Qu’est-ce qu’une vie bonne ? (Can One Lead a Good Life in a Bad Life ?), de Judith Butler, traduit de l’anglais (Etats-Unis) et préfacé par Martin Rueff, Rivages poche, « Petite bibliothèques ».
Table : Privée de pleurs du deuil" : Judith Butler, la vie bonne dans la vie mauvaise par Martin Rueff - Qu'est-ce qu'une vie bonne ?
L'auteure :
Judith Butler, née le 24 février 1956 à Cleveland, dans l'Ohio, est une philosophe américaine et professeure à l'université Berkeley depuis 1993 dont le travail porte principalement sur le genre, l'homosexualité et la théorie queer. Elle enseigne également la philosophie à la European Graduate School de Saas-Fee, en Suisse.
Theodor W. Adorno, né Theodor Ludwig Wiesengrund le 11 septembre 1903 à Francfort-sur-le-Main et mort le 6 août 1969 à Viège, est un philosophe, sociologue, compositeur et musicologue allemand.
En tant que philosophe, il est avec Herbert Marcuse et Max Horkheimer l'un des principaux représentants de l'École de Francfort, au sein de laquelle a été élaborée la théorie critique.
En tant que musicien et musicologue, il est représentant de la seconde école de Vienne et théoricien de la nouvelle musique. Il introduit avec Max Horkheimer la notion interdisciplinaire d'industrie culturelle, dont ils traitent en particulier dans l'essai Kulturindustrie, Dialectique de la Raison.
"Selon Aristote, le bonheur est le but de la vie humaine, le Bien suprême. le bonheur consiste à améliorer ce qui est essentiel à l'homme, c'est-à-dire sa raison. Le bonheur est un bien qui n'est pas fourni par l'extérieur, mais que l'on doit trouver en soi-même, dans sa propre activité. On le rencontre quand on concrétise nos spécificités d'êtres humains, c'est-à-dire quand on agit de façon raisonné. Aristote souligne que le bonheur n'est pas quelque chose qui peut s'atteindre de manière isolée, mais qui fait partie d'une vie bien vécue en communauté. La politique est donc inséparable de l'éthique." (Karine Wurtz).
En 2012, au moment de recevoir le Prix Adorno, Judith Butler transforme une formule du philosophe allemand en question : "Peut-on mener une vie bonne dans une mauvaise vie ? "
"Qu’est-ce qu’une vie bonne ?". Au sortir d’un confinement qui a remanié notre quotidien et suscité beaucoup d’interrogations sur le sens de nos existences individuelles comme sur la valeur de nos sociétés, cette question en couverture d’un livre daté de 2014 fait écho en nous et l’on comprend que les éditions Rivages aient jugé nécessaire de le rééditer en poche aujourd’hui.
Il s’agit du titre d’une conférence que la philosophe américaine Judith Butler a prononcée à Francfort, le 11 septembre 2012, alors que lui était remis le prix Theodor Adorno.
La version française est ici précédée d’une indispensable préface du traducteur, Martin Rueff, qui apporte au lecteur les éclairages dont il pourrait manquer." (Camille Laurens)
Extrait :
"Comme les formes contemporaines de l'abandon économique et de la dépossession qui résultent de l'institutionnalisation des rationalités néo-libérales et de la production de la précarité ne peuvent être comparées globalement à l'esclavage, il est de la première importance de distinguer les différents modes "d'invivabilité" : par exemple, celle qui frappe les personnes qui se retrouvent en prison sans procès, celle des personnes qui vivent dans des zones de guerre ou dans des zones occupées, des personnes qui se retrouvent exposées à la violence et à la destruction sans sécurité ni solution, des personnes qui sont obligées d'émigrer et de vivre dans des zones frontalières, dans l'attente qu'on ouvre les frontières, que la nourriture arrive et que leur statut de clandestins prenne fin ; des personnes dont la condition est celle d'une force de travail négligeable et consommable, pour qui la perspective d'une assistance stable recule toujours, qui vivent au jour le jour dans un horizon temporel effondré, qui ressentent dans leur ventre et dans leurs os la souffrance de voir leur futur compromis, et qui essayent d'éprouver quelque chose, mais qui redoutent davantage encore ce qu'elles pourraient éprouver.
Comment peut-on se demander quelle est la meilleure vie à mener quand on sent qu'on n'a aucun pouvoir pour diriger sa vie, quand on n'est pas sûr d'être en vie, quand on se bat pour éprouver la sensation qu'on est encore en vie et, qu'en même temps, on a peur de cette sensation et qu'on a peur aussi de vivre de cette manière ?
Dans les conditions contemporaines de l'émigration forcée, des populations entières vivent aujourd'hui privées de l'assurance d'un futur, comme de celui d'une continuité de leur appartenance politique, et ressentent au quotidien les atteintes du néolibéralisme dans leur chair (...)" (p.61-62)