la possibilité, même si cette chose n'est pas un objet idéal, mais un objet qu'on peut rencontrer dans l'expérience. Les deux propositions suivantes ont la même forme logique : "Les angles à la base d'un triangle isocèle sont égaux" - "le phosphore fond à 44 degrés" ; elles expriment, l'une que s'il y a un triangle isocèle, alors ses angles à la base sont égaux ; l'autre que s'il y a du phosphore, alors il fond à 44 degrés. Mais que le phosphore existe, cela signifie qu'il y en a là, sous mes yeux, ou du moins que j'en pourrais voir, non pas en y pensant, mais en allant le voir là où il est.
Être n'est évidemment pas un prédicat réel, c'est-à-dire un concept de quelque chose qui puisse s'ajouter au concept d'une chose. C'est simplement la position d'une chose ou de certaines déterminations en soi. Dans l'usage logique, ce n'est que la copule d'un jugement. Cette proposition : Dieu est tout-puissant, renferme deux concepts qui ont leurs objets : Dieu et toute-puissance ; le petit mot est n'est pas du tout encore par lui-même un prédicat, c'est seulement ce qui met un prédicat en relation avec le sujet. Or, si je prends le sujet (Dieu) avec tous ses prédicats (dont la toute-puissance fait aussi partie) et que je dise : Dieu est, ou il est un Dieu, je n'ajoute aucun nouveau prédicat au concept de Dieu, mais je ne fais que poser le sujet en lui-même avec tous ses prédicats, et en même temps, il est vrai, l'objet qui correspond à mon concept. Tous deux doivent exactement renfermer la même chose et, par conséquent, rien de plus ne peut s'ajouter au concept qui exprime simplement la possibilité, par le simple fait que je conçois (par l'expression : il est) l'objet de ce concept comme donné absolument. Et ainsi, le réel ne contient rien de plus que le simple possible. Cent thalers réels ne contiennent rien de plus que cent thalers possibles. Car, comme les thalers possibles expriment le concept et les thalers réels, l'objet et sa position en lui-même, au cas où celui-ci contiendrait plus que celui-là, mon concept n'exprimerait pas l'objet tout entier et, par conséquent, il n'en serait pas, non plus le concept adéquat. Mais je suis plus riche avec cent thalers réels qu'avec leur simple concept (c'est-à-dire qu'avec leur possibilité). Dans la réalité, en effet, l'objet n'est pas simplement contenu analytiquement dans mon concept, mais il s'ajoute synthétiquement à mon concept (qui est une détermination de mon état), sans que, par cette existence en dehors de mon concept, ces cent thalers conçus soient le moins du monde augmentés.
Quand donc je conçois une chose, quels que soient et si nombreux que soient les prédicats par lesquels je la pense (même dans la détermination complète), en ajoutant, de plus, que cette chose existe, je n'ajoute absolument rien à cette chose. Car autrement, ce qui existerait ne serait pas exactement ce que j'avais conçu dans mon concept, mais bien quelque chose de plus, et je ne pourrais pas dire que c'est précisément l'objet de mon concept qui existe. Si je conçois aussi dans une chose toute réalité sauf une, du fait que je dis qu'une chose défectueuse existe, la réalité qui lui manque ne s'y ajoute pas, mais au contraire cette chose existe avec exactement le même défaut qui l'affectait lorsque je l'ai conçue, car autrement il existerait quelque chose d'autre que ce que j'ai conçu. Or, si je conçois un être à titre de réalité suprême (sans défaut), il reste toujours à savoir, pourtant, si cet être existe ou non. En effet, bien qu'à mon concept il ne manque rien du contenu réel possible d'une chose en général, il manque cependant encore quelque chose au rapport à tout mon état de pensée, à savoir que la connaissance de cet objet soit aussi possible a posteriori. Et ici se montre la cause de la difficulté qui règne sur ce point. S'il était question d'un objet des sens, je ne pourrais pas confondre l'existence de la chose avec le simple concept de la chose. Car le concept ne me fait concevoir l'objet que conformément aux conditions universelles d'une connaissance empirique possible en général, tandis que l'existence me le fait concevoir comme enfermé dans le contexte de toute l'expérience ; si donc, par sa liaison avec le contenu de toute l'expérience, le concept de l'objet n'est pas le moins du monde augmenté, notre pensée du moins en reçoit en plus une perception possible. Si, au contraire, nous voulons penser l'existence seulement par la pure catégorie, il n'est pas étonnant que nous ne puissions indiquer aucun criterium pour la distinguer de la simple possibilité." (Kant, Critique de la Raison pure, PUF, pp.429-430)
Questions sur le texte :
Source : Les philosophes par les textes de Platon à Merleau-Ponty, par un groupe de professeurs, classes Terminales A,B,C,D,E,F11, Fernand Nathan, 1974
1. Il y a deux sens du mot être qu'il est capital de ne pas confondre l'un avec l'autre ; lesquels ? Exposez, d'après le texte, très précisément ces deux sens.
2. Quelle différence y a-t-il entre une copule et un prédicat ?
3. Examinez d'après les exemples donnés par Kant, la conséquence de ceci que l'existence n'est pas un prédicat logique, mais la position d'une chose ou de certaines déterminations de cette chose.
4. Si j'ai le concept adéquat d'une chose, cela signifie-t-il que l'existence de la chose s'ajoute au concept que j'en avais ?
5. La différence entre un concept inadéquat et un concept adéquat est-elle la différence entre un concept qui exprime la simple possibilité et un concept qui enveloppe la réalité ?
6. Quelle est la vraie différence entre le réel et le possible ?
7. Quelle n'est pas la différence entre cent thalers possibles et cent thalers réels ?
8. Quelle est la différence entre les deux ?
9. Si le concept adéquat d'une chose enveloppait l'existence de cette chose, serait-il encore le concept adéquat de la chose ?
10. Analysez de près la démonstration par laquelle Kant établit que l'existence n'est pas la perfection.
11. Quelle est la cause de la si fréquente confusion de l'existence de la chose avec le simple concept de la chose ?
12.Expliquez la différence entre les conditions universelles d'une expérience possible en général, et l'existence.
13. Quand peut-on affirmer qu'une chose exisite ?
14. Peut-on, à proprement parler, prouver qu'une chose existe ?