Il nous faudrait un penseur de l’envergure et de la lucidité de Nietzsche pour penser notre époque, le XXIème siècle, telle qu’elle est dans son "essence", pour parler comme Husserl sans l’idéaliser ni la décrier, objectivement, mais je n’en vois pas.
Michel Serres a essayé, ce n’était pas, de son propre aveu, un penseur "politique" et il partageait l’optimisme de Leibniz : "Petite Poucette" et les bienfaits de l'informatique. Ce n’est pas d’optimisme - l’optimisme relève de l’opinion, de la doxa - dont nous avons besoin, mais de lucidité.
La philosophie semble en retard sur l’histoire, l’économie, la science, la technologie etc. Les élèves de Terminale travaillent essentiellement sur des penseurs du XIXème siècle qui ne permettent pas vraiment de penser notre époque, y compris Marx..
La chouette de Minerve, disait Hegel, prend son envol à la tombée de la nuit. La philosophie pense toujours après coup. Quant aux médias, ils ne pensent pas, ou à peine car ils sont rivés sur l'événement.
Nietzsche a prévu le totalitarisme et la figure du « travailleur », mais il ne pouvait pas prévoir la société des loisirs, la mondialisation, le nouvel ordre mondial, Internet, la robotisation, la biotechnologie, l'intelligence artificielle, etc.
En échange, l’étude des penseurs de l’antiquité : Socrate, les Epicuriens, les Stoïciens, Pyrrhon, etc. me paraît être un utile contre-poison contre les conditionnements et les dangers de l’époque.
Je ne pense pas que l’on puisse dépasser actuellement le libéralisme, qui est devenu, comme le disait Sartre du communisme, « l’horizon indépassable de notre temps », ni changer « l’ordre du monde », mais il est possible de résister à titre individuel : « Chercher à me vaincre plutôt que la fortune et à changer mes désirs que l’ordre du monde, se propose Descartes au seuil de sa vie d'adulte dans le Discours de la méthode.
La lecture de Montaigne ou de Voltaire me paraît un excellent remède contre le fanatisme, celle des sceptiques contre la désinformation ; Socrate est un bon antidote contre la consommation effrénée : "Que de choses dont je n’ai pas besoin !", les Epicuriens peuvent nous aider à prendre la tangente face au mélange contradictoire de pornographie et de pruderie hypocrite qui caractérise notre époque et qui vont d’ailleurs ensemble car "qui veut faire l’ange, fait la bête", etc.
D’une manière générale, les penseurs du passé peuvent nous aider à mieux comprendre le présent : Chesterton : la disparition des frontières, la notion grecque d’ubris (la démesure) : la bio-technologie, le transhumanisme, l’exploitation effrénée de la planète, etc.
Tout ce qui ancien n'est pas forcément dépassé et tout ce qui est nouveau n’est pas forcément désirable.