/image%2F0931521%2F20190110%2Fob_b0daa0_http-www-gallimard-fr-var-storage-im.jpg)
EAF, Question de corpus (Molière, Jean Anouilh, Jean Tardieu) - Le blog de Robin Guilloux
Texte A : ARGAN, seul dans sa chambre, assis, une table devant lui, compte des parties d'apothicaire avec des jetons; il fait, parlant à lui-même, les dialogues suivants: Trois et deux font cinq, et
Après avoir lu attentivement les textes du corpus, vous répondrez à la question suivante : Quelles sont les particularités de ces scènes d'exposition ?
1. A qui sont destinés les propos des personnages en scène ?
2. Quelles sont les fonctions de ces monologues ?
Le corpus de trois textes théâtraux qui nous est présenté et qui s'étend du XVIIème au XXème siècle est constitué de scènes d'exposition théâtrales sous forme de monologues. Le premier est extrait du Malade imaginaire de Molière (1673), le second d'Antigone de Jean Anouilh (1946) et le troisième de Il y avait foule au manoir de Jean Tardieu (1966).
A la lecture de ces textes, nous pouvons nous interroger sur les particularités de ces scènes d'exposition. A qui sont destinés les propos des personnages en scène ? Quelles sont les fonctions de ces monologues ?
Une scène d'exposition est destinée à donner au lecteur et au spectateur des renseignements nécessaires à la compréhension de l'intrigue : Où se passe l'action ? A quelle époque ? Quel est le personnage principal ? Quels sont les personnages secondaires ?
Un énoncé théâtral possède la particularité d'avoir un double destinataire : un personnage A s'adresse sur la scène à un personnage B, mais ses propos sont destinés à être entendus également par les spectateurs. C'est ce qu'on appelle la "double énonciation théâtrale".
Il arrive que dans la vie courante quelqu'un parle tout seul, mais il enfreint alors la norme. On peut penser qu'il est un peu "dérangé" ou bien qu'il est ivre, alors que le monologue fait partie des conventions théâtrales parfaitement admises en vertu de la double énonciation car même s'il semble ne parler qu'à lui-même, les paroles du personnage sont destinées à être entendues par le spectateur.
Il peut arriver aussi, bien que plus rarement qu'un personnage s'adresse directement aux spectateurs. Nous en avons deux exemples dans ce corpus dans l'extrait d'Antigone de Jean Anouilh et dans celui de Il y avait foule au manoir de Jean Tardieu.
L'extrait du Malade imaginaire de Molière présente "in medias res" dans la scène d'exposition (Acte I, scène 1), Argan qui est également le personnage principal de la pièce. On l'entend parler, mais on le voit également agir : la didascalie indique qu'il compte des "parties d'apothicaire" avec des jetons.
Le monologue d'Argan fournit au spectateur un certain nombre d'indications sur son caractère et sur sa situation : il semble très soucieux de sa santé, mais on ne sait pas au juste de quoi il souffre. Il entretient des liens privilégiés avec son apothicaire, M. Fleuran et son médecin, M. Purgon. Il a une servante : Toinette et il semble doté d'un tempérament irascible.
Le Prologue d'Antigone n'est pas un personnage de la pièce comme Argan. Il joue à lui tout seul le rôle du "chœur" dans les tragédies grecques. Alors qu'Argan ne s'adresse à personne en particulier, sauf à la fin de son monologue quand il appelle "ses gens". Le "Prologue" s'adresse directement aux spectateurs : 'Voilà. ces personnages vont vous jouer l'histoire d'Antigone..." Alors qu'Argan est seul en scène, tous les personnages de la pièce sont présents et le Prologue les présente tour à tour : Antigone, Créon, etc.
Il rappelle également les événements qui se sont produits auparavant et qui ont abouti à l'interdiction de Créon d'accorder une sépulture à Polynice : le refus de partager le trône de Thèbes, la guerre fratricide, la mort des deux frères, la prise du pouvoir par Créon.
Le point de vue du Prologue est "omniscient" : il sait tout ce qui s'est passé auparavant, mais aussi ce qui va se passer ensuite : "Elle pense qu'elle va être Antigone tout à l'heure, qu'elle va surgir soudain de la maigre jeune fille noiraude et renfermée que personne ne prenait au sérieux dans la famille et se dresser seule face au monde, seule en face de Créon, son oncle, qui est le roi. Elle pense qu'elle va mourir, qu'elle est jeune et qu'elle aussi, elle aurait bien aimé vivre. Mais il n'y a rien à faire. Elle s'appelle Antigone et il va falloir qu'elle joue son rôle jusqu'au bout..."
Les propos du Prologue renseignent également le spectateur sur le genre de la pièce : une tragédie, car il met en avant le thème du Destin et évoque la mort de l'héroïne à la fin de la pièce.
Dans l'extrait de la pièce de Jean Tardieu, Il y avait foule au manoir, Dubois-Dupont est un personnage de la pièce, comme Argan, mais contrairement à Argan, il explique ce qui s'est passé auparavant (les raisons de sa présence au manoir) et ce qui va se passer ensuite, comme le fait le Prologue dans Antigone.
Contrairement au Prologue et à Argan, il se présente lui-même : "Je me présente : je suis le détective privé Dubois. surnommé Dupont, à cause de ma ressemblance avec le célèbre policier anglais Smith..."
Dupont-Dubois n'explique pas pourquoi il se retrouve au manoir : "Les raisons de ma présence ici sont mystérieuses autant que... mystérieuses... (C'est un pléonasme) mais vous les connaîtrez tout à l'heure. Je n'en dis pas plus. Je me tais. Motus."
Cette discrétion produit un effet de suspens, mais Dupont-Dubois fournit au spectateur des indications de lieu : "dans le manoir du baron de Z., ainsi que de temps : "par un beau soir de printemps". Le spectateur apprend également par le détective privé que le baron et sa femme donnent un bal au manoir et qu'il y a de nombreux invités.
Comme le Prologue de l'Antigone de Jean Anouilh, Dubois-Dupont informe le spectateur sur ce qui va se passer : "Le crime - car il y aura crime - n'est pas encore consommé."
Mais le ton humoristique du monologue de Dubois-Dupont fait présager une comédie, comme le fait la scène d'exposition du Malade imaginaire, plutôt qu'une tragédie.
En conclusion, nous nous étions demandés quelles étaient les particularités de ces scènes d'exposition.
Dans l'extrait du Malade imaginaire de Molière, le monologue d'Argan ne s'adresse qu'à lui-même, mais, en vertu de la double énonciation théâtrale, son comportement et ses propos fournissent au spectateur des renseignements pour comprendre l'intrigue.
Dans l'extrait d'Antigone de Jean Anouilh, le Prologue qui n'est pas un personnage de la pièce, les présente tour à tour. Il explique également ce qui s'est passé avant et ce qui va se produire ensuite.
Dans l'extrait de la pièce de Jean Tardieu, Il y avait foule au manoir, le détective se présente lui-même et donne des indications sur les personnages, le lieu et l'époque. Il révèle qu'un crime doit avoir lieu, mais ne veut pas en dire plus.
L'extrait du Malade imaginaire de Molière est la scène d'exposition la plus naturelle des trois. Jean Anouilh et Jean Tardieu jouent avec les conventions théâtrales en accentuant volontairement le caractère nécessairement artificiel d'une scène d'exposition.